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Madeleine jeune femme. Boylesve René
Читать онлайн.Название Madeleine jeune femme
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Boylesve René
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Et vous, madame, comment se fait-il que vous n'ayez pas accepté un rôle?.. Ah! je parie que c'est la timidité qui vous retient!.. Cela vous passera au bout de quelques mois de Paris… D'ailleurs, vous êtes excellente musicienne, m'a-t-on dit: par là, on peut toujours se rendre utile…
– Mais, objecta M. Juillet, le neveu des Du Toit, qui n'avait point parlé jusqu'ici, on peut avoir le talent de Rubinstein et manquer de ce qu'il faut pour accompagner: «Moi j'cass' des noisettes!..»
Ah! ah! il avait la dent un peu dure, ce M. Juillet; mais si son observation était d'une malignité sournoise envers la maison, elle témoignait une fine intuition de mes sentiments, et j'en fus frappée.
J'aurais bien voulu répondre quelque chose qui montrât à ce jeune homme que j'avais compris, que je lui savais gré de me deviner un peu; mais ce que je cherchais, je le trouvai un quart d'heure après. En attendant, je me contentai de rougir comme une sotte.
Aussitôt, mécontente de moi, voilà que je me retourne tout entière contre moi-même, et que je me reproche de manquer de complaisance pour les plaisirs de la maison Voulasne, et de n'être, moi, qu'une orgueilleuse gonflée de prétention. Que je me sentais mal à l'aise! Le spectacle auquel je venais d'assister m'attristait malgré moi, et parce que toute l'âme que l'on m'avait faite se révoltait contre de si piètres distractions; mais dédaigner ces puérilités, mépriser ce qui faisait l'agrément de bonnes gens sans malice, n'était-ce pas manquer de charité, de goût même, et peut-être d'intelligence?
Mon mari, ayant ôté son faux nez et quitté les coulisses, vint me rejoindre au moment où je subissais cette crise au milieu d'un cercle d'adulateurs. Les exclamations éclatèrent de nouveau et les félicitations recommencèrent.
Je croyais qu'il allait en rire et se moquer tout le premier du rôle qu'il avait joué, mais il recevait les compliments avec son sérieux ordinaire, et il se rengorgeait! Il ne douta pas un instant que, si j'avais eu, – et de concert avec lui, – des appréhensions touchant cette soirée, elles ne fussent évanouies, dissipées comme les siennes, par la magie d'un seul mot prononcé, mais du mot fatidique à Paris: le succès.
Je dus faire porter mes compliments, moi aussi, aux cousins Voulasne qui étouffaient sous une masse humaine claquant des mains, hurlant comme un peuple en délire. Ils partageaient le succès, mais le gros succès, eux, avec deux jeunes femmes, madame Kulm et madame de Lestaffet, que le coiffeur de l'Opéra, – s'il vous plaît! – avait grimées, mais à les égaler aux originaux, l'une en Grille-d'Égout et l'autre en La Goulue, – deux «chahuteuses» alors célèbres sur la Butte, – et qui avaient pris part, en face de M. Chauffin en «Valentin-le-Désossé», à un quadrille dit excentrique, digne, en vérité, de ceux que nous n'avions pas manqué d'aller voir, le mois précédent, à l'Élysée-Montmartre et même au Moulin de la Galette.
Il y avait peut-être une certaine rivalité entre madame de Lestaffet et madame Kulm, parce qu'on prétendait que La Goulue était plus jolie que Grille-d'Égout, mais cette vétille mise à part, je n'ai jamais vu, non, de ma vie je n'ai vu des êtres humains aussi parfaitement heureux, des gens donnant mieux l'apparence d'avoir accompli ce pourquoi ils étaient créés et mis au monde, et plus satisfaits et plus fiers de leur acte, plus dépourvus d'arrière-pensées, plus incapables de soupçonner qu'il pût y avoir action supérieure à la leur, que mesdames Kulm et de Lestaffet pour avoir dansé le quadrille propre aux filles de Montmartre, et que mes cousins Voulasne et leur ami Chauffin, pour s'être crus un instant confondus avec la grosse Dédé, le kanguroo boxeur ou Valentin-le-Désossé…
Le monde, évidemment, était nouveau pour moi, et l'on jugera ma stupeur bien naïve, mais rien, jusqu'à présent, ne m'avait paru extraordinaire; or, cela me parut extraordinaire. Je n'avais jamais assisté, en province, qu'à des réunions ayant pour but, soit de faire entendre de la musique, soit de favoriser des mariages: je n'avais jamais vu de grandes personnes s'amuser.
