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mécanisme d’un piège à loups qu’il avait inventé lui-même, lorsque, s’interrompant tout à coup:

      – Monsieur l’amiral ne vient-il donc pas ce soir? demanda-t-il; qui l’a aperçu aujourd’hui et qui peut me donner de ses nouvelles?

      – Moi, dit le roi de Navarre, et au cas où Votre Majesté serait inquiète de sa santé, je pourrais la rassurer, car je l’ai vu ce matin à six heures et ce soir à sept.

      – Ah! ah! fit le roi, dont les yeux un instant distraits se reposèrent avec une curiosité perçante sur son beau-frère, vous êtes bien matineux, Henriot, pour un jeune marié!

      – Oui, Sire, répondit le roi de Béarn, je voulais savoir de l’amiral, qui sait tout, si quelques gentilshommes que j’attends encore ne sont point en route pour venir.

      – Des gentilshommes encore! vous en aviez huit cents le jour de vos noces, et tous les jours il en arrive de nouveaux, voulez-vous donc nous envahir? dit Charles IX en riant.

      Le duc de Guise fronça le sourcil.

      – Sire, répliqua le Béarnais, on parle d’une entreprise sur les Flandres, et je réunis autour de moi tous ceux de mon pays et des environs que je crois pouvoir être utiles à Votre Majesté.

      Le duc, se rappelant le projet dont le Béarnais avait parlé à Marguerite le jour de ses noces, écouta plus attentivement.

      – Bon! bon! répondit le roi avec son sourire fauve, plus il y en aura, plus nous serons contents; amenez, amenez, Henri. Mais qui sont ces gentilshommes? des vaillants, j’espère?

      – J’ignore, Sire, si mes gentilshommes vaudront jamais ceux de Votre Majesté, ceux de monsieur le duc d’Anjou ou ceux de monsieur de Guise, mais je les connais et sais qu’ils feront de leur mieux.

      – En attendez-vous beaucoup?

      – Dix ou douze encore.

      – Vous les appelez?

      – Sire, leurs noms m’échappent, et, à l’exception de l’un d’eux, qui m’est recommandé par Téligny comme un gentilhomme accompli et qui s’appelle de la Mole, je ne saurais dire…

      – De la Mole! n’est-ce point un Lerac de La Mole, reprit le roi fort versé dans la science généalogique, un Provençal?

      – Précisément, Sire; comme vous voyez, je recrute jusqu’en Provence.

      – Et moi, dit le duc de Guise avec un sourire moqueur, je vais plus loin encore que Sa Majesté le roi de Navarre, car je vais chercher jusqu’en Piémont tous les catholiques sûrs que j’y puis trouver.

      – Catholiques ou huguenots, interrompit le roi, peu m’importe, pourvu qu’ils soient vaillants.

      Le roi, pour dire ces paroles qui, dans son esprit, mêlaient huguenots et catholiques, avait pris une mine si indifférente que le duc de Guise en fut étonné lui-même.

      – Votre Majesté s’occupe de nos Flamands? dit l’amiral à qui le roi, depuis quelques jours, avait accordé la faveur d’entrer chez lui sans être annoncé, et qui venait d’entendre les dernières paroles du roi.

      – Ah! voici mon père l’amiral, s’écria Charles IX en ouvrant les bras; on parle de guerre, de gentilshommes, de vaillants, et il arrive; ce que c’est que l’aimant, le fer s’y tourne; mon beau-frère de Navarre et mon cousin de Guise attendent des renforts pour votre armée. Voilà ce dont il était question.

      – Et ces renforts arrivent, dit l’amiral.

      – Avez-vous eu des nouvelles, monsieur? demanda le Béarnais.

      – Oui, mon fils, et particulièrement de M. de La Mole; il était hier à Orléans, et sera demain ou après-demain à Paris.

      – Peste! monsieur l’amiral est donc nécromant, pour savoir ainsi ce qui se fait à trente ou quarante lieues de distance! Quant à moi, je voudrais bien savoir avec pareille certitude ce qui se passa ou ce qui s’est passé devant Orléans!

      Coligny resta impassible à ce trait sanglant du duc de Guise, lequel faisait évidemment allusion à la mort de François de Guise, son père, tué devant Orléans par Poltrot de Méré, non sans soupçon que l’amiral eut conseillé le crime.

