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! s’écria Rafaël, en tombant à deux genoux et en joignant les mains avec désespoir.

      – Malheur !… murmura la pauvre mère en s’affaissant sur elle-même.

      III. Le jugement

      Le lendemain, le soleil se leva splendide à l’horizon.

      L’orage de la nuit avait complètement nettoyé le ciel qui était d’un bleu mat ; les oiseaux gazouillaient, gaiement cachés sous la feuillée, tout dans la nature avait repris son air de fête accoutumé.

      La cloche sonna joyeusement à l’hacienda del Milagro, les péons commencèrent à se disperser dans toutes les directions, les uns menant les chevaux au pasto, les autres conduisant les bestiaux dans les prairies artificielles, d’autres encore se rendant aux champs, enfin les derniers s’occupèrent dans le patio à traire les vaches et à réparer les dégâts causés par l’ouragan.

      Les seules traces qui restaient de la tempête de la nuit étaient deux magnifiques jaguars étendus morts à la porte de l’hacienda, non loin du cadavre d’un cheval à demi dévoré.

      Nô Eusébio, qui se promenait de long en large dans le patio en surveillant avec soin les occupations de chacun, fit retirer et nettoyer les riches harnais du cheval, et ordonna qu’on enlevât la peau des jaguars.

      Ce qui fut exécuté en un clin d’œil.

      Pourtant, nô Eusébio était inquiet, don Ramon ordinairement le premier levé à l’hacienda n’avait pas encore paru.

      Le soir précédent, à la suite de la foudroyante accusation lancée par le juez de letras contre le fils aîné de l’hacendero, celui-ci avait ordonné à ses serviteurs de se retirer, et après avoir lui-même, malgré les pleurs et les prières de sa femme, solidement garrotté son fils, il avait emmené don Inigo d’Albaceyte dans une salle retirée de la ferme, où tous deux étaient restés enfermés jusqu’à une heure fort avancée de la nuit.

      Que s’était-il passé dans cet entretien pendant lequel avait dû être arrêté le sort de Rafaël ? personne ne le savait, nô Eusébio pas plus que les autres.

      Puis après avoir conduit don Inigo dans une chambre qu’il lui avait fait préparer, et lui avoir souhaité une bonne nuit, don Ramon était allé rejoindre son fils, auprès duquel la pauvre mère pleurait toujours ; sans prononcer une parole, il avait pris l’enfant dans ses bras et l’avait emporté dans sa chambre à coucher où il l’avait étendu sur le sol auprès de son lit, ensuite l’hacendero avait fermé la porte à clé, s’était couché, deux pistolets à son chevet, et la nuit s’était écoulée ainsi, le père et le fils se lançant dans l’obscurité des regards de bêtes fauves, et la pauvre mère agenouillée sur le seuil de cette chambre dont l’entrée lui était interdite, pleurant silencieusement sur son premier-né qui, elle en avait le pressentiment terrible, allait lui être ravi pour toujours.

      – Hum ! murmurait à part lui le mayoral, tout en mâchonnant sans y songer le bout de sa cigarette éteinte, qu’est-ce que tout cela va devenir ? Don Ramon n’est pas homme à pardonner, il ne transigera pas avec son honneur. Abandonnera-t-il son fils à la justice ? oh ! non ! mais alors que fera-t-il ?

      Le digne mayoral en était là de ses réflexions lorsque don Inigo Albaceyte et don Ramon parurent dans le patio.

      Le visage des deux hommes était sévère, celui de l’hacendero surtout était sombre comme la nuit.

      – Nô Eusébio, dit don Ramon d’une voix brève, faites seller un cheval et préparer une escorte de quatre hommes pour conduire ce cavalier à Hermosillo.

      Le mayoral s’inclina respectueusement et donna immédiatement les ordres nécessaires.

      – Je vous remercie mille fois, continua don Ramon en s’adressant au juge, vous sauvez l’honneur de ma maison.

