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du couchant, cette Inde dont tu parles, où Sémiramis fut vaincue.

SALEMÈNES

      Je sais qu'il y eut un homme de ce nom: et tu comprends sans doute que, s'il a passé pour un dieu, c'est à cause de ses hauts faits?

SARDANAPALE

      Et je le révère dans ses divins attributs, sans l'imiter dans ses actions humaines. – Holà! mon échanson!

SALEMÈNES

      Que désire le roi?

SARDANAPALE

      Honorer un dieu de fraîche date, un conquérant des anciens jours. Un peu de vin, dis-je.

(Entre l'échanson.)SARDANAPALE, à l'échanson

      Donne-moi le gobelet d'or enrichi de perles, qui porte le nom de coupe de Nemrode. Remplis-le, et présente-le moi aussitôt.

(L'échanson sort.)SALEMÈNES

      C'est bien le moment, en effet, de la remplir, pour signaler la continuation d'une fête que le sommeil n'a pas encore interrompue.

(L'échanson rentre avec du vin.)SARDANAPALE, prenant la coupe

      Mon noble parent, si les Grecs, barbares habitans de nos lointains rivages et des limites de nos empires, ne mentent pas, ce Bacchus a conquis l'Inde entière, n'est-ce pas?

SALEMÈNES

      Sans doute, et de là l'origine de son apothéose.

SARDANAPALE

      Non, non: de toutes ses conquêtes, il ne reste que quelques colonnes à sa gloire, peut-être, et qui le seraient à la mienne, si je les jugeais dignes d'être acquises et transportées; elles fixent la borne des mers de sang qu'il répandit, des empires qu'il ravagea et des hommes qu'il égorgea. Mais, là, là, dans ce gobelet est son véritable titre à l'immortalité; c'est la céleste grappe dont, le premier, il exprima l'âme, et qu'il transmit, pour enchanter celle de l'homme, sans doute, comme une sorte d'allègement aux désastres de sa vie victorieuse. Sans elle, il eût conservé le nom et la tombe d'un mortel; comme Sémiramis, mon aïeule, on l'eût pris comme une espèce de monstruosité semi-glorieuse. Voilà ce qui le fit monter au rang des dieux: – consens donc aujourd'hui à t'humaniser à son exemple, mon grave et soucieux frère: bois avec moi aux dieux de la Grèce!

SALEMÈNES

      Au prix de tous tes royaumes, je ne voudrais pas profaner ainsi la religion de notre pays.

SARDANAPALE

      C'est-à-dire que tu le juges un héros, parce qu'il répandit le sang par torrens, et que tu le désavoues comme dieu, parce qu'il sut trouver dans un fruit un charme qui réjouit les tristes, ranime les vieillards, inspire les jeunes gens, force le désespoir à oublier ses douleurs, et la crainte ses périls, enfin ouvre un nouveau monde quand celui-ci devient pour nous un objet d'ennui. Eh bien donc, je bois à toi et à lui comme n'ayant été qu'un homme; mais comme ayant également mérité la plus juste admiration du genre humain par les biens et par les maux qu'il répandit. (Il boit.)

SALEMÈNES

      Penses-tu donc renouer un festin à cette heure?

SARDANAPALE

      Si je le faisais, comme il ne coûterait pas une seule larme, il vaudrait mieux qu'un glorieux trophée; mais ce n'est pas mon intention, et puisque tu ne veux pas me faire raison, continue comme il te plaira. (À l'échanson.) Valet, retire-toi. (L'échanson sort.)

SALEMÈNES

      Je ne voudrais que te rappeler d'un songe, et te réveiller ainsi plus doucement qu'une révolte ne le ferait.

SARDANAPALE

      Et qui se révolterait? pourquoi? quelle cause, ou du moins, quel prétexte? Ne suis-je pas roi légitime? issu d'une race de rois qui n'ont pas eu d'autres ancêtres? Qu'ai-je pu faire, à toi ou au peuple, que tu doives contrôler, ou qu'il puisse faire tourner contre moi?

SALEMÈNES

      Quant à ta conduite envers moi, je n'en parlerai pas.

SARDANAPALE

      Mais, sans doute, à ton avis, j'aurai fait injure à la reine; n'est-ce pas?

SALEMÈNES

      À mon avis, oui; tu l'as outragée.