      – Monsieur, répliqua-t-il froidement et avec dignité, je suis nécromant toutes les fois que je veux savoir bien positivement ce qui importe à mes affaires ou à celles du roi.

      Mon courrier est arrivé d’Orléans il y a une heure, et, grâce à la poste, a fait trente-deux lieues dans la journée. M. de La Mole, qui voyage sur son cheval, n’en fait que dix par jour, lui, et arrivera seulement le 24. Voilà toute la magie.

      – Bravo, mon père! bien répondu, dit Charles IX. Montrez à ces jeunes gens que c’est la sagesse en même temps que l’âge qui ont fait blanchir votre barbe et vos cheveux: aussi allons-nous les envoyer parler de leurs tournois et de leurs amours, et rester ensemble à parler de nos guerres. Ce sont les bons cavaliers qui font les bons rois, mon père. Allez, messieurs, j’ai à causer avec l’amiral.

      Les deux jeunes gens sortirent, le roi de Navarre d’abord, le duc de Guise ensuite; mais, hors de la porte, chacun tourna de son côté après une froide révérence.

      Coligny les avait suivis des yeux avec une certaine inquiétude, car il ne voyait jamais rapprocher ces deux haines sans craindre qu’il n’en jaillît quelque nouvel éclair. Charles IX comprit ce qui se passait dans son esprit, vint à lui, et appuyant son bras au sien:

      – Soyez tranquille, mon père, je suis là pour maintenir chacun dans l’obéissance et le respect. Je suis véritablement roi depuis que ma mère n’est plus reine, et elle n’est plus reine depuis que Coligny est mon père.

      – Oh! Sire, dit l’amiral, la reine Catherine…

      – Est une brouillonne. Avec elle il n’y a pas de paix possible. Ces catholiques italiens sont enragés et n’entendent rien qu’à exterminer. Moi, tout au contraire, non seulement je veux pacifier, mais encore je veux donner de la puissance à ceux de la religion. Les autres sont trop dissolus, mon père, et ils me scandalisent par leurs amours et par leurs dérèglements. Tiens, veux-tu que je te parle franchement, continua Charles IX en redoublant d’épanchement, je me défie de tout ce qui m’entoure, excepté de mes nouveaux amis! L’ambition des Tavannes m’est suspecte. Vieilleville n’aime que le bon vin, et il serait capable de trahir son roi pour une tonne de malvoisie. Montmorency ne se soucie que de la chasse, et passe son temps entre ses chiens et ses faucons. Le comte de Retz est Espagnol, les Guises sont Lorrains: il n’y a de vrais Français en France, je crois, Dieu me pardonne! que moi, mon beau-frère de Navarre et toi. Mais, moi, je suis enchaîné au trône et ne puis commander des armées. C’est tout au plus si on me laisse chasser à mon aise à Saint-Germain et à Rambouillet. Mon beau-frère de Navarre est trop jeune et trop peu expérimenté. D’ailleurs, il me semble en tout point tenir de son père Antoine que les femmes ont toujours perdu. Il n’y a que toi, mon père, qui sois à la fois brave comme Julius César, et sage comme Plato. Aussi, je ne sais ce que je dois faire, en vérité: te garder comme conseiller ici, ou t’envoyer là-bas comme général. Si tu me conseilles, qui commandera? Si tu commandes, qui me conseillera?

      – Sire, dit Coligny, il faut vaincre d’abord, puis le conseil viendra après la victoire.

      – C’est ton avis, mon père? eh bien, soit. Il sera fait selon ton avis. Lundi tu partiras pour les Flandres, et moi, pour Amboise.

      – Votre Majesté quitte Paris?

      – Oui. Je suis fatigué de tout ce bruit et de toutes ces fêtes. Je ne suis pas un homme d’action, moi, je suis un rêveur. Je n’étais pas né pour être roi, j’étais né pour être poète. Tu feras une espèce de conseil qui gouvernera tant que tu seras à la guerre; et pourvu que ma mère n’en soit pas, tout ira bien. Moi, j’ai déjà prévenu Ronsard de venir me rejoindre; et là, tous les deux loin du bruit, loin du monde, loin des méchants, sous nos grands bois, aux bords

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