      – Ne me soyez pas si reconnaissant, seigneur, répondit don Inigo, je vous jure que lorsque je suis sorti hier soir de la ville, je n’avais nullement l’intention de vous être agréable.

      L’hacendero fit un geste.

      – Mettez-vous à ma place, je suis juge criminel avant tout, on coupe une personne, un mauvais drôle, je vous le concède, mais un homme, quoique de la pire espèce ; l’assassin est connu, il traverse au galop la ville, en plein soleil, à la vue de tous, avec une effronterie incroyable, que devais-je faire ? me mettre à sa poursuite, je n’ai pas hésité.

      – C’est vrai, murmura don Ramon en baissant la tête.

      – Et mal m’en a pris, les coquins qui m’accompagnaient m’ont abandonné comme des poltrons au plus fort de l’orage pour se cacher je ne sais où ; pour comble de disgrâce, deux jaguars, de magnifiques bêtes du reste, se sont lancés à ma poursuite, ils me serraient de si près que je suis venu tomber comme une masse à votre porte ; j’en ai tué un, c’est vrai, mais l’autre était bien près de me happer lorsque vous m’êtes venu en aide. Pouvais-je après cela arrêter le fils de l’homme qui m’avait sauvé la vie au péril de la sienne ? c’eût été agir avec la plus noire ingratitude.

      – Merci, encore une fois.

      – Mais non, nous sommes quittes, voilà tout. Je ne parle pas des quelques milliers de piastres que vous m’avez donnés, puisqu’ils serviront à fermer la bouche à mes loups cerviers ; seulement, croyez-moi, don Ramon, surveillez votre fils, s’il retombait une autre fois dans mes mains, je ne sais pas comment je pourrais le sauver.

      – Soyez tranquille, don Inigo, mon fils ne retombera plus dans vos mains.

      L’hacendero prononça ces paroles d’une voix tellement sombre que le juge se retourna en tressaillant.

      – Prenez garde à ce que vous allez faire ! dit-il.

      – Oh ! ne craignez rien, répondit don Ramon, seulement comme je ne veux pas que mon fils monte sur un échafaud et traîne mon nom dans la boue, je saurai y mettre ordre.

      En ce moment on amena le cheval.

      Le juez de letras se mit en selle.

      – Allons, adieu, don Ramon, dit-il d’une voix indulgente, soyez prudent, ce jeune homme peut encore se corriger, il a le sang vif, pas autre chose.

      – Adieu, don Inigo Albaceyte, répondit l’hacendero d’un ton sec qui n’admettait pas de réplique.

      Le juge secoua la tête, et piquant des deux il partit au grand trot suivi de son escorte après avoir fait un dernier geste d’adieu au fermier.

      Celui-ci le suivit des yeux tant qu’il put l’apercevoir, puis il rentra à grands pas dans l’hacienda.

      – Nô Eusébio, dit-il au mayoral, sonnez la cloche pour réunir tous les péons ainsi que les autres serviteurs de l’hacienda.

      Le mayoral, après avoir regardé son maître avec étonnement, se hâta d’exécuter l’ordre qu’il avait reçu.

      – Qu’est-ce que tout cela signifie ? dit-il.

      Au bruit de la cloche, les employés de la ferme s’empressèrent d’accourir, ne sachant à quoi attribuer cette convocation extraordinaire.

      Ils furent bientôt réunis tous dans la grande salle qui servait de réfectoire. Le plus complet silence régnait parmi eux. Une angoisse secrète leur serrait le cœur. Ils avaient le pressentiment d’un événement terrible.

      Après quelques minutes d’attente, doña Jesusita entra entourée de ses enfants, à l’exception de Rafaël, et fut prendre place sur une estrade préparée à l’un des bouts de la salle.

      Ses traits étaient pâles, ses yeux rougis montraient qu’elle avait pleuré.

      Don Ramon parut.

      Il avait revêtu un costume complet de velours noir, sans broderies, une lourde chaîne d’or pendait sur sa poitrine, un chapeau de feutre noir à large bord, orné d’une plume d’aigle, couvrait sa

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