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exemple, d'une conception si grandiose, ne l'entendrons-nous pas? Et ce charmant opéra, Beatrix et Bénédict, ne se trouvera-t-il pas un directeur pour le mettre au répertoire? Ce serait une tentative qui, par ce temps de revirement de l'opinion en faveur de Berlioz, aurait de grandes chances de réussite, sans avoir le mérite et les dangers de l'audace; il serait intelligent d'en profiter.

      Les lettres qu'on va lire ont un double attrait: elles sont toutes inédites et toutes écrites sous l'empire de cette absolue sincérité qui est l'éternel besoin de l'amitié. On regrettera, sans doute, d'y rencontrer certains manques de déférence envers des hommes que leur talent semblait devoir mettre à l'abri de qualifications irrévérencieuses et injustes; on trouvera, non sans raison, que Berlioz eût mieux fait de ne pas appeler Bellini un «petit polisson», et que la désignation d'«illustre vieillard», appliquée à Cherubini dans une intention évidemment malveillante, convenait mal au musicien hors ligne que Beethoven considérait comme le premier compositeur de son temps et auquel il faisait (lui Beethoven, le symphoniste géant) l'insigne honneur de lui soumettre humblement le manuscrit de sa Messe solennelle, œuvre 123, en le priant d'y vouloir bien faire ses observations.

      Quoi qu'il en soit, et malgré les taches dont l'humeur acariâtre est seule responsable, ces lettres sont du plus vif intérêt. Berlioz s'y montre pour ainsi dire à nu; il se laisse aller à tout ce qu'il éprouve; il entre dans les détails les plus confidentiels de son existence d'homme et d'artiste; en un mot, il ouvre à son ami son âme tout entière, et cela dans des termes d'une effusion, d'une tendresse, d'une chaleur qui montrent combien ces deux amis étaient dignes l'un de l'autre et faits pour se comprendre. Se comprendre! ces deux mots font penser à l'immortelle fable de notre divin la Fontaine: les deux Amis.

      Se comprendre! entrer dans cette communion parfaite de sentiments, de pensées, de sollicitude à laquelle on donne les deux plus beaux noms qui existent dans la langue humaine, l'Amour et l'Amitié! C'est là tout le charme de la vie; c'est aussi le plus puissant attrait de cette vie écrite, de cette conversation entre absents qu'on a si bien nommée la correspondance.

      Si les œuvres de Berlioz le font admirer, la publication des présentes lettres fera mieux encore: elle le fera aimer, ce qui est la meilleure de toutes les choses ici-bas.

CH. GOUNOD.

      AVANT-PROPOS

      La vie de Berlioz ne nous est guère connue que par les Mémoires qu'il a publiés de son vivant, non pour le vain plaisir d'écrire des confessions, mais pour laisser une notice biographique exacte qui, par le récit de ses luttes et de ses déboires, pût servir d'enseignement aux jeunes compositeurs. Aussi, tout en parlant avec détails de sa carrière d'artiste, a-t-il été sobre de confidences sur sa vie privée. Il en a omis les particularités les plus intéressantes, et, quand il en a rapporté certains épisodes, il l'a fait avec toutes les restrictions possibles, ou les a présentés sous un jour dramatique qui leur enlève leur plus grand charme, la sincérité de l'expression. A bien des égards, il lui était difficile d'agir autrement. S'il est permis à un écrivain de dissimuler des faits personnels sous la fiction du roman, il y a quelque chose de pénible à voir un homme de talent abuser de sa célébrité pour dévoiler au public l'intimité de sa vie et éparpiller devant lui le tiroir aux souvenirs. Berlioz n'a donc raconté que ce qu'il pouvait dire sans nuire à sa dignité. Mais la postérité est tenue à moins de réserve, surtout quand une existence se présente comme celle-là, toute pleine des agitations d'un caractère exceptionnel et des tourments d'un génie incompris et opprimé.

      Une partie de la Correspondance de Berlioz, recueillie et publiée récemment avec un grand soin par M. Daniel Bernard, a commencé de mettre au jour nombre de points laissés dans l'ombre par les Mémoires. Mais ces lettres ne nous entretiennent encore que de ses travaux, de ses voyages. Elles ne nous révèlent pas le Berlioz entrevu dans les Mémoires: la nature fougueuse, ardente à la polémique de l'artiste, s'y répand en acerbes revendications; son cœur reste fermé, ne livre aucun des secrets qui l'agitent; son esprit ne nous fait pas assister à l'éclosion et au développement des conceptions qui le hantent.

