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La Comédie humaine - Volume 02. Honore de Balzac
Читать онлайн.Название La Comédie humaine - Volume 02
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Honore de Balzac
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Je suis donc armée de toutes pièces, et puis parcourir le clavier de la coquetterie depuis les notes les plus graves jusqu'au jeu le plus flûté. C'est un immense avantage que de ne pas être uniforme. Ma mère n'est ni folâtre, ni virginale; elle est exclusivement digne, imposante; elle ne peut sortir de là que pour devenir léonine; quand elle blesse, elle guérit difficilement; moi, je saurai blesser et guérir. Je suis tout autre encore que ma mère. Aussi n'y a-t-il pas de rivalité possible entre nous, à moins que nous ne nous disputions sur le plus ou le moins de perfection de nos extrémités qui sont semblables. Je tiens de mon père, il est fin et délié. J'ai les manières de ma grand'mère et son charmant ton de voix, une voix de tête quand elle est forcée, une mélodieuse voix de poitrine dans le médium du tête-à-tête. Il me semble que c'est seulement aujourd'hui que j'ai quitté le couvent. Je n'existe pas encore pour le monde, je lui suis inconnue. Quel délicieux moment! Je m'appartiens encore, comme une fleur qui n'a pas été vue et qui vient d'éclore. Eh! bien, mon ange, quand je me suis promenée dans mon salon en me regardant, quand j'ai vu l'ingénue défroque de la pensionnaire, j'ai eu je ne sais quoi dans le cœur: regrets du passé, inquiétudes sur l'avenir, craintes du monde, adieux à nos pâles marguerites innocemment cueillies, effeuillées insouciamment; il y avait de tout cela; mais il y avait aussi de ces idées fantasques que je renvoie dans les profondeurs de mon âme, où je n'ose descendre et d'où elles viennent.
Ma Renée, j'ai un trousseau de mariée! Le tout est bien rangé, parfumé dans les tiroirs de cèdre et à devant de laque du délicieux cabinet de toilette. J'ai rubans, chaussures, gants, tout en profusion. Mon père m'a donné gracieusement les bijoux de la jeune fille: un nécessaire, une toilette, une cassolette, un éventail, une ombrelle, un livre de prières, une chaîne d'or, un cachemire; il m'a promis de me faire apprendre à monter à cheval. Enfin, je sais danser! Demain, oui, demain soir, je suis présentée. Ma toilette est une robe de mousseline blanche. J'ai pour coiffure une guirlande de roses blanches à la grecque. Je prendrai mon air de madone: je veux être bien niaise et avoir les femmes pour moi. Ma mère est à mille lieues de ce que je t'écris, elle me croit incapable de réflexion. Si elle lisait ma lettre, elle serait stupide d'étonnement. Mon frère m'honore d'un profond mépris, et me continue les bontés de son indifférence. C'est un beau jeune homme, mais quinteux et mélancolique. J'ai son secret: ni le duc ni la duchesse ne l'ont deviné. Quoique duc et jeune, il est jaloux de son père, il n'est rien dans l'État, il n'a point de charge à la cour, il n'a point à dire: Je vais à la Chambre. Il n'y a que moi dans la maison qui ai seize heures pour réfléchir: mon père est dans les affaires publiques et dans ses plaisirs, ma mère est occupée aussi; personne ne réagit sur soi dans la maison, on est toujours dehors, il n'y a pas assez de temps pour la vie. Je suis curieuse à l'excès de savoir quel attrait invincible a le monde pour vous garder tous les soirs de neuf heures à deux ou trois heures du matin, pour vous faire faire tant de frais et supporter tant de fatigues. En désirant y venir, je n'imaginais pas de pareilles distances, de semblables enivrements; mais, à la vérité, j'oublie qu'il s'agit de Paris. Ainsi donc, on peut vivre les uns auprès des autres, en famille, et ne pas se connaître. Une quasi-religieuse arrive, en quinze jours elle aperçoit ce qu'un homme d'État ne voit pas dans sa maison. Peut-être le voit-il, et y a-t-il de la paternité dans son aveuglement volontaire. Je sonderai ce coin obscur.
IV
DE LA MÊME A LA MÊME
Hier, à deux heures, je suis allée me promener aux Champs-Élysées et au bois de Boulogne par une de ces journées d'automne comme nous en avons tant admiré sur les bords de la Loire. J'ai donc enfin vu Paris! L'aspect de la place Louis XV est vraiment beau, mais de ce beau que créent les hommes. J'étais bien mise, mélancolique quoique bien disposée à rire, la figure calme sous un charmant chapeau, les bras croisés. Je n'ai pas recueilli le moindre sourire, je n'ai pas fait rester un seul pauvre petit jeune homme hébété sur ses jambes, personne ne s'est retourné pour me voir, et cependant la voiture allait avec une lenteur en harmonie avec ma pose. Je me trompe, un duc charmant qui passait a brusquement retourné son cheval. Cet homme qui, pour le public, a sauvé mes vanités, était mon père dont l'orgueil, me dit-il, venait d'être agréablement flatté. J'ai rencontré ma mère qui m'a, du bout du doigt, envoyé un petit salut qui ressemblait à un baiser. Ma Griffith, qui ne se défiait de personne, regardait à tort et à travers. Selon mon idée, une jeune personne doit toujours savoir où elle pose son regard. J'étais furieuse. Un homme a très sérieusement examiné ma voiture sans faire attention à moi. Ce flatteur était probablement un carrossier. Je me suis trompée dans l'évaluation de mes forces: la beauté, ce rare privilége que Dieu seul donne, est donc plus commune à Paris que je ne le pensais. Des minaudières ont été gracieusement saluées. A des visages empourprés, les hommes se sont dit: «La voilà!» Ma mère a été prodigieusement admirée. Cette énigme a un mot, et je le chercherai. Les hommes, ma chère, m'ont paru généralement très laids. Ceux qui sont beaux nous ressemblent en mal. Je ne sais quel fatal