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Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines;. Arnould Sophie
Читать онлайн.Название Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines;
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/38974
Автор произведения Arnould Sophie
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
M. de Fondpertuis, intendant des menus, l'ayant entendue chanter, eut le désir de la faire entrer dans la musique de la reine. Il en parla à Mme de Pompadour, qui la fit demander. Sophie alla chez la favorite avec sa mère, et ne démentit point dans cette épreuve la réputation brillante qu'elle s'était acquise. Mme de Pompadour la combla d'éloges et dit à ceux qui l'entouraient: «Cette jeune personne fera quelque jour une charmante princesse.» Mme Arnould, qui craignait que les talens de sa fille ne lui fissent jouer un trop grand rôle, répondit à la marquise: «Je ne sais, madame, comment vous l'entendez; ma fille n'a point assez de fortune pour épouser un prince, et elle est trop bien élevée pour devenir princesse de théâtre.» Cependant cette bonne mère céda aux insinuations de quelques amis, et consentit à ce que Sophie fût mise sur l'état de la musique du roi. Cet engagement n'était qu'un prétexte pour attirer Sophie sur un plus grand théâtre, et lui faire parcourir une carrière digne de ses rares talens. MM. Rebel et Francœur, surintendans de la musique du roi, la sollicitèrent secrètement d'entrer à l'Opéra. Cette jeune virtuose, subjuguée par tous les prestiges qui l'environnaient, consentit facilement à cette proposition, et bientôt après on lui envoya un ordre de début pour l'Académie royale de Musique. Cet événement imprévu affligea vivement Mme Arnould; elle gémit sur la destinée de sa fille, et, plus jalouse de son bonheur que de sa gloire, elle eût préféré la voir couler des jours purs et tranquilles au sein d'une heureuse obscurité. Elle voulut alors mettre Sophie au couvent; mais une autorité supérieure la força d'obéir. Tout ce qu'elle put faire pour préserver sa chère Sophie des dangers auxquels l'exposaient sa jeunesse et ses charmes, fut de la surveiller sans cesse; elle la conduisait elle-même à l'Opéra, l'attendait dans une loge et la ramenait chez elle quand son rôle était fini.
Sophie Arnould débuta à l'Académie royale de Musique le 15 décembre 1757, et fut reçue l'année suivante. Elle parut aux yeux des connaisseurs l'actrice la plus naturelle, la plus onctueuse, la plus tendre qu'on eût encore vue. Elle est sortie telle des mains de la nature, et son début a été un triomphe3.
A cette époque un jeune seigneur, épris de belle passion pour Sophie, forma le projet de la soustraire à la surveillance maternelle et de la faire jouir de l'indépendance de toutes ses compagnes de l'Opéra. La chose était difficile; mais l'amour est ingénieux; les obstacles l'irritent, et tout finit par lui céder. Le comte de L. usa d'un stratagême dramatique; il déguisa son rang et sa fortune, se fit passer pour un poëte de province qui venait à Paris faire jouer une tragédie, et, sous le nom de Dorval, prit un logement à l'hôtel de Lisieux. Son esprit et sa courtoisie le firent bientôt remarquer; il enivra Mme Arnould de complimens flatteurs, et séduisit Sophie par les plus brillantes promesses; une ancienne gouvernante aida les deux amans à briser leurs entraves, et un soir d'hiver, à la suite d'une lecture larmoyante qui avait obscurci les yeux de toute la famille, Dorval et Sophie disparurent.
Cet enlèvement fit beaucoup de bruit; Mme de L. était généralement estimée, et l'on blâmait hautement l'infidélité de son mari. Il cherchait à se justifier auprès de l'abbé Arnauld en lui faisant l'éloge de sa maîtresse: – Avez-vous tout dit? répondit l'abbé. Mettez le mépris public dans l'autre côté de la balance. – Le comte lui sauta au cou: – Mon cher abbé, s'écria-t-il, je suis le plus heureux des hommes; j'ai tout à la fois une femme vertueuse, une maîtresse charmante et un ami sincère. —
Sophie Arnould se distingua bientôt par de grands talens, et l'on fut étonné de voir sur la scène de l'Opéra, où jusqu'alors on n'avait presque aperçu que des mannequins plus ou moins bien exercés, une actrice remplie de grâces et de sensibilité, qui offrait la réunion touchante et nouvelle d'une voix charmante au mérite rare d'un jeu vrai et puisé dans la nature.
