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des filles, et non pour posséder une femme-fille!

      Il accompagna ce pitoyable jeu de mots d’un bruyant éclat de rire.

      Clotilde haussa les épaules.

      – Eh bien, dit-elle d’un ton provocateur, j’ai votre parole, monsieur, et je vous obligerai à la tenir si vous ne le voulez pas.

      – Il ferait beau voir! riposta-t-il, en marchant sur la jeune femme.

      – N’allez pas plus loin, monsieur; ne me défiez pas! dit-elle en brandissant le sucrier.

      – À vaincre sans combat, on triomphe sans gloire! répliqua gaillardement le baron, qui avait recouvré sa hardiesse.

      Et il se jeta vers le guéridon.

      Mais, par malheur, ses pieds heurtant un tabouret, il tomba étendu tout de son long.

      Clotilde saisit cette occasion pour quitter le salon, et gagna son appartement.

      – Je me passerai de vous, Maria, dit-elle à sa camériste qu’elle rencontra dans le vestibule, et qui se disposait à l’accompagner pour l’aider à faire sa toilette de nuit.

      En entrant dans sa chambre à coucher, elle s’enferma, s’enfonça dans un fauteuil devant la cheminée, où pétillait un bon feu de hêtre, et se mit à réfléchir.

      Bientôt on frappa à la porte.

      – Ah! mon Dieu! dit-elle en fureur, il me poursuivra donc jusqu’ici!

      – C’est moi, Clotilde, je ne vous tourmenterai pas, je veux seulement vous souhaiter le bonsoir, dit la voix du baron à travers la serrure.

      – Je ne puis; je suis couchée, répondit-elle.

      Monsieur de Grandfroy insista.

      Elle garda le silence; et, après quelques minutes de supplications et de menaces, elle eut le plaisir de l’entendre partir en grommelant des injures.

      – Ah! cette situation n’est plus tenable; il la faut rompre! s’écria la jeune femme en ensevelissant sa tête dans ses mains. Demain, j’aviserai, et si ma belle-mère ne me veut point recevoir, eh bien, j’irai à Paris; j’y travaillerai pour vivre. Mais rester davantage dans cet enfer, non, mille fois non! Pourtant, il m’en coûtera de délaisser ces deux chers petits enfants du baron. Ils sont si jeunes, si intéressants! l’aîné surtout qui commence à parler… Ah! que leur mère a dû être malheureuse! Morte, après trois ans de mariage! Pauvre femme, je suis certaine que c’est ce misérable qui l’a tuée par ses hideuses brutalités. Ah! pourquoi une marâtre m’a-t-elle vendue à lui! Pourquoi ai-je ajouté foi à leurs mensonges! Pourquoi, lasse de leurs obsessions, ai-je prononcé ce oui fatal?… Mais comme il fait froid ici! Est-ce que Maria aurait oublié de fermer la fenêtre? Je sens un courant d’air…

      En murmurant ces paroles, Clotilde se leva et se dirigea vers la croisée.

      Aux premiers pas, son pied cria sur un corps friable..

      – Tiens, dit-elle, on a cassé un carreau. Cette chambre est remplie de verre. Comment se fait-il que Maria ne l’ait pas remarqué! On risque de se blesser.

      La jeune femme se baissa pour ramasser un fragment de vitre qui gisait sur le parquet, et elle aperçut un objet blanc près des débris de verre.

      Elle prit cet objet dans ses mains et l’examina.

      C’était une feuille de papier roulée autour d’un petit caillou.

      Clotilde développa le papier. Quelques lignes y étaient tracées au crayon.

      À peine la jeune femme eut-elle jeté les yeux sur ces lignes, qu’elle tressaillit et changea de couleur.

      – L’écriture de Maurice! fit-elle en serrant le papier dans sa main par un mouvement involontaire, et en regardant, de côté et d’autre, comme si elle avait peur que quelqu’un ne l’épiât.

      La pièce était bien close; il n’y avait personne.

      Néanmoins, madame de Grandfroy tira les rideaux des fenêtres et alla s’assurer que la porte était verrouillée.