Tout l'épanouissement de ma cousine Henriette, on le put mesurer en le voyant s'affaisser comme un ballon crevé, une fleur ébouillantée, lorsque la famille Du Toit vint faire ses politesses. Henriette n'aimait pas les Du Toit qui lui représentaient des empêcheurs de danser en rond, mais aujourd'hui elle ne leur pardonnait pas d'avoir empêché Pipette de figurer sur le tréteau. Comment les Voulasne avaient-ils laissé se développer chez leur fille un amour qui menaçait de les river à jamais aux Du Toit? Mais, parce que les Voulasne, innocents comme des enfants, dans leurs plaisirs, «ne voyaient jamais de mal nulle part». Que de fois, depuis lors, ai-je entendu à propos des Voulasne répéter cette expression: «Ils ne voient jamais de mal nulle part!» Ils prenaient leurs ébats, toléraient que chacun prît les siens, sans en venir à croire que prendre ses ébats pût entraîner des conséquences sérieuses. Mais le sérieux naît sous les pas les plus légers, et la fille aînée des Voulasne était touchée par un amour avec lequel on ne badine point.
Isabelle aimait Albéric Du Toit; et depuis qu'elle avait pris en dédain les divertissements de la maison, elle manifestait une antipathie toute neuve pour M. Chauffin, l'organisateur des plaisirs, qui l'avait amusée jusqu'alors; elle affectait une tenue réservée, de graves pensers, un penchant pour «la grande musique», un vif mépris pour toute scène qui n'était point celle de la Comédie-Française. Elle s'assimilait par amour tout ce qu'elle connaissait des Du Toit, moins leur savoir-vivre, leur discrétion: et elle les compromettait et les rendait haïssables en agitant le drapeau de leurs opinions, qu'ils ne déployaient point eux-mêmes, et en dessinant la caricature de ce qu'ils auraient pu être s'ils n'avaient été, en réalité, de charmantes gens sans prétention, sans exigences, mais d'une vie opposée bout pour bout à celle que menaient les Voulasne.
Vu mon mariage tout récent, je ne devais point être séparée de mon mari au souper; mais, comme on se plaçait librement, nous fûmes environnés par les Du Toit, qui décidément s'intéressaient à moi. Ah!.. ma réputation!
M. Juillet avait offert le bras à Isabelle, mais le cher Albéric n'était pas loin. La jolie amoureuse, de qui je n'avais vu jusqu'ici que la moue, se montra pour moi pleine de prévenances. Je goûtai beaucoup la conversation de M. Du Toit, où il y avait de la solidité, de l'expérience, une disposition à s'élever au-dessus des menus faits qu'on raconte. De toutes les personnes que j'avais vues jusqu'ici à Paris, c'était lui qui me rappelait le plus mon grand-père, quand il avait à qui parler. M. Juillet, plus concentré, était un jeune agrégé qui sortait de l'École normale; il y avait de l'amertume en lui et je ne sais quel sombre feu; était-il rongé d'une inquiétude mortelle? relevait-il de quelque blessure? on se le fût demandé; avec cela une certaine finesse rieuse allant jusqu'à la folâtrerie tout à coup, pour s'enfoncer, l'instant d'après, et plus volontiers, dans les profondeurs. On lui prêtait de l'ironie, ce qui lui faisait beaucoup de tort. Il avait parfois des mots cinglants, c'est certain; mais il en avait aussi d'autres qui le rendaient agréable.
Le souper fut pour moi la meilleure partie de la soirée, et il eut été presque un plaisir, si je n'eusse senti que mon mari était sur les épines parce que nous étions là groupés avec les Du Toit qui, dans la maison, se trouvaient momentanément en disgrâce. Aussi s'efforçait-il, autant que possible, de lancer quelques mots par-dessus la tête des Du Toit, afin de prouver qu'il ne s'enfermait point dans leur compagnie, des mots que l'on pût même interpréter comme une demande de secours; et on lui en envoyait en retour qui produisaient un effet baroque par leur réalisme concret au milieu des propos déliés, érudits, moraux ou spirituels de M. Du Toit ou de M. Juillet. Je me souviens par exemple que la conversation, autour de nous, roulant sur ce sujet: «Quel est le plus précieux des biens?» et quelqu'un ayant dit: «L'espérance», M. Juillet nous citait le texte d'une bien belle inscription latine, recueillie par lui sur une dalle d'église: «Hic, in diem resurrectionis reservantur animae…» c'est-à-dire: «Ici sont réservées, pour le jour de la résurrection, les âmes d'un tel… etc.» et il nous faisait frissonner en nous soulignant la grandeur de cette expression qui tue l'horreur de la mort en nous imprégnant de la certitude d'un jour à venir, lorsqu'un mot, qui mettait en liesse la table voisine, dévasta comme une