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gens étaient-ils dans le salon qu'on sonna de nouveau à la porte de la rue, et un instant après une jeune fille, grande, belle et fraîche comme la jeunesse elle-même, entra dans l'appartement. Elle embrassa Mme Martelac en la nommant sa tante, donna une poignée de main à Robert, dont le regard se leva vers elle avec une expression qui n'échappa point à Jacques et salua celui-ci, tandis que la mère du docteur les présentait l'un à l'autre.

      Comme vous avez bien fait de venir, Anne! dit Robert en s'empressant pour lui offrir un fauteuil.

      – Mon père m'a amenée en allant à son cercle. Je n'étais pas à la maison tantôt quand vous y êtes venu et j'ai voulu vous voir un moment ce soir.

      Le visage du docteur s'illumina à cette réponse, et profitant d'un moment où Mme Martelac détournait l'attention du lieutenant en lui adressant une question, il se pencha vers sa voisine et demanda à voix basse:

      – Vous êtes venue pour moi, alors? Merci, Anne.

      Celle-ci sourit sans répondre et ses grands yeux bleus se détournèrent du regard reconnaissant qu'ils semblaient refuser de comprendre.

      La soirée se passa gaiement jusqu'au moment où M. Duplay vint reprendre sa fille. Anne plaisantait, causait, brillait et paraissait ravie. Les yeux de Jacques s'arrêtaient involontairement sur ce beau visage resplendissant, et la jeune fille, à laquelle n'échappait point cette admiration, semblait l'agréer comme un tribut auquel elle était accoutumée.

      – Ma tante, dit-elle tout à coup, mon père consent à m'emmener à Royan cette année. Nous y passerons un mois et je suis en ce moment fort occupée de mes toilettes.

      – Ceci est une grave question! dit Mme Martelac en souriant.

      – Oh! très grave, répéta Anne en frappant ses deux mains l'une contre l'autre.

      – Ne serez-vous pas toujours la plus belle? dit Robert, regardant le fin visage auquel la lumière laissait des ombres adoucies et vaporeuses.

      Un sourire le remercia de ce compliment échappé à sa gravité habituelle.

      – Peut-être! répondit Anne, avec un doute mélangé pourtant d'une naïve confiance. Toutefois, il faut venir en aide à la nature et j'ai passé de longues heures à combiner mes costumes.

      – Et qu'as-tu choisi, chère enfant?

      – Une toilette rose, une bleue et une… Oh! mais je n'ose pas vous le dire! Cela va vous sembler absurde.

      En disant ce dernier mot, elle parut s'adresser, non pas à Mme Martelac, à laquelle elle répondait, mais à Robert. Penché devant elle et paraissant sous le charme, il écoutait à peine le babillage de sa cousine, absorbé qu'il était par la contemplation de sa beauté. Il revint à lui en voyant son regard devenu subitement interrogateur.

      – N'est-ce pas, Robert, vous allez blâmer mon goût?

      – Pourquoi cela?

      – Parce que vous êtes la raison même, vous! dit-elle avec une légère expression de raillerie.

      – Eh bien! la troisième? demanda Mme Martelac.

      – La troisième est rouge des pieds à la tête! Et même au-dessus de la tête, car l'ombrelle est assortie. Robe, chapeau, voile, tout d'un rouge éclatant! Ce sera délicieux!

      – Vous porterez cela? dit Robert.

      – Certainement. Pourquoi ne le ferais-je pas?

      Le docteur secoua la tête.

      – Quelle singulière idée de vous habiller ainsi! dit-il d'un ton de doux reproche.

      – Voyez-vous! s'écria Anne. Je savais bien que vous alliez me blâmer. Nos goûts sont si différents!

      Une nuance de tristesse parut sur la physionomie de Robert.

      – Il est sûr que cela est bien voyant, dit Mme Martelac.

      – Sans doute! Au bord de la mer, tout le monde adopte les couleurs voyantes. C'est pittoresque.

      – C'est possible! Mais tenez-vous à poser pour les paysages? demanda le docteur, devenu sérieux.

      – Pourquoi pas? répondit la jeune fille en riant.

      – Tout le monde aura les yeux fixés sur vous.

