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n'était pas des confidences qu'elle murmurait, ce soir, aux étoiles. Ce n'était aucun appel, ces cadences caressantes, mais à ciel ouvert les états d'une conscience brûlant au fond du harem. Les mots mal discrets, sa voix les enveloppait d'un tendre mystère. Jamais elle ne désignait tout droit un sentiment; elle l'entourait, le dessinait, comme font les pas d'une danseuse, et le jetait de ses deux mains tout vif dans les âmes. Par cette chaude nuit violette, son chant soulevait des mousselines, lamées d'or et d'argent, pour découvrir, croyait-on, les heures secrètes d'une jeune femme, mais déjà il s'enfuyait, et sa confidence, toujours reprise et refusée, en mêlant à d'extrêmes douceurs des minutes d'irritation, blessait mortellement le cœur.

      Sans lassitude, la Sarrasine, multipliant ses thèmes dans la nuit, égrena sur la roseraie le rosaire de ses nocturnes. A la fois chaste et brûlante, elle montait de la langueur au délire, pour redescendre au soupir, et parfois endolorie comme un papillon dans les mailles d'un filet, d'autres fois guerrière et prête à tuer, elle faisait jaillir du ciel et de la terre tout ce qu'ils peuvent contenir de pathétique voluptueux.

      «Elle va mourir, pensait le jeune homme. On a vu des rossignols expirer dans leur cantilène. Comment une telle force ne brise-t-elle pas un gosier de femme! Est-ce donc un monstre qui palpite sous ces glycines du balcon?»

      III

      Cette soirée transforma le jeune homme. Ces palais, leurs richesses, leurs eaux fraîchissantes, leur éclat, qu'il avait jusqu'alors admirés d'un cœur assez atone, reçurent un sens de la volupté que la Sarrasine en pouvait ressentir, et dans ces jardins pleins d'ennui, les roses, les lis et les cyprès s'humanisèrent d'une espèce de parenté avec cette fée. De son côté l'Émir éprouva un renouveau de plaisir à constater sur cet étranger la puissance de sa merveille secrète, et quand Guillaume lui dit: «Seigneur, tandis que cette péri chantait, j'ai compris comment ceux qui meurent sans péché ne se lassent jamais des harpes du paradis», l'imprudent, touché de folie, se laissa aller à répondre:

      – Ah! si tu la voyais!

      Une si folle exclamation prouve combien les mœurs de l'Islam s'étaient relâchées en Syrie, au voisinage des chrétiens. Mais l'on peut croire aussi que la Sarrasine avait manœuvré pour mettre une distraction dans la monotonie des heures du harem.

      Guillaume essaya d'éviter une entrevue qu'il craignait et désirait. Certains mots de ce chant céleste étaient venus le blesser comme les coups d'une lance d'argent. «Chez ma mère et chez mes sœurs, qui ressemblaient à des religieuses, il y avait, se disait-il, quelque chose de cette douceur de voix et de ce ressort de l'âme, et dans mon église d'enfance les hymnes montaient parfois sous les voûtes avec cette véhémence, qui donne envie de mourir. Alors comment se fait-il que j'éprouve à l'idée de voir cette dame une sorte de crainte sacrée?»

      Il dut céder à son hôte et à la fatalité.

      Une après-midi, Guillaume, sous les arcades d'une cour intérieure, attendit avec l'Émir que la Sarrasine parût. Il eût voulu, agenouillé dans l'ombre, et sa figure dans les mains, admirer sans être vu ce cantique vivant. Enfin, il y eut, sur les dalles, le piétinement d'un groupe de femmes, et les tentures écartées, l'ange du désir apparut à visage découvert. Ce fut comme si l'on étalait à nu devant le jeune homme les secrets de son propre cœur. La figure de cette élue, ainsi qu'avait fait son chant, le révéla à lui-même, et le conduisit aux sources de sa vie: il crut voir paraître, avec des visages de beauté et de bonté, toute la suite de femmes dont il était issu et les étoiles que ses plus secrets désirs appelaient.

      – C'est ma sœur du ciel, se dit-il, et je l'aurais aimée avec une plaie sur la joue.

      Ses voiles étaient brodés de grandes glycines et son écharpe peinte. Son visage et tout son être exprimaient la même mélodie que son chant, sans doute la musique d'une âme faite d'amour et de grâce, et dont la flamme immortelle jaillissait de ses grands yeux. Ses petits seins et tout son corps se dessinaient sous une tunique d'azur et de cramoisi, dans un gilet d'or, boutonné par de grosses perles, au-dessus d'une ceinture de gaze, et de larges pantalons de soie orange serraient sa cheville où jouait un anneau d'or.