SARDANAPALE

      Un moment de patience, prince, et écoute. Elle a le rang, les honneurs, les respects qu'elle a droit d'attendre; la tutelle des héritiers de l'empire, les hommages et les prérogatives de la souveraineté. Je l'ai épousée, comme le font les rois, par convenance, et je l'aimais comme la plupart des maris chérissent leurs épouses. Que si vous supposiez, elle ou toi, que je dusse me conduire comme avec sa femme un paysan chaldéen, vous ne connaissez ni moi, ni les rois, ni la nature humaine.

SALEMÈNES

      Laissons cela, je te prie; je rougirais de me plaindre, et la sœur de Salemènes ne demande pas du souverain de la Syrie lui-même un amour forcé. Daignerait-elle, d'ailleurs, accepter des hommages que tu partagerais avec des prostituées étrangères, et des esclaves ioniennes? La reine garde le silence.

SARDANAPALE

      Et pourquoi pas son frère?

SALEMÈNES

      Je ne suis que l'écho des empires que celui qui long-tems les néglige ne gouvernera pas long-tems.

SARDANAPALE

      Ingrats et sots esclaves! Ils murmurent de ce que je n'ai pas répandu leur sang; de ce que je ne les ai pas conduits dans les sables du désert pour y dessécher par millions; de ce que je n'ai pas blanchi avec leurs os les rivages du Gange; de ce que je ne les ai pas décimés par des lois sauvages, ou épuisés à construire des pyramides ou des murailles babyloniennes.

SALEMÈNES

      Oui, ces trophées eux-mêmes seraient plus dignes d'un peuple et d'un souverain, que des chants, des concerts, des fêtes, des concubines, des trésors dilapidés et des vertus mises en oubli.

SARDANAPALE

      Oh! pour mes trophées, j'ai fondé des villes; Tarse et Anchialus furent élevées en un jour; – et que pourrait de plus cette belle sanguinaire, mon aïeule guerrière, la chaste Sémiramis, si ce n'est les détruire?

SALEMÈNES

      J'en conviens; ta vertu s'est montrée dans l'érection de ces villes, fondées par suite d'un caprice, et recommandées par un vers qui doit les déshonorer avec toi dans les âges futurs.

SARDANAPALE

      Me déshonorer! Par Baal, ces villes, quoique fort bien bâties, ne sont pas plus belles que ces vers. Dis contre moi, contre mes mœurs, tout ce que tu voudras; mais ne va pas nier la vérité de cette courte sentence; elle te rappellera l'histoire de toutes les choses humaines. Écoute:

      Sardanapale, roi, fils d'Anacyndaraxe,

      A bâti dans un jour Anchiales et Tarse:

      Bois, mange, fais l'amour: tout le reste n'est rien.

SALEMÈNES

      Admirable morale! et belle inscription pour un roi, à mettre sous les yeux de ses sujets!

SARDANAPALE

      Oh! sans doute, tu voudrais me voir publier en forme d'édits: «Obéissez au roi, – joignez vos tributs à ses trésors, – recrutez ses phalanges, – répandez votre sang à son premier commandement, – courbez-vous et glorifiez, ou levez-vous et travaillez.» Ou bien encore: – «Sardanapale, en ce lieu, égorgea cinquante mille de ses ennemis; voilà leur sépulcre, et voici son trophée.» Je laisse de tels soins aux conquérans; c'en est assez pour moi de chercher à alléger, pour mes sujets, le poids des misères humaines, et à adoucir leur descente vers la tombe; je ne prends aucune licence que je ne leur accorde. Tous, nous sommes des hommes.

SALEMÈNES

      Mais, tes aïeux furent honorés comme des dieux.

SARDANAPALE

      Des dieux! morts et pulvérisés, c'est-à-dire n'étant plus ni dieux ni hommes. Ne viens pas me parler de telles choses! Les vers seuls sont des dieux, puisqu'ils se repaissent de vos dieux, puisqu'ils meurent d'inanition, quand ces mets viennent à leur manquer. Crois-moi, tes divinités n'étaient que des hommes; regarde leur postérité. – Dans moi, je sens mille preuves de ma mortalité, aucune de ma nature céleste, à moins qu'on ne prenne pour telle, justement ce que vous condamnez, un penchant à l'amour, à la clémence, au pardon des folies de mes semblables, et (ce qui tient

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