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Les Forestiers du Michigan. Jules Berlioz d'Auriac
Читать онлайн.Название Les Forestiers du Michigan
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Jules Berlioz d'Auriac
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Moi aussi: seulement, quand j'ai vu la tourmente qui se préparait, j'ai doublé le pas dans l'espoir d'arriver au fort cette nuit. Mais, le moyen de marcher!.. quand il y a deux pieds de neige!
Les deux nouveaux amis se rassirent auprès du feu, et, commodément appuyés sur le coude, s'envoyèrent réciproquement d'énormes bouffées de fumée: la conversation continua, entremêlée d'un échange de regards curieux.
Par moments ils s'oubliaient dans une rêveuse contemplation de leur feu dont l'activité croissait avec la fureur de l'ouragan. Sur leurs têtes se balançaient mélancoliquement les gigantesques branches chargées de neige, déversant par intervalles de petites avalanches qui roulaient jusque dans le brasier.
– Encore un redoublement de neige! remarqua Johnson après avoir vainement essayé de sonder les ténèbres du regard. Encore quelques heures comme cela, et nous ne pourrons plus regagner le fort.
– Je ne m'étonnerais point qu'elle tombât sans discontinuer tout le jour: la tempête a commencé d'une façon régulière, elle durera longtemps. Vous souvenez-vous de la tourmente qui eut lieu à Noël de l'année dernière? Il neigea sans relâche pendant toute une semaine? fit Veghte d'un ton interrogateur.
– Oui, oui! je m'en souviendrai tant que je vivrai. J'étais à une douzaine de milles du fort Sandusky lorsque ça commença, et j'étais un peu indécis sur la direction que je prendrais. Je me décidai à faire un tour de chasse, et, dans l'après-midi je tirai un ours: cet animal, au lieu de tomber mort tranquillement, prit ses jambes à son cou et se sauva: naturellement, je lui courus après. A la trace du sang sur la neige, je m'apercevais qu'il était grièvement blessé, et je m'attendais, de minute en minute, à le voir culbuter et me donner le temps de le rejoindre. Mais la vilaine brute ne cessa de courir et courir encore jusqu'à la nuit close.
«Sans me décourager, je le suivis de mon mieux, tantôt près, tantôt loin, ne le perdant pas de vue. A la fin, le voyant disparaître comme par enchantement, je doublai le pas si vivement, que, sans m'en apercevoir je perdis pied et me trouvai culbuté dans un trou avec mon diable d'ours.
«Il y eut un petit instant de confusion, j'avais les yeux, le nez, la bouche, pleins de neige. En me relevant j'avais perdu mon gibier; plus d'ours! J'eus beau fouiller les broussailles, vérifier tous les environs; mon stupide animal avait décampé; je n'en ai plus entendu parler.
«Pendant ce temps-là, il avait continué de neiger, et, pour conclusion, il ne me restait d'autre ressource que d'allumer vivement du feu, et de m'organiser un gîte le plus confortablement possible jusqu'au jour. Remarquez bien que l'air était glacial quoiqu'il tombât tant de neige. Nous autres, gens des bois, nous ne sommes jamais en peine pour nous installer; au bout d'une minute j'avais trouvé un gros, bel arbre, un peu creux, parfait pour servir de cheminée.
«Bon! j'allume ma pipe, je m'adosse à mon arbre, et me voilà à réfléchir… Je ne sais pas pourquoi, mais, sans m'en douter, je ne pouvais me sortir cet ours de la tête: Et avec des idées bizarres! qui auraient fait mourir de rire un Indien.
«Je me le figurais grand-père d'une nombreuse famille qui l'attendait ce soir là pour fêter son retour par un beau festin. Je le voyais encore s'asseyant au haut bout de la table aussi majestueusement qu'un vieux général anglais, racontant à ses convives que je l'avais fort maltraité et presque tué, tandis que, lui, il n'avait pas daigné faire un pas contre moi pour se venger. Puis, il me semblait entendre tous ses enfants et ses amis faire serment de me poursuivre à outrance pour laver cette insulte dans mon sang.
«Je ne sais combien de temps avait duré ce fandango de rêveries, lorsque je m'avisai de lever les yeux: mon diable d'ours était là, à six pas, avec sa blessure saignante!
«Oui, Sir! j'étais pétrifié! Je pense que mes cheveux se sont mis tout debout sur ma tête, au point de soulever mon chapeau. Mais, le pire de tout cela, c'était que dans ma préoccupation d'allumer le feu, j'avais oublié mon fusil par terre, assez loin de moi et je n'y avais plus pensé. En regardant l'ours, je m'aperçus que le bout du canon touchait presque une de ses grosses pattes: il n'aurait pas fait bon aller le chercher là.