      – Tant mieux! J'aime qu'on me regarde!

      Anne dit cela d'un air de défi jeté à son cousin. Evidemment le blâme apporté par lui au choix de cette toilette lui déplaisait et elle tenait à l'en faire repentir.

      Heureusement, Mme Martelac mit promptement fin à cette légère escarmouche entre eux et la fit oublier en changeant la conversation qui reprit un tour amical. La jeune fille parut elle-même chercher à effacer le mécontentement passager éprouvé par Robert, et la magie de ses regards eut facilement raison de la gravité un peu triste amenée par ses paroles sur le visage de son cousin.

      Ce petit incident n'eut aucune suite, et le docteur, redevenu gai, raconta à Anne sa rencontre avec Jacques. Il mit tant de verve spirituelle dans son récit que Mlle Duplay rit aux éclats. La présence d'Anne le transfigurait et son sourire heureux laissait lire l'amour dont son coeur était rempli, amour profond, sérieux comme l'âme qui l'avait conçu et auquel celle qui en était l'objet semblait presque indifférente, ce dont le lieutenant ne pouvait se rendre compte.

      Il n'osa interroger son ami. La visite d'Anne, attribuée par elle-même au désir de le revoir, avait rempli le coeur de Robert du joyeux espoir d'être aimé et avait un instant fermé ses yeux sur les véritables sentiments de sa cousine, sentiments que parfois pourtant, quand s'accentuaient les différences existant, comme elle venait de le constater, entre leurs goûts, le jeune docteur craignait de deviner.

      CHAPITRE II

      Nicolas Larousse, dont avait parlé Mme Martelac, habitait une grande maison située au bas d'une de ces rues populeuses qui descendent jusqu'au boulevards. Changeant de nom deux ou trois fois sur son parcours, cette rue conserve à peu près partout son même aspect et des troupes d'enfants sales et déguenillés l'encombrent pendant la belle saison, à l'heure où l'école les rend à leurs familles. Si je ne craignais d'accuser à tort l'édilité poitevine, je soupçonnerais cette rue de n'être guère nettoyée que grâce à sa pente rapide, lorsqu'une averse orageuse vient la changer en torrent. Alors, l'eau emporte les débris de toute sorte dont la jonchent sans scrupule les ménagères peu soigneuses qui l'habitent.

      La rue habitée par Nicolas conserve plusieurs monuments anciens et historiques, et à l'endroit où elle quitte le nom de Saint-Michel pour prendre celui de Saint-Etienne, on montrait encore au commencement de notre siècle une pierre sur laquelle Jeanne d'Arc, logée à l'hôtel de la Rose, mit le pied pour monter à cheval lorsqu'elle quitta Poitiers, où elle avait été amenée, en 1428, afin d'y être interrogée par les docteurs de la faculté.

      A ce moment, la cité poitevine était une ville importante, où était le parlement, où siégeait le conseil et où se trouvaient les membres de l'Université de Paris demeurée fidèles à l'héritier de Charles VI. Ce jeune prince, doutant de la mission de Jeanne d'Arc, lui fit subir à Poitiers une épreuve solennelle. Elle fut interrogée par les docteurs les plus autorisés de l'Eglise et de l'Etat. A la suite de cet interrogatoire, qui dura trois semaines et auquel elle répondit de façon à ce que ces doctes personnages fussent grandement ébahis, dit la chronique, par la sagesse de ses paroles, ils conclurent en sa faveur. Ces juges intègres reconnurent n'avoir trouvé en elle, après une sérieuse enquête, que "bien, humilité, virginité, dévotion, honnêteté, simplesse". Tout ce qui rappelle le souvenir de notre grande héroïne doit être pieusement conservé; aussi cette pierre rendue précieuse par la tradition est aujourd'hui déposée à l'hôtel de ville.

      La demeure de Nicolas se trouvait à l'angle de la rue, sur le boulevard; elle était formée d'un grand bâtiment en ruines et conservant l'apparence recueillie et calme d'un couvent, car il avait autrefois fait partie d'un vaste monastère qui étendait ses dépendances jusqu'au bord du Clain. Les habitants de la rue se hasardaient rarement

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