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écri-vaient fiévreusement. Tout autour de la salle, des gardes nobles debout, l’épée à la main, se tenaient droits et rigides, sans un geste.

      Enfin, au milieu, assise à une table, une femme décachetait activement des lettres amoncelées devant elle. À quelques pas de là, un homme, botté, cuirassé, à demi renversé dans un fauteuil, les jambes croisées l’une sur l’autre, se balançait.

      L’homme, c’était César…

      La femme, c’était Lucrèce Borgia.

      – Ah ! s’écria César en l’apercevant, voici le chevalier, le brave Ragastens à qui, comme à son compatriote Bayard, on pourrait donner le titre de « chevalier sans peur et sans re-proche !… »

      – Monseigneur… interrompit Ragastens embarrassé.

      – Ma sœur, continua César, vous n’avez pas vu le chevalier empoigner un homme et s’en servir comme une catapulte qui lancerait un bloc de rocher… Vous n’avez pas vu le chevalier faire sauter à son cheval un triple rang de faquins armés de poi-gnards…

      – Vous m’avez raconté tout cela, mon frère. Asseyez-vous, terrible chevalier… nous aurons à causer.

      Ragastens s’était incliné devant la jeune femme et une ra-pide évocation des magnifiques splendeurs du Palais-Riant passa devant ses yeux.

      – Allons bon ! reprit Lucrèce en parcourant une lettre, voilà le cardinal Vicenti qui proteste contre la redevance que nous de-mandons sur chaque mariage et enterrement… Écrivez-lui, ajou-ta-t-elle, en se tournant vers les abbés secrétaires, qu’il n’a qu’à s’en référer aux termes formels de notre dernière bulle Esto ma-triomonium… Aidez-moi donc, chevalier… décachetez-moi ce paquet.

      Ragastens obéit, abasourdi, stupéfait.

      Lucrèce parlait, agissait, commandait, comme si elle eût été le pape ! Ce n’était plus la Lucrèce du Palais-Riant. C’était une reine aux yeux durs, à la parole brève, au geste impérieux, un di-plomate, un ministre travaillant à l’expédition des affaires d’État !…

      – Ah ! ah ! s’écria César en riant, vous êtes étonné, cheva-lier… Avouez que vous êtes stupéfait… Vous en verrez bien d’autres… Notre Lucrèce, voyez-vous, c’est notre forte tête !

      – Monseigneur ! fit Ragastens, j’admire sans en être étonné, l’activité d’esprit et la puissance de travail de Mme la duchesse de Bisaglia.

      – Une lettre de notre envoyé à Pesaro ! fit Lucrèce. Il nous prévient que les bons habitants de Pesaro s’agitent… deux mille hommes en armes… À toi, César !…

      – Bon ! Nous allons régler tout cela d’un coup !

      – Écrivez à l’ambassadeur d’Espagne que ce qu’il demande est impossible, reprit Lucrèce. Le pape ne peut tolérer une pa-reille usurpation de ses droits… Le roi d’Espagne est trop catho-lique pour ne pas le comprendre… Et, s’il le faut, on l’aidera à comprendre…

      – Diable ! Tu te fâches, Lucrèce ? ricana César. Qu’y a-t-il ?…

      – Rien… une misère.

      Ragastens assistait avec une stupéfaction croissante à cette scène où Lucrèce se révélait. Elle était la papesse !… Une sorte d’écœurement lui venait devant le flagrant délit de cette impu-dente audace. Il s’était un peu reculé, dans la pénombre d’une encoignure. Mais de là, il voyait tout, il entendait tout…

      – Écrivez, dit à ce moment Lucrèce en se tournant vers l’un des secrétaires, écrivez au cardinal Orsini que Sa Sainteté le prie à déjeuner demain, en sa villa du Belvédère…

      – Alors, ce pauvre cardinal Orsini déjeune avec nous, de-main ? interrogea César à demi-voix.

