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En disant ces mots, Coconnas jeta aux pieds du vieillard la bourse qu’avant son départ son père lui avait remise pour acquitter sa dette avec son créancier.

      – Et la preuve, continua-t-il, c’est que voilà votre argent.

      – Et toi, voici ta mort! cria la mère de la fenêtre.

      – Prenez garde, monsieur de Coconnas, prenez garde, dit la dame de l’hôtel de Guise.

      Mais avant que Coconnas eût pu tourner la tête pour se rendre à ce dernier avis ou pour se soustraire à la première menace, une masse pesante fendit l’air en sifflant, s’abattit à plat sur le chapeau du Piémontais, lui brisa son épée dans la main et le coucha sur le pavé, surpris, étourdi, assommé, sans qu’il eût pu entendre le double cri de joie et de détresse qui se répandit de droite et de gauche.

      Mercandon s’élança aussitôt, le poignard à la main, sur Coconnas évanoui. Mais en ce moment la porte de l’hôtel de Guise s’ouvrit, et le vieillard, voyant luire les pertuisanes et les épées, s’enfuit; tandis que celle qu’il avait appelée madame la duchesse, belle d’une beauté terrible à la lueur de l’incendie, éblouissante de pierreries et de diamants, se penchait, à moitié hors de la fenêtre, pour crier aux nouveaux venus, le bras tendu vers Coconnas:

      – Là! là! en face de moi; un gentilhomme vêtu d’un pourpoint rouge. Celui-là, oui, oui, celui-là! …

      X. Mort, messe ou Bastille

      Marguerite, comme nous l’avons dit, avait refermé sa porte et était rentrée dans sa chambre. Mais comme elle y entrait, toute palpitante, elle aperçut Gillonne, qui, penchée avec terreur vers la porte du cabinet, contemplait des traces de sang éparses sur le lit, sur les meubles et sur le tapis.

      – Ah! madame, s’écria-t-elle en apercevant la reine. Oh! madame, est-il donc mort?

      – Silence! Gillonne, dit Marguerite de ce ton de voix qui indique l’importance de la recommandation. Gillonne se tut.

      Marguerite tira alors de son aumônière une petite clef dorée, ouvrit la porte du cabinet et montra du doigt le jeune homme à sa suivante.

      La Mole avait réussi à se soulever et à s’approcher de la fenêtre. Un petit poignard, de ceux que les femmes portaient à cette époque, s’était rencontré sous sa main, et le jeune gentilhomme l’avait saisi en entendant ouvrir la porte.

      – Ne craignez rien, monsieur, dit Marguerite, car, sur mon âme, vous êtes en sûreté. La Mole se laissa retomber sur ses genoux.

      – Oh! madame, s’écria-t-il, vous êtes pour moi plus qu’une reine, vous êtes une divinité.

      – Ne vous agitez pas ainsi, monsieur, s’écria Marguerite, votre sang coule encore… Oh! regarde, Gillonne, comme il est pâle… Voyons, où êtes-vous blessé?

      – Madame, dit La Mole en essayant de fixer sur des points principaux la douleur errante par tout le corps, je crois avoir reçu un premier coup de dague à l’épaule et un second dans la poitrine; les autres blessures ne valent point la peine qu’on s’en occupe.

      – Nous allons voir cela, dit Marguerite; Gillonne, apporte ma cassette de baumes.

      Gillonne obéit et rentra, tenant d’une main la cassette, et de l’autre une aiguière de vermeil et du linge de fine toile de Hollande.

      – Aide-moi à le soulever, Gillonne, dit la reine Marguerite, car, en se soulevant lui-même, le malheureux a achevé de perdre ses forces.

      – Mais, madame, dit La Mole, je suis tout confus; je ne puis souffrir en vérité…

      – Mais, monsieur, vous allez vous laisser faire, que je pense, dit Marguerite; quand nous pouvons vous sauver, ce serait un crime de vous laisser mourir.

      – Oh! s’écria La Mole, j’aime mieux mourir que de vous voir, vous, la reine, souiller vos mains d’un sang indigne comme le mien… Oh! jamais! jamais!

      Et il se recula respectueusement.