      Elle répandait autour d'elle une joie étincelante, aussitôt suivie du mélancolique sentiment que nulle minute ne peut être fixée. Et par ce chemin de tristesse on pénétrait jusqu'aux mondes qu'elle portait dans son cœur. Mais comment le jeune chrétien se fût-il orienté dans ce ciel de lumière, quand il était submergé sous les songes d'amour et les désirs de mort?

      Il crut voir du fond de son rêve, le sang lui bourdonnant aux tempes et au cœur, l'Émir qui voulait qu'elle chantât, tandis qu'elle, debout, les yeux baissés et semblant fermer ses paupières sur une image frémissante, restait plusieurs minutes à répéter en esprit sa chanson pour elle seule. Il la contemplait. Elle assemblait ses forces et faisait le plein dans son cœur. On eût dit un aiglon qui va risquer son premier vol. Quelle présence de la jeunesse, de la beauté et de tout ce qu'il y a de pur dans le monde! Son sourire d'azur et d'argent avait l'éclat de la mer, le matin, quand elle se brise au rivage du Liban. Deux femmes debout derrière elle semblaient prêtes à la retenir, soit qu'elle s'évanouît, soit qu'elle voulût regagner trop tôt le ciel des péris, et avec des mots de nourrice l'encourageaient, tandis qu'elle paraissait dire:

      «Je ne puis pas, vous voyez bien que je vais mourir!» Et ses poignets, ses petites mains aux ongles roses avaient autant d'expression que son visage pour révéler la timidité de son âme. Enfin elle s'approcha, et, s'appuyant sur l'épaule de son maître, le pria sans paroles qu'il la dispensât de chanter.

      L'Émir fut flatté de cette angoisse qu'elle éprouvait à paraître devant un étranger, et l'imprudent ne désira que davantage obtenir d'elle ce qu'il lui fallait pour l'instant ajourner. Quant au jeune chrétien, il songeait en lui-même: «L'inconnu qui pleure, à la tombée du soir, en écoutant le muezzin, est plus près de ce haut chanteur inconnu que ce musulman du cœur de cette femme qu'il prendra cette nuit dans ses bras. Sans illusion d'espoir, je veux qu'elle agisse sur mon âme et qu'elle y fasse prévaloir mes parties les meilleures.»

      Il comprenait qu'il avait entendu un chant magique et pour la vie subi une toute-puissante fascination.

      IV

      L'Émir n'épuisait pas sa satisfaction de l'éblouissement du jeune chrétien:

      – Songe, lui disait-il, aux milliers de roses qu'il fallut presser pour obtenir une goutte d'un tel parfum! Ses mère et grand'-mères ont toujours vécu dans le sérail des rois; si haut que la mémoire remonte, elle a pour aïeux les chefs qui commandaient à Damas, à Homs, à Hamah, et l'Asie ne peut rien fournir de mieux. C'est une réussite qu'après nous, plus jamais, aucun homme ne reverra. Mais de la roseraie où Allah fit cette vendange, une douzaine d'autres jeunes femmes que je possède exhalent le parfum. Je puis te les montrer. Écoute, reste avec nous, je t'en donnerai une à respirer.

      Guillaume avoua qu'il ne pensait plus à partir.

      Alors l'Émir l'embrassa et lui dit:

      – Ami chrétien, rentre dans ta maison, et dès ce soir tu verras venir celle que l'on a choisie pour toi, une toute jeune beauté qui n'a pas encore éprouvé la vie, mais en qui la sagesse habite.

      Guillaume ressentait bien quelque remords de laisser repartir ses compagnons et de demeurer en païennerie, mais sa mission était remplie, la paix signée. Chose étrange, sa foi n'avait jamais été plus vive que dans ce moment. «Voilà seulement, se disait-il, que je me fais une idée de ce que sont les anges. Il n'est rien de difficile que je ne sois prêt à exécuter pour prendre place dans la vie éternelle auprès de cette Sarrasinoise qui, j'ignore comment, ne peut pas manquer de mériter d'être sauvée.»

      Il méditait ainsi, quand une chaise à porteurs s'arrêta devant sa maison et qu'un grand nègre en tira à bout de bras et lui porta jusque sur son divan une charmante fille, rieuse et courtoise, sans rien lui dire que:

      – Isabelle, de la part de l'Émir.

      Quand ils furent seuls, celle-ci lui fit son compliment:

      – Dans

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