      – Ça lui apprendra, répondit Lucrèce sur le même ton, ça lui apprendra à faire des enquêtes sur la mort de notre pauvre cher François…

      Ragastens avait entendu. Il frissonna. Il crut avoir entrevu la lugubre signification de cette invitation…

      – À propos, continua Lucrèce tout haut, et l’assassin de notre cher frère, est-il trouvé ?

      – J’ai fait arrêter une vingtaine de chenapans, répondit né-gligemment César. Une douzaine d’entre eux ont déjà subi la tor-ture, mais pas un de ces faquins ne veut avouer… Il faudra bien pourtant retrouver le scélérat… un tel crime ne saurait demeurer impuni.

      – C’est mon avis, dit froidement Lucrèce.

      Ragastens écoutait de ses deux oreilles et se demandait s’il ne rêvait pas… Il avait sinon la certitude matérielle, du moins la conviction instinctive que le duc de Gandie avait été assassiné au Palais-Riant. Et ce fut avec une horreur insurmontable qu’il en-tendit César parler, avec un sinistre sourire, de la torture infligée à des malheureux à qui il « fallait » faire avouer le crime qu’ils n’avaient pas commis.

      Il fut sur le point de dire aussitôt à César qu’il était venu pour lui faire ses adieux. La pensée des promesses qu’il avait faites à Raphaël Sanzio le retint. Et il résolut d’attendre la fin de cette scène.

      Il allait se rapprocher de la table à laquelle était assise Lu-crèce, lorsqu’une petite porte latérale s’ouvrit. Un moine entra et se dirigea aussitôt vers Lucrèce. Ragastens tressaillit en recon-naissant dom Garconio.

      Celui-ci n’avait pas vu le chevalier. Il s’était arrêté près de la table, et tournait le dos à Ragastens.

      – Eh bien ? demanda Lucrèce au moine.

      – Princesse, c’est fait.

      – Bon ! Voilà qui va faire plaisir à mon père.

      – La chose a marché toute seule… Nous avons à moitié as-sommé le peintre…

      – Pas tué, j’espère ?… Mon père tient à ce qu’il achève cette Transfiguration… Caprice de vieillard…

      – Non, princesse, pas tué… à demi assommé seulement… Il en reviendra… Quant à la petite, nous n’avons eu qu’à la cueillir dans nos bras… et, selon vos ordres, nous l’avons conduite au Ti-voli…

      – Parfait ! Vous pouvez vous retirer, maître Garconio… Monsieur l’introducteur, ajouta-t-elle à haute voix, veuillez an-noncer que l’audience est terminée…

      Le moine s’était retiré. Ragastens, livide, la sueur au front, s’était mordu la lèvre jusqu’au sang pour ne pas crier…

      XVII. UNE BONNE IDÉE DE PAPE

      Ainsi, c’était Garconio qui avait enlevé Rosita… Ainsi, c’était sur l’ordre de Borgia que cet enlèvement avait été exécuté… Et c’est au Tivoli que la jeune femme avait été conduite. Ragastens, frappé d’une sorte de stupeur, se demanda de quels formidables bandits se composait décidément cette famille des Borgia, au service desquels il était venu s’engager !

      Mais dans quel but cet enlèvement ? Il osait à peine l’imaginer. Et pourtant, ce mot de « Tivoli », qu’il avait saisi au vol, était presque un trait de lumière… Il se rappelait tout ce qui se disait à Rome sur cette maison de campagne du pape… il évo-quait les récits d’orgie et de débauche qu’on se chuchotait…

      Il frémit en songeant à Raphaël qui lui avait inspiré si vite une si chaude amitié. Il fallait avant tout le prévenir.

      Ragastens cherchait des yeux par où il pourrait s’éclipser sans attirer l’attention de César, lorsqu’une main douce saisit la sienne.

      – À quoi pensez-vous, beau chevalier ?

      Lucrèce était devant lui.

      Ragastens fit un effort pour surmonter le frisson d’épouvante et de dégoût qu’il éprouvait. Il parvint à sourire.

      – Que

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