      Berlioz n'a vraiment et sincèrement ouvert son âme qu'à une seule personne, à Humbert Ferrand. Parmi tous les amis qui l'ont entouré de leur sollicitude, il ne semble pas qu'il en ait rencontré de plus dévoué; à coup sûr, c'est celui qu'il a le plus aimé. Depuis leur première rencontre, en 1823, jusqu'à sa mort, en 1869, rien n'a pu altérer la profonde affection qu'il lui portait. Eloignés l'un de l'autre par les tracas d'une carrière à faire ou par les soucis d'intérêts à soigner, ne trouvant l'occasion de se voir qu'à de rares intervalles, Berlioz et Ferrand ont dû recourir à une correspondance active et très détaillée pour se tenir mutuellement au courant des moindres incidents de leur vie. Pour Berlioz surtout, très expansif, prompt à l'enthousiasme, s'exaspérant contre les difficultés de sa position, dominé par une imagination d'une mobilité excessive, c'était là un besoin absolu. Sa correspondance avec Humbert Ferrand, embrassant presque toute sa vie, devient de la sorte une autobiographie d'autant plus intéressante qu'elle a été écrite au jour le jour, en dehors de toute préoccupation du public.

      I

La Côte-Saint-André (Isère), 10 juin 18251.

      Mon cher Ferrand,

      Je ne suis pas plus tôt hors de la capitale, que je ne puis résister au besoin de converser avec vous. Je vous avais moi-même engagé à ne m'écrire que quinze jours après mon départ, afin de ne pas demeurer trop longtemps ensuite sans avoir de vos nouvelles; mais je viens vous engager aujourd'hui à le faire le plus tôt possible, parce que j'espère que vous ne serez pas assez paresseux pour vous contenter de m'écrire une fois et pour me laisser languir pendant deux mois, comme l'homme de la douleur éloigné du rocher de l'Espérance et qui voudrait bien aller prendre une glace à la vanille chez Tortoni (Poitier, in. lib. Blousac, page 32).

      J'ai fait un voyage assez ennuyeux jusqu'à Tarare; là, étant descendu pour monter à pied, je me suis trouvé, comme malgré moi, engagé dans la conversation de deux jeunes gens qui m'avaient l'air dilettanti et dont, comme tels, je ne m'approchais guère. Ils ont commencé à m'apprendre qu'ils allaient au mont Saint-Bernard faire des paysages et qu'ils étaient élèves de peinture de MM. Guérin et Gros; sur quoi, je leur ai appris à mon tour que j'étais élève de Lesueur; ils m'ont fait beaucoup de compliments sur le talent et le caractère de mon maître; tout en causant, l'un des deux s'est mis à fredonner un chœur des Danaïdes.

      – Les Danaïdes! me suis-je écrié; mais vous n'êtes donc pas dilettante?..

      – Moi, dilettante? m'a-t-il répliqué; j'ai vu trente-quatre fois Dérivis et madame Branchu dans les rôles de Danaüs et d'Hypermnestre.

      – Oh!..

      Et nous nous sommes sautés au col sans autre préambule.

      – Ah! monsieur, madame Branchu!.. ah! M. Dérivis!.. Quel talent!.. quel foudre!

      – Je le connais beaucoup Dérivis, a dit l'autre.

      – Et moi donc! j'ai l'avantage de connaître également la sublime tragédienne lyrique.

      – Ah! monsieur, que vous êtes heureux! On dit que, indépendamment de son prodigieux talent, elle est, en outre, fort recommandable par son esprit et ses qualités morales.

      – Certainement, rien n'est plus vrai.

      – Mais, messieurs, leur ai-je dit, comment se fait-il que, n'étant pas musiciens, vous n'ayez point été infectés du virus dilettantique, et que Rossini ne vous ait pas fait tourner le dos au naturel et au sens commun?

      – C'est, m'ont-ils répondu, qu'étant habitués à rechercher en peinture le grand, le beau et surtout le naturel, nous n'avons pu le méconnaître dans les sublimes tableaux de Glück et de Saliéri, non plus que dans les accents à la fois tendres, déchirants et terribles de madame Branchu et de son digne émule. Conséquemment, le genre de musique à la mode ne nous entraîne pas plus que ne le feraient des arabesques ou des croquis de l'école

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Berlioz avait alors vingt-deux ans. Il se trouvait à cette époque critique de la vie de l'artiste et de l'écrivain où, la vocation l'emportant sur des aspirations mal définies, l'avenir se décide sans retour. Il venait de faire exécuter à Saint-Roch une messe à grand orchestre, qui ne lui rapportait rien, mais qui redoublait sa résolution de se consacrer uniquement à la musique. Par contre, il échouait au concours pour le prix de Rome, ce qui déterminait sa famille à lui supprimer sa modique pension d'étudiant en médecine. Avec la joie d'affirmer son talent et l'orgueil d'attirer pour la première fois sur son nom l'attention du public et de la presse, commençaient les embarras qui, jusqu'à son dernier jour, ont pesé sur sa vie. Il s'était rendu en toute hâte à la Côte-Saint-André, sa ville natale, pour conjurer l'orage qui le menaçait après son échec de l'Institut.