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sortit en chancelant, s'en alla par les allées, buvant toujours, criant plus fort:

      – J'ai trouvé l'El Dorado du monde, moi, Cormack le gueux!.. Ohé, les amis. Il y a vingt ans que je le cherche, mais je l'ai, à la fin des fins!.. À votre santé!.. Eh! houp là!

      À chaque seuil, à la porte de la fille comme à celle du scorbutique, qui en oubliait son agonie, des visages étonnés ou incrédules apparaissaient maintenant, et, l'oreille tendue aux vociférations de l'ivrogne, échangeaient quelques mots à demi-voix:

      – C'est Cormack, qui a épousé une Indienne Tagish, une Siwash3!

      – Oui, un menteur… comme toute sa tribu de meurt-de-faim!

      – Pourtant, il a de l'or, et du plus gros que celui d'ici! Henry l'a pesé.

      – Est-il Dieu possible? Il a dû le voler!

      – Je vous dis qu'on en jamais vu de pareil.

      – Riche! je suis riche, riche, riche! hurla de nouveau Cormack.

      Il tremblait trop pour achever la bouteille, dont le goulot, manquant sa bouche laissait tomber le wisky dans son cou.

      Cependant il continua à avancer tant bien que mal, en trébuchant à chaque pas. Et le vent qui, tous les soirs, dix mois sur douze, remonte le fleuve pour souffler le froid et la mort, le vent du pôle ramassa, emporta en un confus mélange les cris du millionnaire, les gémissements du mourant, les chants de la prostituée: tout le long du Yukon ce fut une clameur lointaine, un bruit d'échos de plus en plus faible, – hou! hou! hou-ou! – peut-être les génies du fleuve qui riaient de la découverte du Klondike. – Toujours accroupi, l'Indien écoutait et avait peur.

      Un groupe maintenant suivait Cormack. Il fallait absolument lui faire dire où il avait déterré ses vingt dollars. Mais, au lieu de répondre, il buvait, ou plutôt, cherchait à boire, jusqu'à ce qu'il fût arrivé à la tanière où il roula ivre-mort. Fort désappointés, les curieux furent obligés de l'y laisser cuver les drogues d'Oppenheim. Et, haussant les épaules, ils s'en retournaient.

      – Est-ce qu'il se figure, ce Siwash, qu'il va nous faire courir les marécages avec des contes de soûlard? C'est de l'or de quelque arrivant de Californie… Il se moque de nous!

      Tout était rentré dans le silence, au Forty Mile, quand survint un vieux trappeur canadien, Boucher, auquel on avait raconté la chose. Lui seul, peut-être, avec son camarade Juneau, pouvait obtenir la vérité du chasseur d'or. Cependant, lorsqu'il le vit à terre, il hocha la tête:

      – Il en a pour vingt-quatre heures!.. Quel malheur qu'on ne puisse rien apprendre avant les autres!.. L'Indien, là-bas, ne sait rien ou ne veut rien dire.

      – J'ai un restant d'ammoniaque dans ma cabane, fit Juneau.

      – Vrai? Par Jupiter, vous êtes un génie! aidez-moi à mettre Georges sur ses fourrures, et courez ensuite chercher le flacon… Moi qui n'y pensais pas!.. Ça va lui faire éternuer la vérité!

      Dans un coin obscur, sans bouger, la squaw de Cormack guettait les amis de son mari: elle a raconté plus tard aux siens que la petite fiole du chasseur blanc contenait un esprit très puissant, puisqu'une fois entré dans le nez de Georgie, Hi-ya! il le fit sauter comme un saumon au bout d'un harpon! «Ik-ta mika tum-tum?4»

      – Au secours! cria Cormack entre deux éternuements. On m'empoi… Tiens, c'est vous, Boucher? Atchi! Holà!

      – Oui, mon vieux… Juneau et moi, nous venons de vous sauver la vie. Ce n'est pas moi, c'est Oppenheim qui vous avait empoisonné. Mais vous voilà mieux.

      La conversation fut coupée court par une nouvelle crise: décidément la médication était par trop énergique. Enfin, Georges reprit la parole, en pleurant de grosses larmes:

      – Vous avez raison. Jamais je n'irai plus chez lui. J'achèterai un bar pour moi tout seul, et, dedans, j'y mettrai tout ce qu'il y a de meilleur, tout ce qui coûte le plus cher… Je suis riche.

      – Sûr?

      – Regardez!

