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L'oeuvre du divin Arétin, première partie. Aretino Pietro
Читать онлайн.Название L'oeuvre du divin Arétin, première partie
Год выпуска 0
isbn http://www.gutenberg.org/ebooks/43823
Автор произведения Aretino Pietro
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Antonia.– Quoi! tu avais des amants avant que tu ne te fisses Religieuse?
Nanna.– Sotte qui n'en aurait pas eu; mais en tout bien, tout honneur. A ce moment, on me fit asseoir au premier rang, devant toutes les femmes, et bientôt commença la messe chantée; puis je fus placée, à genoux, entre ma mère Tina et ma tante Ciampolina. Un clerc, accompagné par les orgues, chanta un motet, et, après la messe, mes robes monacales, qui étaient sur l'autel, ayant été bénies, le prêtre qui avait dit l'Épître et celui qui avait dit l'Évangile me relevèrent et me firent remettre à genoux sur les degrés du maître-autel. Alors celui qui avait dit la messe me donna l'eau bénite et, ayant chanté, avec les autres ecclésiastiques, le Te Deum laudamus, avec peut-être cent sortes de psaumes, ils me dépouillèrent des mondanités et me vêtirent de l'habit spirituel. Les gens, s'écrasant les uns les autres, faisaient un vacarme qui ressemblait à celui qu'on entend à Saint-Pierre et à Saint-Jean quand quelqu'une, ou par folie, ou par désespoir, ou par malice, se fait emmurer, comme je l'ai fait une fois moi-même20.
Antonia.– Oui, oui, il me semble te voir avec cette foule autour de toi.
Nanna.– Les cérémonies finies et l'encens m'ayant été donné avec le Benedicamus, et avec l'Oremus, et avec l'Alleluia, il s'ouvrit une porte qui fit le même grincement que font les troncs des aumônes, et alors on me redressa sur mes pieds et on me mena à cette issue, où vingt Sœurs, avec l'Abbesse, m'attendaient; et aussitôt que je la vis, je lui fis une belle révérence et elle me baisa sur le front, dit je ne sais quelles paroles à mon père et à ma mère et à tous mes parents qui pleuraient à qui mieux mieux. Et, tout d'un coup, la porte s'étant refermée, j'entendis un «hélas!» qui fit frémir chacun.
Antonia.– Et d'où venait cet hélas?
Nanna.– De mon pauvre petit amant qui, dès le jour suivant, se fit Frère des Socques ou Ermite du Sac, sauf erreur.
Antonia.– Le malheureux!
Nanna.– La clôture de la porte fut si rapide que je n'eus pas le temps de dire même adieu aux miens: je crus certes entrer toute vive dans une sépulture et je pensai voir des femmes mortes dans les disciples et dans les jeûnes; et je ne pleurais plus au sujet de mes parents, mais sur moi-même. Et allant avec les yeux fixés à terre et avec le cœur préoccupé de ce qui allait advenir de moi, j'arrivai au réfectoire, où une foule de Sœurs accoururent m'embrasser et m'appelant leur sœur, gros comme le bras, me firent relever un peu le visage!
Ayant vu quelques visages frais, clairs et colorés, je repris courage; et les regardant avec plus d'assurance, je disais en moi-même: Certainement, les diables ne doivent pas être aussi laids qu'on les dépeint. Là-dessus, il entra une troupe de frères, de prêtres accompagnés de quelques séculiers. C'étaient les plus beaux jeunes gens, les plus polis et les plus gais que j'eusse jamais vus; et chacun d'eux prenant son amie par la main, on eût dit des Anges menant les ballets célestiaux21.
Antonia.– Ne parle pas du ciel.
Nanna.– On eût dit des amoureux folâtrant avec leurs nymphes.
Antonia.– Voici une comparaison plus licite. Continue.
Nanna.– Et les ayant prises par la main, ils leur donnaient les plus doux baisers du monde et ils s'efforçaient de les donner le plus emmiellés possible.
Antonia.– Et qui les donnait avec le plus de sucre, à ton avis?
Nanna.– Les Frères sans aucun doute.
Antonia.– Pour quelle raison?
Nanna.– Pour les raisons qu'allègue la Putain errante de Venise22.
Antonia.– Et puis?
