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nous sommes trouvé pour la séance où Danton s’expliqua sur ses relations avec Dumouriez, et quelques autres encore. Un choix, d’autre part, s’imposait parmi tous les discours du conventionnel. Ce n’est pas à l’ensemble de son oeuvre oratoire que nous avons prétendu ici, et d’ailleurs, il serait à coup sûr impossible de le reconstituer rigoureusement.

      Ce choix, la matière même des discours nous le facilita singulièrement. Tous les sujets de quelque importance furent discutés et traités par Danton avec assez d’abondance. L’obligation de reproduire les discours où il exposa ses vues politiques, le plus complètement et le plus longuement, s’imposait donc. Ce fut d’ailleurs la méthode dont se servit, en 1886, A. Vermorel, pour réunir quelques discours du conventionnel sous le titre: Oeuvres de Danton, comme il avait recueilli celles de Saint-Just, de Robespierre, de Mirabeau et de Desmoulins. Ce fut la seule tentative faite pour réunir les discours du ministre du 10 août; mais, outre les erreurs de dates assez sérieuses, Vermorel n’avait pris aucun soin de résumer ou de donner la brève physionomie des séances où les discours publiés furent prononcés. Nous avons essayé de combler cette lacune, d’éclairer ainsi certains passages qui pouvaient sembler obscurs. Enfin, nous avons cru utile de joindre à ce volume le mémoire justificatif rédigé par les fils Danton contre les accusations de vénalité portées contre leur père. Cette pièce curieuse publiée par le Dr. Robinet dans son mémoire sur la vie privée du conventionnel méritait d’être reproduite, tant à cause de la haute mémoire qu’elle défend, qu’à cause de la personnalité de ses signataires. C’est une réponse précise, modérée et de noble ton, qui a le mérite de prouver, par des pièces écrites, et authentiques, la probité de celui qui mourut, suivant le mot de M. Aulard, pur de sang, pur d’argent.

      Restitués ainsi dans leur ensemble, ces discours de Danton apparaîtront comme de belles leçons de civisme et de pur patriotisme. Jamais amour pour la terre natale ne brûla d’un feu plus égal, plus haut; jamais patriotisme ne s’affirma avec plus de persévérance et plus de foi en le pays; jamais homme ne légua à l’histoire une plus vaste espérance dans les glorieuses destinées de la Révolution.

      Hector Fleischmann

      ANNÉE 1792

      I. SUR LES DEVOIRS DE L’HOMME PUBLIC

(Novembre 1791)

      Nommé administrateur du département de Paris le 31 janvier 1791, Danton occupa cette fonction pendant presque toute cette année. Il ne s’en démit qu’à la fin de novembre pour prendre le poste de substitut du procureur de la Commune, auquel le Dix Août devait l’arracher pour le faire ministre. La vigueur déployée par lui dans ce poste prépara les voies de la grande journée fatale à la Monarchie, et le discours qu’il prononça, lors de son installation, le fit aisément prévoir. C’est le programme des devoirs de l’homme public qu’il y expose dans cette harangue mûrement réfléchie et qui, si elle n’a pas toute la flamme de ses éclatantes improvisations de 93, se fait cependant remarquer par une audace de pensée assez rare, au début du grand conflit national, dans les rangs des magistrats du peuple. Vermorel, qui la publia d’après le texte donné par Fréron dans «L’Orateur du Peuple», lui donne la date de novembre 1792 (p. 109). C’est en novembre 1791 qu’il convient de la rétablir.

* * *

      Monsieur le Maire et Messieurs,

      Dans une circonstance qui ne fut pas un des moments de sa gloire, un homme dont le nom doit être à jamais célèbre dans l’histoire de la Révolution disait: qu’il savait bien qu’il n’y avait pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne; et moi, vers la même époque à peu près, lorsqu’une sorte de plébiscite m’écarta de l’enceinte de cette assemblée où m’appelait une section de la capitale, je répondais à ceux qui attribuaient à l’affaiblissement de l’énergie des citoyens ce qui n’était que l’effet d’une erreur éphémère, qu’il n’y avait pas loin, pour un homme pur, de l’ostracisme suggéré aux premières fonctions de la chose publique. L’événement justifie aujourd’hui ma pensée; l’opinion, non ce vain bruit qu’une faction de quelques mois ne fait régner qu’autant qu’elle-même, l’opinion indestructible, celle qui se fonde sur des faits qu’on ne peut longtemps obscurcir, cette opinion qui n’accorde point d’amnistie aux traîtres, et dont le tribunal suprême, casse les jugements des sots et les décrets des juges vendus à la tyrannie, cette opinion me rappelle du fond de ma retraite, où j’allais cultiver cette métairie qui, quoique obscure et acquise avec le remboursement notoire d’une charge qui n’existe plus, n’en a pas moins été érigée par mes détracteurs en domaines immenses, payés par je ne sais quels agents de l’Angleterre et de la Prusse.

