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charmante petite d’Anglure de sa visite à Mme de Gesvres. Le jugement qu’il venait d’écrire, quoique vrai en plusieurs endroits, et en se tenant aux surfaces d’une nature féminine qui ne manquait pourtant pas d’une certaine profondeur, ce jugement était complètement faux d’après les sensations de celui qui l’avait écrit. La beauté de Mme de Gesvres, si critiquée, l’avait au fond trouvé très sensible, et ni la robe inharmonieuse de soie gris de perle, d’une teinte trop indécise et trop pâle, ni ces rubans roses, noués sous ce menton qui avait la matidité du marbre et l’idéalité du ciseau grec, ni ces sourires bassement mendiants de coquette, ni ces regards mi-clos à dessein et voluptueux à froid, n’avaient empêché M. de Maulévrier de regarder Mme de Gesvres comme la plus belle créature qu’il eût jamais vue, et la plus tentatrice pour son imagination blasée d’homme du monde et ses sens expérimentés de vingt-sept ans.

      Il est vrai que depuis quatre immenses mois il était lassé de cette beauté de camélia élancé, mol et pur, que Mme d’Anglure possédait à un degré si éminent ; de toute cette jeunesse virginale encore, malgré deux années d’un mariage consommé seulement, à ce qu’il semblait, dans l’écartèlement de deux écussons sur la portière d’une voiture ; de toutes ces fragilités d’albâtre, de toutes ces délicatesses infinies qui faisaient de Mme d’Anglure une friandise si recherchée par les sybarites intellectuels de l’amour moderne. Et ce n’est pas tout encore : il était fatigué aussi de l’imperturbable tendresse qu’on lui montrait, et de cette bêtise pleine de charme qu’aimaient Rivarol et Talleyrand et qui est le majorat des femmes tendres. Ces dispositions, que lui seul appréciait, furent peut-être la cause de son admiration spontanée pour Mme de Gesvres. Du moins cela la prépara-t-il. Le monde reconnaissait à Mme de Gesvres beaucoup plus que cet esprit, le seul exigible dans les femmes, et qu’elles ont en commun, quand elles sont jolies, avec les pêches mûres et les roses mousse entr’ouvertes. Or cette opinion du monde pouvait influer sur M. de Maulévrier, qui n’était pas du tout un philosophe, et qui, dans ses fantaisies et ses préférences, n avait pas le mauvais goût héroïque de mépriser l’opinion.

      Quant à Mme de Gesvres, les mensonges qu’elle écrivit à son amie Mme d’Anglure furent beaucoup plus courts, et par conséquent beaucoup plus profonds que ceux de M. de Maulévrier. Si tout homme ment, dit le sage, toute femme ment aussi, mais beaucoup mieux. Au lieu d’arranger agréablement de petites faussetés en manière d’opinion, comme n’avait pas manqué de faire M. de Maulévrier, Mme de Gesvres eut l’art de glisser dans une lettre sur la façon de poser les volants et la forme nouvelle des turbans de l’hiver, un : « À propos, ma chère, j’ai vu M. de Maulévrier. Mon Dieu, comment est-il possible que vous vous soyez compromise pour cet homme-là ! » Il y avait dix-huit mois, en effet, que Mme d’Anglure avait été jugée compromise par les soins, qu’elle agréait de M. de Maulévrier. La phrase de Mme de Gesvres le rappelait avec une charmante cruauté de compatissance. Tout le génie de la femme respirait dans ce repli épistolaire. C’était tout à la fois mensonge et perfidie, masque et stylet.

      Cependant, comme M. de Maulévrier était en vacances de cavalier servant par l’absence de Mme d’Anglure, il ne trouva rien de mieux à faire que de retourner chez la marquise. Elle avait pris son air de reine pour lui dire qu’elle était toujours chez elle à quatre heures. C’était de tous les airs que sa mobile coquetterie et ses talents de comédienne lui inspiraient, et qui semblaient plus nombreux et plus étonnants que les merveilleuses robes de Peau d’Âne, celui qui allait le mieux à son genre de physionomie, comme le rouge était la couleur qui seyait le plus à son teint. – M. de Maulévrier, qui trouvait une nuance de bassesse dans la courtoisie des hommes vis-à-vis des femmes, et que Mme d’Anglure avait dressé au rôle de sultan, ne fut point blessé de l’assurance avec laquelle on lui prescrivait presque de venir. Avec ses idées sur la position des femmes au dix-neuvième siècle et les habitudes de toute sa vie, cela ressemblait à de la prédestination.

      Chapitre 3.

