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moires du Baron de Bonnefoux, Capitaine de vaisseau, 1782-1855

      PRÉFACE

      De nombreuses générations de marins ont, au cours de ce siècle, étudié les livres du vaillant officier, dont nous publions aujourd'hui les Mémoires. Doué d'un esprit méthodique et clair, il publiait, dès 1824, le premier volume des Séances nautiques ou Traité du navire à la mer, suivi plus tard du Traité du navire dans le port, et apprenait ainsi les éléments de l'art du marin aux jeunes gens désireux d'exercer cette noble profession et que n'avaient pas découragés les revers.

      Plus tard, lorsque les aspirants de la Restauration occupaient déjà dans leur Corps un rang élevé, il s'associait son gendre, le capitaine de vaisseau Pâris, mort, en 1893, vice-amiral et membre de l'Institut, et dont on n'a pas oublié la belle et originale figure. De la féconde collaboration de ces deux hommes distingués sortait, en 1848, le Dictionnaire de la marine à voile et de la marine à vapeur1, œuvre considérable, dont le succès dura longtemps et qui exerça une influence de premier ordre sur l'histoire des sciences nautiques dans notre pays.

      Ce n'était pas seulement comme écrivain que les officiers de la Marine française connaissaient M. de Bonnefoux. À la Compagnie des Élèves de Rochefort, au Collège royal de Marine d'Angoulême, à l'École navale de Brest, beaucoup d'entre eux avaient apprécié, par eux-mêmes, son tact, sa connaissance des hommes, ses qualités d'éducateur.

      Pendant sa laborieuse retraite, l'ancien commandant de l'Orion pouvait donc jeter un regard tranquille sur sa vie déjà longue, riche en œuvres et en services rendus au pays. Néanmoins il ne la considérait pas sans quelque amertume. Car la disproportion était grande entre le rêve de gloire de la jeunesse et les résultats de l'âge mûr. M. de Bonnefoux appartenait en effet à la génération des sous-lieutenants qui commencèrent l'épopée impériale, et il ne tint qu'à lui de suivre Bernadotte comme aide de camp. Il ne voulut pas rompre les liens qui l'unissaient à la Marine; mais il espérait un avenir de combats et de triomphes. Entouré de jeunes aspirants instruits comme lui, comme lui pleins d'ardeur et de patriotisme, il ne doutait pas des destinées de la Marine française. Les faits semblèrent d'abord justifier ses espérances, et nulle carrière ne commença d'une façon plus brillante que la sienne. Comment aurait-il regretté de ne pas prendre part aux exploits de la Grande Armée, quand, enseigne de vaisseau de vingt et un ans, il commandait la manœuvre sur la frégate la Belle-Poule, pendant sa croisière de trois années dans les mers de l'Inde, coupait vingt-six fois la ligne équinoxiale, et se distinguait, lors du combat soutenu contre le vaisseau de 74 canons, le Blenheim? Comment souhaiter une meilleure école que cette «navigation contre vents et marées dans des archipels semés de récifs dont, à cette époque, l'hydrographie était à peine esquissée, où souvent l'on faisait par jour quinze mouillages pour gagner une lieue2»? Seulement la déception fut extrême, lorsque le rêve prit fin brusquement et que M. de Bonnefoux se trouva prisonnier, à vingt-quatre ans, après le dernier et glorieux combat de la Belle-Poule. Avoir mené pendant trois ans la plus belle vie que puisse désirer un marin, vie de dangers, d'activité virile, de vigilance de tous les instants, pour aboutir aux cautionnements anglais et au ponton le Bahama! Le réveil était rude! Plus tard, à la catastrophe individuelle, s'ajouta la catastrophe nationale. La Marine, déjà beaucoup trop négligée par Napoléon, se trouva encore réduite, et elle n'avait pas, comme l'armée de terre, pour la consoler quelque peu dans la défaite suprême, le souvenir de prodigieuses victoires. Heureux les officiers auxquels échut la bonne fortune de prendre part aux derniers voyages de découvertes, ou de tirer le canon de Navarin! Je ne parle pas de ceux qui, comme Laurent de Bonnefoux, frère de notre auteur, et beaucoup d'autres, tombèrent en captivité avec le grade d'aspirant, et que le Gouvernement licencia à la paix. Parmi eux, cependant, plusieurs s'étaient conduits en héros.

      Les Mémoires présentent le tableau fidèle de la vie de M. de Bonnefoux jusqu'en 1835, vingt ans avant sa mort. Considérée en elle-même et dans ses rapports avec l'histoire de la Marine pendant près de cinquante ans, cette vie ne manque pas d'intérêt. Après les riantes descriptions de Java ou de l'Île-de-France, les sombres tableaux des pontons anglais.

      Pierre-Marie-Joseph de Bonnefoux naquit à Béziers, dans le Languedoc, le 22 avril 1782. Son père, Joseph de Bonnefoux, capitaine au régiment de Vermandois et chevalier de Saint-Louis, portait le nom de chevalier de Beauregard. Il appartenait à une famille noble de l'Agenais, qui avait fourni et qui fournissait encore de nombreux officiers à l'armée. En 1786, il comptait trois de ses neveux officiers d'infanterie comme lui, et un autre, lieutenant de vaisseau3.

      La mère de P. – M. – J. de Bonnefoux, Catherine-Julienne-Gabrielle Valadon, était fille d'un médecin distingué de Béziers, ancien consul et apparenté aux premières familles du pays.