      Puis, elle s’approcha d’une lampe, et, tremblante, elle lut le billet.

      Il était conçu en ces termes:

      «Je suis ici; j’attends dans le parc depuis la chute du jour; j’attendrai toute la nuit, s’il est nécessaire; je veux vous voir, vous parler… Un signe, j’escalade le balcon, je suis près de vous; un refus, demain, vous apprendrez ma mort.»

      – Maurice ici! Maurice de retour! dit Clotilde en joignant ses mains avec autant de joie que d’effroi, après avoir lancé le papier au feu. Que vais-je faire? Je ne puis le recevoir! Si on venait… si on le surprenait dans ma chambre… Mais le laisser dans le parc… par cette température glaciale… Et ce suicide… ce suicide dont il parle… Oh! non, non, non… Mais je ne suis plus libre… je ne puis plus disposer de mes actions… je suis mariée! Mariée! … le déshonneur! … N’importe! Maurice est honnête… Je le reverrai cette fois… rien que cette fois… une heure… pas davantage… et nous nous quitterons… pour toujours…

      Madame de Grandfroy avait déjà la main sur l’espagnolette de la fenêtre, elle l’ouvrit en frémissant.

      Un jeune homme, enveloppé dans un manteau couvert de neige, tomba à ses pieds.

      – Clotilde! s’écria-t-il en lui embrassant les genoux.

      – Maurice! balbutia-t-elle.

      – Ah! continua le jeune homme, je paierais volontiers de mes jours ce moment d’ivresse. Un baiser, ma Clotilde! un baiser! Oh! donne-le moi! que je respire le parfum de tes lèvres…

      – Maurice, dit la jeune femme haletante, relevez-vous, de grâce! j’ai été folle de vous ouvrir… Ne me faites pas regretter ma faiblesse… Mais comme il a froid, mon Dieu! … Il grelotte… Quelle imprudence aussi… Venir par cette nuit d’hiver… Voyons, mon bon Maurice, laissez-moi fermer la fenêtre et asseyez-vous…

      – Quoi! pas un baiser auparavant! dit-il en l’inondant de ses regards magnétiques.

      Vaincue, subjuguée, elle s’inclina languissamment et lui effleura le front.

      La croisée fut refermée; et le jeune homme, entraînant madame de Grandfroy à une causeuse, se coucha devant elle.

      – Vous me pardonnez donc, lui dit Clotilde d’un ton bas en enroulant son bras au cou de Maurice, dont le manteau dégrafé avait coulé de ses épaules, et qui apparaissait maintenant en uniforme de lieutenant de marine.

      – Si je vous pardonne! si je te pardonne! dit-il avec des inflexions caressantes, en renversant sa tête sur les genoux de sa maîtresse et lui jetant aussi les bras autour du col dont il abaissa doucement la tête vers la sienne; si je te pardonne! Eh! ne sais-je pas ta vie, ma pauvre Clotilde? N’ai-je point appris qu’après t’avoir martyrisée on s’était joué de toi! qu’on avait fait courir le bruit que j’étais mort, pour te forcer à épouser ce…

      – Maurice, ne prononcez pas son nom, je vous en conjure!

      – Oui, j’ai appris tout cela, poursuivit le jeune homme. Il était trop tard… tu étais mariée… J’ai souffert! … Mais à quoi bon parler des souffrances passées, quand la félicité me verse sa coupe d’ambroisie… Oh! qu’ils sont bons, qu’ils sont suaves, tes baisers! Encore, ma bien-aimée, encore…

      – Non, assez… assez… Maurice… épargnez-moi… Si vous m’aimez, respectez-moi!

      – Vous épargner! C’est vrai! dit le jeune homme en changeant de ton et devenant brusque, c’est vrai, vous avez un mari!

      – Maurice! Maurice! Oh! ne me dites pas cela! ne me rudoyez pas ainsi; je ne le mérite pas. Je n’ai pas cessé de vous aimer, pas cessé de vous être fidèle.

      – Fidèle! répéta ironiquement le jeune homme.

      – Je vous

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