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si le yacht est parti? demanda Yvonne.

      – Nous suivrons la côte et chercherons une embarcation indigène qui nous transporte, voilà tout!

      Sur ces mots, la jeune fille fut hissée sur sa mule, et la petite troupe quitta la clairière.

      Marcel voulut repasser près de la sépulture violée, et Yvonne elle-même l’approuva lorsqu’il lui montra la bêche oubliée par Canetègne, et surtout le sac où l’instrument avait été enfermé. Sur la toile des caractères latins se dessinaient en bleu, formant des mots que Bérard traduisit ainsi:

      – Ikaraïnilo, XVIe honneur.

      – Seizième honneur, répétèrent les amis du « Marsouin », cela signifie?

      – Général, tout simplement. Au lieu de grades, on a des honneurs. Les généraux vont de douze à vingt-deux. Les Tsimandos, ou courriers royaux, qui en réalité font la police, sont neuvième honneur. Le premier ministre et son épouse la reine occupent le sommet de l’échelle avec trente trois honneurs.

      Après cette explication, sac et bêche, placés sur la mule, la marche fut reprise.

      À la Pointe-aux-Îles, une première désillusion attendait les voyageurs. Le yacht Fortune n’était plus au mouillage. Les indigènes des environs déclarèrent n’avoir pas de pirogues assez grandes pour tenir la mer.

      Ils semblaient affligés de ne pouvoir rendre service aux Européens. On sentait dans leurs paroles comme une hésitation. En réalité, ils obéissaient à un mot d’ordre donné. Depuis quelques jours, les Tsimandos de la reine Hova parcouraient le pays, annonçant aux populations les plus terribles représailles si elles entraient en contact avec les blancs. Ils disaient ces derniers atteints d’un mal redoutable, dont serait frappé quiconque les recevrait. Sous couleur d’hygiène ils faisaient le vide autour de nous.

      Les voyageurs ignoraient cette situation. Ils crurent donc les Malgaches. La route de la mer leur était fermée, ils se contenteraient de la voie de terre. Bravement ils se mirent en route à travers la forêt continue, qui va de la côte aux premières rampes des plateaux du centre. Sous le feuillage des baobabs, des tecks, des ébéniers, ils allaient, arrêtés à chaque instant par l’un des innombrables ruisseaux qui se jettent dans l’océan entre Diego-Suarez et la baie d’Antongil.

      Plus ils avançaient, plus le mauvais vouloir des indigènes s’accentuait. Maintenant on les fuyait; on leur refusait les vivres dont ils avaient besoin.

      Pendant la cinquième journée de marche, une flèche lancée par un ennemi invisible frappa la mule d’Yvonne au défaut de l’épaule. Marcel et Bérard battirent le fourré sans découvrir aucune trace. La pauvre bête étant morte, Mlle Ribor dut suivre ses compagnons à pied.

      Tout le jour suivant elle chemina sans une plainte; sa fatigue se trahissant seulement par la contraction de son visage. Au soir elle se coucha sur le sol, brisée, grelottant de fièvre.

      Dans le sac léger qu’il portait sur le dos, Marcel avait heureusement une petite provision de quinine, ce remède universel dans les pays intertropicaux. Cette fois encore, la panacée triompha du mal. Quand l’aurore se montra, la fièvre avait disparu; mais il était évident qu’elle guettait sa victime, et qu’à la moindre fatigue elle reparaîtrait. Il fallait à tout prix trouver une monture à la jeune fille.

      Celle-ci se lamentait, désolée d’être un embarras pour ses amis. Alors Marcel la gronda doucement, lui fit promettre d’être bien sage; et la laissant à la garde du campement, établi au bord d’un ruisselet murmurant, se mit avec Claude en quête d’un moyen de transport.

      Un bois de pandanus vacoua, dont la fibre se prête au tissage, s’élevait à peu de distance. Ils s’enfoncèrent sous son ombre. Autour des troncs, de grandes orchidées aux fleurs éclatantes s’enroulaient en interminables spirales, lançant des rejets d’une branche à l’autre, formant au-dessus de la tête des Français un dôme odorant. Un battement d’ailes, un bruissement rapide dans les herbes indiquaient seuls la présence d’êtres vivants, dérangés dans leur tranquillité par le passage des jeunes gens.

