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Rabutin

      Histoire amoureuse des Gaules; suivie des Romans historico-satiriques du XVIIe siècle, Tome I

      PRÉFACE

      Sur une belle page blanche, au frontispice de ce livre, en lettres architecturales, je voulois tracer une dédicace ou une inscription funèbre

      DIS. MANIBVS.

      MVLIERCVLARVM.

      QVAS. CORRIPVIT.

      AMOR.

      mais j'ai peur qu'on n'attaque la qualité ou la moralité de mon style épigraphique. Je voudrois du moins, puisque je viens de vivre assez longtemps avec elles, ne pas quitter toutes ces pécheresses sans leur dire adieu, et je désirerois concentrer mes derniers hommages en une vingtaine de vers de circonstance; peut-être les aurois-je tournés ainsi:

      L'art antique disoit: Qu'on adore les belles!

      Les poètes disoient: Que tout cède à l'amour!

      Les poètes et l'art aujourd'hui sont rebelles

      Au culte dont Laïs a vu le dernier jour.

      O femmes! la beauté, c'étoit une victoire,

      C'étoit une grandeur, c'étoit une vertu;

      On ne s'informoit pas, pour chanter son histoire,

      De quel or, sous quel toit, Laïs avoit vécu.

      Il suffisoit qu'elle eût la chevelure blonde:

      La femme étoit Vénus; un grand œil plein d'éclairs:

      La femme étoit Minerve. Ô sagesse du monde!

      Devant d'autres autels s'agenouillent nos vers.

      Notre admiration se proclame éblouie

      Par la splendeur des lois qui plaisent aux Césars.

      Midas a des enfants; la foule, recueillie,

      Applaudit aux décrets de leur goût pour les arts.

      Mieux valoit quand, le front ceint du parfum des roses,

      Les poètes et l'art saluoient le soleil,

      Le printemps, le feuillage, et les femmes écloses,

      Comme de jeunes fleurs, en leur temple vermeil.

      Je sais bien que Phryné présage Messaline,

      Que Jeanne Vaubernier déshonore Ninon;

      Mais devant la jeunesse il faut que l'on s'incline:

      Vive qui sut aimer, et qu'importe son nom!

      Voilà ce que disoit et pensoit l'Ionie;

      Ses dieux avoient du moins quelque divinité.

      On pardonne, je crois, ses crimes au génie:

      De la même injustice honorons la beauté.

      Mais je crains qu'on ne m'accuse d'une trop vive indulgence pour des courtisanes, et je me résigne à réfréner l'ambition de cette préface.

      Toutefois je ne la convertirai pas en une étude préliminaire sur la vie et les œuvres de Bussy-Rabutin; voici pour quelle raison: il me semble qu'une étude de ce genre doit être toujours faite de manière à l'emporter sur les études précédemment publiées; il faut, de toute nécessité, qu'elle ne se borne pas à des redites, mais qu'elle ajoute quelque chose au commun domaine de l'histoire et de la littérature. Si elle se traîne péniblement dans le sentier battu, à quoi bon cela? Et c'est à quoi seroit fatalement condamnée ici une préface de vingt pages.

      M. Walckenaer (Mémoires concernant madame de Sévigné), M. A. Bazin (Revue des Deux-Mondes, 1842, et Nouvelle Biographie universelle), et M. Sainte-Beuve (t. 3 des Causeries du lundi), ont examiné à tous les points de vue cette vie et ces œuvres. Certainement il y auroit quelque chose à dire encore; mais ce quelque chose ne pourroit être dit sans preuves, sans expositions, sans dissertations auxiliaires, et je grossirois trop facilement un volume déjà trop gros.

      Ce n'est pas sans quelque déplaisir que je me suis retranché l'occasion de vider mon carton de notes et de remplir mon rôle de consciencieux commentateur. Je les garde, ces notes surabondantes. Si le public accueille volontiers l'édition qui lui est offerte, je me croirai engagé à parfaire ma tâche, et, en même temps que je rectifierai le commentaire qui court au bas des pages, je m'efforcerai de résumer tout ce qui peut être utilement dit de Bussy-Rabutin et de son Histoire amoureuse.