      Maulévrier

      Le marquis Raimbaud de Maulévrier était un de ces élégants patriciens comme il s’en détache quelquefois sur le fond commun de notre société bourgeoise ; mais tout patricien qu’il fût, c’était un homme d’une raison trop affermie pour se méprendre aux tendances de son époque et pour se faire le Don Quichotte d’un temps épuisé. Élevé par une famille gardienne fidèle de bien des préjugés sur les classes auxquelles écherra le pouvoir de l’avenir, il n’avait accepté aucune des illusions qui font de quelques jeunes nobles de nos jours des oisifs frémissants et superbes, ne voulant pas se mêler aux promiscuités de la mauvaise compagnie. Ce mot lui-même sent l’illusion que M. de Maulévrier ne partageait pas. C’est une épave d’une société naufragée, poussée par le flot de l’habitude dans le langage du temps présent. Il ne peut plus y avoir, en effet, de mauvaise compagnie pour une nation qui a mis l’égalité dans son code, et qui trouvera peut-être un de ces matins dans ses mœurs la nécessité du suffrage universel. Cette appréciation exacte et désintéressée des choses, qui aurait fait de M. de Maulévrier un homme d’État si derrière cette appréciation il y avait eu l’ambition qui l’applique et qui l’utilise, l’avait empêché de jouer au pastiche, comme tous les pauvres jeunes gens ses contemporains. C’était un dandy de son époque, et rien de plus. Seulement, pour n’avoir été rien de plus, pour s’être arrêté à ce point juste dans la réalité de son temps, pour n’avoir singé ni Byron, ni Alfieri, ni Lovelace, ni Don Juan, ces physionomies devant lesquelles tout ce qui en avait une la grima, pour avoir échappé au néochristianisme, aux préoccupations moyen-âge, et pour être demeuré dans l’insouciante vérité ou le doute insouciant de sa nature, il avait fallu une certaine force d’inertie rebelle aux entraînements du dehors, ou une raison supérieure. Cette raison supérieure, M. de Maulévrier l’aura plus tard sans nul doute, mais la coupe de ses vêtements était alors d’une trop grande élégance pour que l’indolence de sa personne ne fît pas la moitié de la puissance de sa raison. C’était comme le dernier archevêque de Rohan, qui devint prêtre parce que sa femme était morte pour avoir mis le feu à sa jupe, mais qui, à cause de la beauté même des dentelles de son rochet d’archevêque, faisait un peu tort à la magnifique réputation de son chagrin.

      Au reste, s’il avait été préservé par les défauts et les qualités de son esprit des imitations tourmentées d’une époque de perroquets et de singes, M. de Maulévrier n’était ni plus vrai ni plus naturel qu’on ne l’est ordinairement à Paris. À Paris, qui est vrai maintenant ? Le naturel n’est plus que la superstition de quelques femmes charmantes ; mais ces femmes charmantes mettent une nuance de rouge vers quarante ans, et donnent tous les soirs sur leurs canapés dix démentis à leurs principes religieux, en fait de naturel et de vérité. Seulement, comme l’apprêt et la fausseté de M. de Maulévrier n’étaient ni l’apprêt ni la fausseté des autres, il paraissait fort affecté à cette société affectée qui lui reprochait sans cérémonie d’être fat, ce mot compromis par les sots, mais que les gens d’esprit relèvent. Certes ! si l’on entend par fatuité une excellente et imperturbable bonne opinion de soi-même qui faisait rarement l’hypocrite, M. de Maulévrier méritait un peu ce nom terrible que les femmes appliquent d’une façon presque imprécatoire à l’homme qui ne met pas toute sa gloire à les aimer, et dont la vanité n’est pas la très humble servante de la leur. Cette bonne opinion, quand on l’a, se montre surtout dans les relations du monde avec les femmes, par l’emploi d’une politesse froide et réservée, bien éloignée des câlineries et des vertèbres de serpent qu’il fallait avoir autrefois, quand c’était un honneur de recevoir, comme le maréchal de Bassompierre, six mille lettres d’amour écrites par des mains différentes. Alors la fatuité consistait en une magnifique impudence qui disait les choses haut et net, faisait la roue sous tous les lustres, et gardait fièrement après rupture le portrait de toutes ses maîtresses pour orner sa petite maison. Aujourd’hui, la fatuité ne ressemble plus à tout cela ; elle n’est plus de l’impertinence dans le mot qu’on dit, mais dans le silence qu’on garde. Elle ne conquiert plus ; elle attend. Elle est nonchalante comme Cléopâtre. Elle ne fait plus de sièges ; elle en soutient. Dans notre

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