      Je dois prendre place au milieu de vous, messieurs, puisque tel est le voeu des amis de la liberté et de la constitution; je le dois—d’autant plus que ce n’est pas dans le moment où la patrie est menacée de toutes parts qu’il est permis de refuser un poste qui peut avoir ses dangers comme celui d’une sentinelle avancée. Je serais entré silencieusement ici dans la carrière qui m’est ouverte, après avoir dédaigné pendant tout le cours de la Révolution de repousser aucune des calomnies sans nombre dont j’ai été assiégé, je ne me permettrais pas de parler un seul instant de moi, j’attendrais ma juste réputation de mes actions et du temps, si les fonctions déléguées auxquelles je vais me livrer ne changeaient pas entièrement ma position. Comme individu, je méprise les traits qu’on me lance, ils ne me paraissent qu’un vain sifflement; devenu homme du peuple, je dois, sinon répondre à tout, parce qu’il est des choses dont il serait absurde de s’occuper, mais au moins lutter corps à corps avec quiconque semblera m’attaquer avec une sorte de bonne foi. Paris, ainsi que la France entière, se compose de trois classes; l’une ennemie de toute liberté, de toute égalité, de toute constitution, et digne de tous les maux dont elle a accablé, dont elle voudrait encore accabler la nation; celle-là je ne veux point lui parler, je ne veux que la combattre à outrance jusqu’à la mort; la seconde est l’élite des amis ardents, des coopérateurs, des plus fermes soutiens de notre Révolution, c’est elle qui a constamment voulu que je sois ici; je ne dois non plus rien dire, elle m’a jugé, je ne la tromperai jamais dans son attente: la troisième, aussi nombreuse que bien intentionnée, veut également la liberté, mais elle en craint les orages; elle ne hait pas ses défenseurs qu’elle secondera toujours dans les moments de périls, mais elle condamne souvent leur énergie, qu’elle croit habituellement ou déplacée ou dangereuse; c’est à cette classe de citoyens que je respecte, lors même qu’elle prête une oreille trop facile aux insinuations perfides de ceux qui cachent sous le masque de la modération l’atrocité de leurs desseins; c’est, dis-je, à ces citoyens que je dois, comme magistrat du peuple, me faire bien connaître par une profession de foi solennelle de mes principes politiques.

      La nature m’a donné en partage les formes athlétiques et la physionomie âpre de la liberté. Exempt du malheur d’être né d’une de ces races privilégiées suivant nos vieilles institutions, et par cela même presque toujours abâtardies, j’ai conservé, en créant seul mon existence civile, toute ma vigueur native, sans cependant cesser un seul instant, soit dans ma vie privée, soit dans la profession que j’avais embrassée, de prouver que je savais allier le sang-froid de la raison à la chaleur de l’âme et à la fermeté du caractère. Si, dès les premiers jours de notre régénération, j’ai éprouvé tous les bouillonnements du patriotisme, si j’ai consenti à paraître exagéré pour n’être jamais faible, si je me suis attiré une première proscription pour avoir dit hautement ce qu’étaient ces hommes qui voulaient faire le procès à la Révolution, pour avoir défendu ceux qu’on appelait les énergumènes de la liberté, c’est que je vis ce qu’on devait attendre des traîtres qui protégeaient ouvertement les serpents de l’aristocratie.

      Si j’ai été toujours irrévocablement attaché à la cause du peuple, si je n’ai pas partagé l’opinion d’une foule de citoyens, bien intentionnés sans doute, sur des hommes dent la vie politique me semblait d’une versatilité bien dangereuse, si j’ai interpellé face à face, et aussi publiquement que loyalement, quelques-uns de ces hommes qui se croyaient les pivots de notre Révolution; si j’ai voulu qu’ils s’expliquassent

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