«La brute avait la gueule grande, ouverte, pleine de sang: à son air je reconnus sans peine qu'elle n'avait pas de bons sentiments pour moi. Je suppose que sa première idée avait été de s'enterrer dans quelque arbre creux pour y mourir; mais ensuite, ne se trouvant pas aussi gravement blessée qu'elle l'avait cru d'abord, elle avait un peu repris courage, avait fait un petit tour dans les environs, et apercevant le feu, était venue voir ce que ça signifiait.
«Il paraît que nous étions tous deux aussi stupéfaits l'un que l'autre, car l'ours s'arrêta en grognant, et me regarda sans bouger pendant deux ou trois minutes. Si j'avais eu l'esprit de me tenir tranquille, l'animal serait parti sans rien me dire: mais j'étais complètement abruti. Voyant que je ne pouvais mettre la main sur mon fusil, je me levai sans trop savoir pourquoi. Tant que j'étais resté immobile, il avait eu l'air de ne pas me reconnaître; dès que j'eus bougé, il comprit son affaire.
«Avec un grondement très-sérieux il marcha sur moi. Je reculai, je pris un tison et le lui présentai au nez. Cette démonstration ne fut pas de son goût; elle le fit reculer à son tour. Cependant il ne s'avoua pas vaincu, et cinq secondes après, il avait regagné son premier poste, et de là, il me guettait avec un certain air qui ne présageait rien de bon.
«Je connus de suite qu'il était déterminé à me surveiller jusqu'au jour: cela me fit songer. Je passai en revue ma provision de bois; il m'en restait juste pour deux heures au plus.
«J'étais donc assez embarrassé de savoir quel parti prendre.
«En regardant autour de moi, je remarquai que l'arbre avait de grosses racines saillantes; je pouvais m'élancer et à l'aide de ce marchepied naturel, grimper sur l'arbre. Mais, au même instant, je fis la réflexion que le tronc était assez gros pour que mon ennemi pût y monter après moi, et qu'il serait fort capable de commettre cette indélicatesse. A ce moment je ne pus m'empêcher de conclure que j'avais tiré un méchant coup de fusil, et que j'avais été bien stupide de laisser fuir cette bête avec une aussi minime blessure.
«Si, seulement, j'avais pu rattraper mon fusil, j'aurais pu terminer assez bien la plaisanterie; mais, comme vous voyez, c'était là, précisément, le point difficile. L'ours était, pour ainsi dire, assis dessus; et il n'aurait, vraiment, pas été commode de le déranger.
«Enfin je me rappelai qu'aucun animal ne tient bon contre le feu, et je me décidai à le charger avec un bon tison.
«J'avisai une superbe branche bien enflammée; pour aviver encore son incandescence, je la fis tournoyer pendant quelques secondes autour de ma tête, et je me jetai sur l'animal en poussant un grand cri.
«Probablement j'aurais réussi à ravoir mon fusil si je n'avais pas fait une fâcheuse glissade. Le talon me tourna si malheureusement que je tombai, et le tison sauta loin de moi.
«Je ne fus pas long à me relever; mais toute mon agilité ne me procura d'autre profit que de n'avoir pas été mis en pièces par les griffes de cette brute obstinée.
«Pendant ce temps, mon feu baissait; il n'en avait pas pour longtemps à s'éteindre. Ça me contrariait, car il n'allait pas faire bon, sans foyer, par une nuit aussi froide; impossible de faire du bois, l'autre me guettait.
«Vlan! je prends mon élan, je saute en l'air et me voilà sur l'arbre! Avant de gagner la cime, je donne un coup d'œil en bas, pour savoir ce que faisait mon compagnon.
«Il paraît que j'avais fait mon ascension au moment où il ne me regardait pas, car je l'aperçus tournant la tête en tout sens comme s'il me cherchait.
«Ce n'était pas le cas de rien dire; je grimpai tout doucement jusqu'aux plus hautes branches, et je m'y installai le mieux possible en attendant le jour. Mais, le poste était terriblement peu confortable, je vous en réponds! Il n'y faisait pas bon, à cheval sur la rude écorce, dans une atmosphère glaciale, sous la neige tombant à gros flocons. Que voulez-vous? Je n'avais pas le choix de prendre un autre parti, il fallait bien en passer par là.
«Dès