      – Votre sang, mon gentilhomme, reprit en souriant Gillonne, eh! vous en avez déjà souillé tout à votre aise le lit et la chambre de Sa Majesté.

      Marguerite croisa son manteau sur son peignoir de batiste, tout éclaboussé de petites taches vermeilles. Ce geste, plein de pudeur féminine, rappela à La Mole qu’il avait tenu dans ses bras et serré contre sa poitrine cette reine si belle, si aimée, et à ce souvenir une rougeur fugitive passa sur ses joues blêmies.

      – Madame, balbutia-t-il, ne pouvez-vous m’abandonner aux soins d’un chirurgien?

      – D’un chirurgien catholique, n’est-ce pas? demanda la reine avec une expression que comprit La Mole, et qui le fit tressaillir.

      – Ignorez-vous donc, continua la reine avec une voix et un sourire d’une douceur inouïe, que, nous autres filles de France, nous sommes élevées à connaître la valeur des plantes et à composer des baumes? car notre devoir, comme femmes et comme reines, a été de tout temps d’adoucir les douleurs! Aussi valons-nous les meilleurs chirurgiens du monde, à ce que disent nos flatteurs du moins. Ma réputation, sous ce rapport, n’est-elle pas venue à votre oreille? Allons, Gillonne, à l’ouvrage!

      La Mole voulait essayer de résister encore; il répéta de nouveau qu’il aimait mieux mourir que d’occasionner à la reine ce labeur, qui pouvait commencer par la pitié et finir par le dégoût. Cette lutte ne servit qu’à épuiser complètement ses forces. Il chancela, ferma les yeux, et laissa retomber sa tête en arrière, évanoui pour la seconde fois.

      Alors Marguerite, saisissant le poignard qu’il avait laissé échapper, coupa rapidement le lacet qui fermait son pourpoint, tandis que Gillonne, avec une autre lame, décousait ou plutôt tranchait les manches de La Mole.

      Gillonne, avec un linge imbibé d’eau fraîche, étancha le sang qui s’échappait de l’épaule et de la poitrine du jeune homme, tandis que Marguerite, d’une aiguille d’or à la pointe arrondie, sondait les plaies avec toute la délicatesse et l’habileté que maître Ambroise Paré eût pu déployer en pareille circonstance.

      Celle de l’épaule était profonde, celle de la poitrine avait glissé sur les côtes et traversait seulement les chairs; aucune des deux ne pénétrait dans les cavités de cette forteresse naturelle qui protège le cœur et les poumons.

      – Plaie douloureuse et non mortelle, Acerrimum humeri vulnus, non autem lethale, murmura la belle et savante chirurgienne; passe-moi du baume et prépare de la charpie, Gillonne.

      Cependant Gillonne, à qui la reine venait de donner ce nouvel ordre, avait déjà essuyé et parfumé la poitrine du jeune homme et en avait fait autant de ses bras modelés sur un dessin antique, de ses épaules gracieusement rejetées en arrière, de son cou ombragé de boucles épaisses et qui appartenait bien plutôt à une statue de marbre de Paros qu’au corps mutilé d’un homme expirant.

      – Pauvre jeune homme, murmura Gillonne en regardant non pas tant son ouvrage que celui qui venait d’en être l’objet.

      – N’est-ce pas qu’il est beau? dit Marguerite avec une franchise toute royale.

      – Oui, madame. Mais il me semble qu’au lieu de le laisser ainsi couché à terre nous devrions le soulever et l’étendre sur le lit de repos contre lequel il est seulement appuyé.

      – Oui, dit Marguerite, tu as raison.

      Et les deux femmes, s’inclinant et réunissant leurs forces, soulevèrent La Mole et le déposèrent sur une espèce de grand sofa à dossier sculpté qui s’étendait devant la fenêtre, qu’elles entrouvrirent pour lui donner de l’air.

      Le mouvement réveilla La Mole, qui poussa un soupir et, rouvrant les yeux, commença d’éprouver cet incroyable bien-être qui accompagne toutes les sensations du blessé, alors qu’à son retour à la vie il retrouve la fraîcheur au lieu des flammes dévorantes, et les parfums du baume au lieu de la tiède et nauséabonde odeur du sang.

      Il

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