      Puis les arbres s’espacèrent, se firent plus rares, et les voyageurs débouchèrent dans une prairie dont un étang occupait le centre.

      À la surface de l’eau, l’ouvirandrona balançait ses feuilles découpées à jour en fine dentelle, et dans les joncs géants de formidables froissements décelaient la présence de caïmans.

      Les sous-officiers ne s’arrêtèrent pas. Au fond d’un vallonnement ils avaient aperçu une ferme. Là, ils trouveraient des porteurs, ou bien on leur vendrait un zébu de selle; car ici comme dans l’Hindoustan, leur pays d’origine, ces superbes buffles sont des bêtes de somme appréciées. On les élève par centaines de mille, et ils représentent une des principales richesses de la grande île africaine.

      Des travailleurs étaient épars dans la plaine. Marcel avait hâté le pas. Soudain un cri d’épouvante déchira l’air:

      – Aïbar Imok!

      Et les indigènes s’enfuirent à toutes jambes vers les huttes de bois et de limon, dont l’ensemble représentait la ferme.

      – Qu’est-ce qui leur prend? fit Simplet.

      – Je ne sais, riposta Bérard. Aïbar Imok signifie: la peste. Pourquoi ce cri? Pourquoi cette épouvante? Mystère.

      – Approchons toujours; ils nous le diront.

      Mais à cinquante mètres des habitations il fallut s’arrêter. Les Malgaches, debout sur le seuil des cabanes, brandissaient des fusils d’un air menaçant. Un homme, qui paraissait être le chef, s’avança, et à distance respectueuse, adressa aux voyageurs un discours dont ils ne comprirent pas un mot. Les gestes en revanche étaient clairs. Ils signifiaient nettement:

      – Allez-vous-en, ou nous tirons sur vous.

      – Ils sont tous fous dans l’île, murmura Dalvan tout en obéissant à cette injonction peu parlementaire. Eh bien! je les trouve gentils, les protégés de la France! Après cela, c’est l’histoire universelle; les protecteurs sont partout détestés.

      Et sur cette réflexion empreinte de philosophie il prit le large, suivi de Claude qui mâchonnait furieusement sa moustache.

      Dans deux autres agglomérations des scènes identiques se renouvelèrent. C’était à se briser la tête contre un arbre. Vouloir acheter un zébu, et n’obtenir que des imprécations ou des menaces!

      Avec cela la journée s’avançait. Les jeunes gens éprouvaient une vague inquiétude en songeant à leur compagne restée seule, sans défense, dans cette région agitée par un démon hostile.

      Ils reprirent le chemin du campement. Comme ils atteignaient le bois de Pandanus traversé le matin, un bruit sourd les cloua sur place. On eût dit la chute d’un corps pesant. Presque aussitôt une exclamation gutturale parvint jusqu’à eux, étouffée par un formidable grincement de dents. Les voyageurs armèrent leurs revolvers.

      – Que se passe-t-il? fit Marcel.

      Des grondements, des cris humains bourdonnaient à leurs oreilles.

      – Allons voir.

      Tous deux s’élancèrent éventrant les buissons, et subitement ils s’arrêtèrent.

      Sur le sol un groupe hurlant se tordait. Au bout d’un instant ils distinguèrent un indigène enlacé par un lémurien géant. Quadrumane comme le singe, mais armé de griffes redoutables, l’animal cherchait à étouffer l’homme.

      Celui-ci s’efforçait d’éviter son étreinte, et les bras lacérés, le visage sanglant, luttait. Mais déjà la fatigue l’avait abattu sur le sol où son ennemi l’appuyait de tout son poids.

      Sans hésiter, Marcel s’avança et déchargea son arme dans l’oreille du lémurien. Foudroyée la bête eut une contraction qui la fit bondir à plusieurs pas, puis elle s’aplatit à terre sans mouvement. Rapide comme l’éclair, le Malgache s’était

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