      Il montra sa fameuse cartouche. Boucher en examina une à une les pépites, les soupesa, les lécha même, pour mieux se rendre compte.

      – L'or du ruisseau Napoléon ressemble à des graines de concombre, dit-il enfin; celui du Miller est rouillé, il a mauvaise mine; l'or du Glacier a la forme de cœurs. Celui-ci semble cassé d'hier. Comme il est gros! Cormack, mon vieux…

      Il regarda autour de lui: la porte était fermée, et, dans la cabane, avec eux il n'y avait que Juneau et madame Cormack. Il reprit donc:

      – Mon vieux camarade, où as-tu trouvé cet or? Donne-nous une chance avant les autres…

      – Oui, je te le dirai, Boucher, parce que toi, et Juneau, vous êtes les seuls qui ne vous soyez pas ri de moi quand j'ai épousé ma Siwash… Et je l'aime mieux qu'une blanche, allez!.. Écoute… Écoutez tous les deux…

      Trois têtes se touchèrent dans l'ombre, échangèrent quelques mots à voix basse. Enfin, Boucher se releva:

      – Bien sûr?.. Tu ne voudrais pas te moquer de moi, dis, Cormack? Je commence à être vieux pour courir, et je suis si pauvre!..

      – Pauvre! – cria l'ivrogne avec une exaltation extraordinaire, – tu dis: pauvre!.. Tu peux être comme Mackay après-demain, sûr comme l'or que tu vois là… Seulement, dépêchez-vous, partez, filez, ramez dur! D'autres pourraient trouver la place… Moi, je vais dormir.

      Juneau et Boucher se levèrent sans ajouter un mot. Comme ils ouvraient la porte, Cormack les rappela.

      – Sûr comme cet or-là… Y a-t-il une corde sous mon lit? Oui? Eh bien, si je vous trompe, revenez me pendre avec… je me laisserai faire!

      Un petit groupe attendait au dehors; on interrogea les deux amis: ils répondirent que pour le moment il n'y avait moyen de rien apprendre, que Cormack avait fait «la fête» et que, par conséquent, il fallait prendre patience bon gré mal gré. Puis, ils rentrèrent dans leur cabane, la verrouillèrent, sortirent à la dérobée par derrière, et s'en furent droit à leur canot sur les bords du fleuve.

      – Boucher, fit Juneau, va chercher des provisions pour dix jours; moi, j'irai quérir le jeune Mac Donald. Il nous faut de l'aide pour remonter le courant; autant lui qu'un autre; quand il veut, il a des bras solides… et je parie que, d'ici à deux heures, Cormack aura parlé de nouveau. Allons, vite!

      Ils se pressèrent tellement, les deux vieux, que vingt minutes plus tard leur petite embarcation disparaissait en amont; pas assez vite, pourtant, pour qu'Oppenheim ne les aperçût tandis qu'il fermait sa porte en bâillant une dernière fois. Debout, à l'arrière, Juneau guidait l'embarcation au moyen de sa gaffe, tandis que Mac Donald, à l'avant, courbé sur la sienne, avançait à force de «rétablissements». Au milieu, Boucher reprenait haleine en attendant son tour. Et, quarante-huit heures durant, avec à peine deux heures de sommeil et quelques haltes pour manger, les trois voyageurs se remorquèrent ainsi, tantôt à la gaffe, tantôt à la corde, jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés en face des huttes indiennes du Thron-diuck5, – «la rivière aux poissons». – Alors, Boucher se leva et, montrant du doigt les eaux transparentes de ce quasi torrent:

      – C'est là, dit-il.

      Pour mieux voir, les autres se mirent à genoux. Un souffle froid sortit des montagnes, passa sur le marécage où devait surgir Dawson City trois mois plus tard, et s'en vint les faire grelotter sous leur sueur. Juneau dit:

      – Brrr! abordons, voulez-vous? Ça sent la mort par ici: une tasse de café nous ravigotera.

      – Certes, oui, et aussi un peu de sommeil, puisque nous voilà arrivés. Quel métier de cheval depuis deux jours! Cette corde m'a scié l'épaule en deux… Et tout ça, peut-être, pour faire rire Cormack. Bah!

      Mac Donald, qui parlait ainsi, avait

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<p>3</p>

Prononcez: Si-ouosh, – appellation générique des indiens au Yukon.

<p>4</p>

«Qu'est-ce que vous pensez de ça?»

<p>5</p>

Le nom indien du Klondike.