      On trouvera au tome 1er de l'édition que M. Monmerqué a donnée des lettres de madame de Sévigné la généalogie des Rabutin. Roger de Rabutin, comte de Bussy, est né le 3 ou le 13 avril 1618, à Épiry, en Nivernois. Sa famille étoit l'une des plus anciennes et des plus illustres de la Bourgogne. Élevé chez les jésuites d'Autun, puis au collége de Clermont à Paris, il interrompit ses études à seize ans (1634), pour commander une compagnie dans le régiment de son père. À partir de ce temps il ne cesse de prendre part à toutes les guerres. Ses Mémoires racontent agréablement toute son histoire jusqu'au moment de sa disgrâce; le reste de sa vie est raconté dans le Recueil de ses Lettres. Les combats, les amours volages, même les débauches, ne lui prennent pas tout son temps. Actif, entreprenant, doué d'un esprit véritablement distingué, il trouve toujours une heure pour lire un livre ou pour écrire une chanson. Si ses connoissances sont incomplètes, s'il dit qu'il n'a jamais lu Horace, par exemple, son goût est pur et il a en soi ce qui fait le bon style. Aussi est-ce bientôt le plus bel esprit de l'armée et de toute la noblesse. Il est de toutes les fêtes demi-bachiques, demi-littéraires; il est le grand fabricant de satires, d'épigrammes et de couplets. Cela fit sa fortune dans les lettres et ruina sa fortune à la cour. Peu à peu, par sa conduite politique et par les manœuvres de son esprit, il s'aliéna le cardinal Mazarin, Condé, Turenne et Louis XIV. Ses amis ne purent le défendre. On avoit peur de lui: là est le secret de sa chute.

      C'est pour divertir une de ses maîtresses, madame de Montglat, qu'en 1659 ou en 1660 il composa l'Histoire amoureuse des Gaules. Cette histoire, qui n'avoit de romanesque que les noms sous lesquels paroissoient les personnages, et qui peignoit avec beaucoup d'agrément les aventures des principaux seigneurs et des plus belles dames de la cour, ne manqua pas d'être connue partout de réputation. Bussy-Rabutin la lisoit lui-même, et très volontiers, à ses amis intimes. La marquise de la Baume, une vilaine femme, belle de visage, que tous les contemporains ont maltraitée, la lui ayant empruntée, en fit faire une copie secrète, puis une autre. En vain Bussy voulut-il lui rappeler la promesse solennelle qu'elle lui avoit faite de ne pas abuser du prêt; en vain mit-il tout en œuvre pour détruire les fatales copies, l'histoire fit son chemin sous le manteau. Ce fut une explosion de murmures.

      Bussy n'étoit déjà pas très bien auprès du roi, de ses ministres et de ses principaux confidens; il avoit même paru un moment compromis pour quelques relations d'affaires qu'il avoit eues avec Fouquet. Le succès terrible de son pamphlet enhardit tous ses ennemis; mais ce qui lui donna le coup de grâce, ce fut la publication en Hollande, et par le fait de madame de la Baume, de l'Histoire amoureuse des Gaules. Une clef étoit jointe au texte. Jamais scandale n'eut plus d'éclat et un éclat plus rapide. Condé étoit à la tête de ceux qui juroient la perte et la mort du coupable. Il fallut que le roi prît parti. Bussy étoit déjà à demi disgracié; toutefois il venoit d'être reçu à l'Académie françoise, et y avoit même prononcé un discours très cavalier. Le 17 avril 1665 il fut mis à la Bastille.

      Il y resta treize mois, et ne sortit que pour être exilé en Bourgogne.

      Les éditions du pamphlet se succédoient rapidement et se falsifioient. On avoit eu l'idée d'intercaler dans le texte, après le récit de la fête de Roissy, ce cantique fameux et de toutes manières mauvais que les amateurs de poésies libertines ont aveuglément regardé comme une œuvre de Bussy.

      Jamais Bussy n'a écrit ce cantique. Les alleluia de Roissy étoient des impiétés, et ce cantique est toute autre chose. L'Histoire amoureuse des Gaules est un livre d'une agréable lecture, et durant laquelle le goût n'est offensé par aucune ordure, et le cantique est un ramassis de grossièretés. Bussy l'a toujours nié. Ces couplets ont été intercalés deux ou trois ans après l'apparition première du livre, et

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