Cette femme célèbre a excité l'enthousiasme des amis de la musique et de l'art dramatique pendant tout le temps qu'elle est restée au théâtre. Dorat, dans son poëme de la Déclamation, a célébré cette voix retentissante dans le fracas des airs, ces sons plaintifs et sourds, et tout l'intérêt qu'inspirait cette grande actrice lorsqu'elle offrait Psyché mourante aux spectateurs attendris. Mais c'est dans Castor et Pollux qu'elle déployait tout ce que l'âme la plus tendre peut produire de sentiment: un jour qu'elle venait de remplir le rôle de Thélaïre elle se donnait beaucoup de peine pour prouver à Bernard qu'il en était l'auteur, car ce poëte sur la fin de sa vie avait perdu la mémoire et presque la raison; enfin il dit, sortant comme d'un rêve: «Oui sans doute, Castor est mon ouvrage, et Thélaïre est ma gloire.»
Ce n'est pas seulement comme actrice que Sophie Arnould s'est fait connaître; son nom est placé à côté de celui de Fontenelle et de Piron, si connus par leurs saillies piquantes. Douée d'une imagination vive et folâtre, elle brillait surtout dans les à-propos, et répandait avec autant de facilité que de grâces les bons mots, les fines plaisanteries, et malgré la causticité de quelques sarcasmes, elle sut se conserver de nombreux amis.
On lui a reproché de faire de l'esprit en y mêlant celui des autres; elle passait surtout pour médisante, et ses camarades mêmes éprouvèrent plus d'une fois ses railleries; mais comme elle n'était ni tracassière, ni haineuse, ni jalouse, ni intrigante, on s'amusait des jeux de son esprit en louant les qualités de son cœur.
Quelquefois on lui rendait les traits piquans qu'elle lançait aux autres: ses dents étaient vilaines, et les moins clairvoyans pouvaient aisément s'en apercevoir; un jour elle disait, en parlant de sa franchise, qu'elle avait le cœur sur les lèvres: «Je ne suis pas surpris, lui répartit Champcenetz, que vous ayez l'haleine si perfide.»
En 1763, époque où la jeunesse, l'esprit et les grâces de Sophie Arnould attachaient à son char l'élite de la cour et de la ville, Dorat lui consacra une longue épître; Bernard, Laujeon, Marmontel, Rulhières et autres poëtes l'ont également chantée. Favart, subjugué par sa voix ravissante, a fait pour elle le madrigal suivant:
Pourquoi, divine enchanteresse,
Me troubles-tu par tes accens?
Tu me fais sentir une ivresse
Qui ne va pas jusqu'à tes sens.
Peut-être que dans ma jeunesse
Mon bonheur eût été le tien:
Je t'aime, et le temps ne me laisse
Que le désir… Désir n'est rien.
Ah! tais-toi; mais non, chante encore;
Qu'avec tes sons voluptueux
Mon reste d'âme s'évapore,
Et je me croirai trop heureux.
Garrick, célèbre acteur et directeur d'un des théâtres de Londres, fit alors un voyage à Paris; il visita tous les spectacles, et lia connaissance avec les principaux acteurs. Mlles Clairon et Arnould furent, dit-on, les deux seules actrices dont il admira les talens.
Une philosophie naturelle, qu'elle dut à ses réflexions plus qu'à son éducation, lui fit rechercher la société des hommes les plus célèbres, dont elle vécut entourée. D'Alembert, Diderot, Duclos, Helvétius, Mably, J. – J. Rousseau et beaucoup d'autres ont eu avec elle des rapports plus ou moins intimes; c'est en vivant avec eux, c'est en lisant leurs ouvrages qu'elle se préparait un automne heureux et tranquille.
Son printemps fut embelli de tous les charmes que la fortune et la beauté peuvent procurer; émule de Ninon de Lenclos, elle vit sur ses pas les hommes les plus aimables et les plus spirituels. Ses talens et son esprit lui ont mérité le surnom d'Aspasie de son siècle, de même que son modèle avait reçu celui de moderne Leontium.
Dans le cours de sa brillante carrière, à une époque où la galanterie française était portée au plus haut degré, il eût été difficile à Sophie Arnould de résister aux séductions qui l'entouraient; on lui a connu plusieurs amans; mais elle a toujours conservé pour le comte de L., le premier et le plus doux objet de son cœur, un attachement tendre et soumis, que l'ascendant
3
Mlle Fel lui avait enseigné l'art du chant, et Mlle Clairon avait formé son jeu.