      La vie était douce, à la fin du XVIIIe siècle, dans une ville comme Béziers4, placée sous un beau ciel et dans une situation charmante, fière de ses 18.000 habitants, de ses monuments et de son antiquité. La première enfance de M. de Bonnefoux s'y écoula très heureuse, et il conserva toujours beaucoup d'attachement pour sa ville natale, ainsi, du reste, que pour Marmande, berceau de sa famille paternelle, où il séjourna à diverses reprises.

      Vint cependant le temps des études qu'il fit à l'École royale militaire de Pont-Le-Voy, où M. de La Tour du Pin, ministre de la Guerre, le fit entrer en qualité d'élève du roi, comme fils d'officier, chevalier de Saint-Louis. P. – M. – J. de Bonnefoux s'y montra élève appliqué et intelligent. Séparé des siens, ne recevant plus d'argent de sa famille ruinée par la Révolution, il n'en travaillait pas moins avec ardeur et se proposait d'achever à Pont-Le-Voy ses humanités, lorsque, vers la fin de 1793, le Gouvernement renvoya du collège les fils d'officiers, au nombre de deux cents.

      À l'âge de onze ans et demi, J. de Bonnefoux se vit abandonné, à Tours, «avec un petit paquet de linge plié dans un mouchoir bleu, un assignat de trois cents francs, qui, alors, en valait à peine la moitié, un passeport et un certificat de civisme5».

      Il s'agissait de traverser la plus grande partie de la France pour se rendre à Béziers. Le jeune écolier accomplit sans encombre ce long voyage; mais, quand il arriva sain et sauf dans la maison paternelle, il trouva son père en prison et sa mère malade.

      Les années qui suivirent se passèrent pour J. de Bonnefoux, à Béziers et à Marmande; si les circonstances ne se prêtaient pas à des études régulières, il n'oublia pas ce qu'il avait appris à Pont-Le-Voy, et il compléta son instruction par des lectures sous la direction d'un vieil officier érudit et aimable, M. de La Capelière, autrefois employé au Canada; il fréquenta en même temps la société polie, qui commençait à se réunir de nouveau.

      Si M. de La Capelière l'entretenait du Canada, son père lui parlait des Antilles où le régiment de Vermandois avait tenu garnison pendant plusieurs années. Ce qui entraîna J. de Bonnefoux vers la Marine, ce fut, cependant, moins ces conversations que l'exemple et les conseils de son cousin germain, Casimir de Bonnefoux, lieutenant de vaisseau à la fin de l'ancien régime et portant alors le nom de chevalier de Bonnefoux.

      Grâce à ses relations, le père de notre auteur, déjà officier au régiment de Vermandois, avait jadis obtenu une place dans une École militaire pour le second fils de son frère aîné, Léon de Bonnefoux, ancien officier qui vivait dans ses terres auprès de Marmande avec ses quatre fils et ses deux filles. Sorti de cette École militaire aspirant garde de la Marine, Casimir de Bonnefoux garda toujours à son oncle une vive gratitude, et il en donna la preuve à ses deux fils.

      Casimir de Bonnefoux appartenait à la Marine du règne de Louis XVI, la plus belle époque de l'histoire de la Marine française: «De l'honneur, du courage et des moyens», telle est la note qui figure à son dossier au Ministère de la Marine.

      Aux qualités de l'homme de mer et aux talents de l'administrateur, il joignait les grâces de l'homme du monde. Élevé dans les salons du XVIIIe siècle, d'un esprit fin et cultivé, il savait conter et écrire. Son cousin, moins âgé que lui de vingt et un ans, apprécia vite sa bonté unie à une réelle fermeté; il le révéra et l'aima comme un père, et rien

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<p>1</p>

M. de Bonnefoux rédigea le premier volume ou Dictionnaire de la marine à voile, M. Pâris, le second ou Dictionnaire de la marine à vapeur.

<p>2</p>

Albert de Circourt, Notice sur le capitaine de vaisseau de Bonnefoux, p. 5 (Extrait des Nouvelles Annales de la Marine et des Colonies, numéro de mars 1856). M. le comte de Circourt, que l'Assemblée nationale de 1871 élut conseiller d'État, avait été aspirant de Marine. Il conserva de M. de Bonnefoux le souvenir le plus respectueux et le plus reconnaissant, jusqu'au jour où il s'éteignit lui-même, après une longue vie consacrée tout entière au travail et aux bonnes œuvres.

<p>3</p>

Le nom est quelquefois orthographié Bonafoux ou Bonnafoux; mais la véritable orthographe est Bonnefoux.

<p>4</p>

En 1772, l'abbé Expilly, dans son Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, dit au mot Besiers ou Béziers (Biterrae): «On ne connaît guère de situations plus charmantes que celle de la ville de Besiers: c'est ce qui a fait dire que, si Dieu voulait faire son séjour sur terre, il le ferait à Besiers: Si Deus in terris velit habitare, Biterris. Les mauvais plaisants ajoutent: ut iterum crucifigeretur.» Le même auteur ajoute un peu plus loin: «Que ce soit l'excellence du climat ou la qualité excellente des aliments qui donne aux hommes une bonne constitution et de l'esprit, il n'en est pas moins certain que la ville de Besiers a toujours été féconde en sujets d'un rare mérite.»

<p>5</p>

Voyez ces Mémoires, liv. I. ch. II.