Nanna.– Et puis, tous s'assirent à une des plus délicates tables qu'il me parut avoir jamais vues. A la place d'honneur, on voyait l'Abbesse ayant à sa gauche messire l'Abbé: après l'Abbesse venait la Trésorière et près d'elle le Bachelier; en face d'eux était assise la Sacristine, et à son côté se tenait le Maître des novices. Suivaient une sœur, un frère et un séculier, et au bas de la table se tenaient je ne sais combien de clercs et d'autres moinillons. Je fus placée entre le Prédicateur et le Confesseur du monastère. Et alors arrivèrent les mets d'une telle qualité que le Pape, osé-je dire, n'en mangea jamais de pareils. Dans le premier assaut, les caquets furent laissés de côté, de manière qu'il semblait que le silence inscrit là où les moines absorbent leur pitance eût pris possession de la bouche de chacun et même des langues, car les bouches faisaient le même murmure que font celles des vers à soie ayant fini de croître quand, ayant longtemps jeûné, ils dévorent les feuilles de cet arbre sous l'ombre duquel avait coutume de se divertir ce pauvret de Pyrame et cette pauvre petite Thisbé; que Dieu les accompagne là-haut, comme il les accompagna ici-bas.
Antonia.– Tu veux parler sans doute des feuilles du mûrier blanc?
Nanna.– Ah! ah! ah!
Antonia.– Que signifie ce rire?
Nanna.– Je ris d'un goinfre de frère, Dieu me le pardonne, qui, tandis qu'il broyait avec deux meules et qu'il avait les joues gonflées comme celui qui sonne de la trompe, mit la bouche au goulot d'un fiasque et le vida tout entier.
Antonia.– Seigneur, étouffe-le!
Nanna.– Et commençant à se rassasier, ils commencèrent à bavarder et, au milieu du dîner, il me semblait être dans le marché de Navone, où l'on entend de toutes parts le bruit des marchandages que font celui-ci et celui-là, avec celui-là et avec ce juif… Et étant déjà rassasiés, ils choisissaient les pointes des ailes de poule, et quelques crêtes, ou bien une tête, et, se l'offrant mutuellement entre hommes et femmes, on eût dit des hirondelles donnant la becquée à leurs petits; et je ne pourrais pas te dire les rires et les éclats de voix qui suivaient l'offre d'un cul de chapon, pas plus qu'il ne me serait possible de pouvoir te dire les disputes qui se faisaient là-dessus.
Antonia.– Quelle paillardise!
Nanna.– Il me venait envie de vomir quand je voyais une sœur mâcher un morceau, puis le faire passer de sa bouche dans celle de son ami.
Antonia.– La salope!
Nanna.– Et le plaisir de manger s'étant changé en ce dégoût qui vous prend dès que l'on a fait cette chose, ils contrefirent les Allemands qui portent des santés. Et le Général prenant un grand verre de Corso et invitant l'Abbesse à faire de même avala tout le vin comme un faux serment. Déjà les yeux de chacun reluisaient à cause de la boisson comme la glace des miroirs, et ternis par le vin, comme le diamant par l'haleine, ils se seraient fermés, de telle façon que toute la bande tombant endormie sur les victuailles aurait changé la table en lit, s'il n'était survenu un joli petit garçon. Il avait en main une corbeille couverte du linge le plus blanc et le plus fin qu'il me semble avoir jamais vu. Que dire de la neige, du givre, du lait? Ce lin surmontait en blancheur la lune en son quinzième jour.
Antonia.– Que fit-il du panier et qu'y avait-il dedans?
Nanna.– Un peu doucement; le petit garçon, avec une révérence à l'espagnole napolitanisée, dit: «Grand bien fasse à Vos Seigneuries!» et il ajouta «Un serviteur de cette belle brigade vous envoie des fruits du Paradis terrestre.» Et ayant découvert le don, il le posa sur la table et voici un éclat de rire qui parut un coup de tonnerre; qui plus est, la compagnie éclata de rire de la façon dont éclate en sanglots la pauvre petite famille qui a vu le père fermer les yeux pour toujours.
Antonia.– Excellentes et nouvelles comparaisons!
Nanna.– A peine eut-on regardé les fruits paradisiaques
20
La Nanna raconte ce trait dans le troisième Dialogue.
21
Le Talmud appelle les anges Maîtres de danse.
22
Il s'agit évidemment du poème de l'Arétin contre l'Elena Ballerina, poème attribué à Lorenzo Venerio et publié sous le nom de son fils Maffeo Venerio, évêque de Corfou. Voici ces raisons qui sont au chant III:
Ce dernier trait est tout arétinesque, on le retrouvera dans les Sonnets.