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à ceux d’un incendie.

      La fenêtre, sur laquelle le duc avait tant de fois levé les yeux, s’ouvrit ou plutôt vola en éclats; et un homme, au visage pâle et au cou blanc tout souillé de sang, apparut sur le balcon.

      – Besme! cria le duc; enfin c’est toi! Eh bien? eh bien?

      – Foilà, foilà! répondit froidement l’Allemand, qui, se baissant, se releva presque aussitôt en paraissant soulever un poids considérable.

      – Mais les autres, demanda impatiemment le duc, les autres, où sont-ils?

      – Les autres, ils achèfent les autres.

      – Et toi, toi! qu’as-tu fait?

      – Moi, fous allez foir; regulez-vous un beu. Le duc fit un pas en arrière. En ce moment on put distinguer l’objet que Besme attirait à lui d’un si puissant effort.

      C’était le cadavre d’un vieillard.

      Il le souleva au-dessus du balcon, le balança un instant dans le vide, et le jeta aux pieds de son maître. Le bruit sourd de la chute, les flots de sang qui jaillirent du corps et diaprèrent au loin le pavé, frappèrent d’épouvante jusqu’au duc lui-même; mais ce sentiment dura peu, et la curiosité fit que chacun s’avança de quelques pas, et que la lueur d’un flambeau vint trembler sur la victime. On distingua alors une barbe blanche, un visage vénérable, et des mains raidies par la mort.

      – L’amiral, s’écrièrent ensemble vingt voix qui ensemble se turent aussitôt.

      – Oui, l’amiral. C’est bien lui, dit le duc en se rapprochant du cadavre pour le contempler avec une joie silencieuse.

      – L’amiral! l’amiral! répétèrent à demi-voix tous les témoins de cette terrible scène, se serrant les uns contre les autres, et se rapprochant timidement de ce grand vieillard abattu.

      – Ah! te voilà donc, Gaspard! dit le duc de Guise triomphant; tu as fait assassiner mon père, je le venge! Et il osa poser le pied sur la poitrine du héros protestant.

      Mais aussitôt les yeux du mourant s’ouvrirent avec effort, sa main sanglante et mutilée se crispa une dernière fois, et l’amiral, sans sortir de son immobilité, dit au sacrilège d’une voix sépulcrale:

      – Henri de Guise, un jour aussi tu sentiras sur ta poitrine le pied d’un assassin. Je n’ai pas tué ton père. Sois maudit!

      Le duc, pâle et tremblant malgré lui, sentit un frisson de glace courir par tout son corps; il passa la main sur son front comme pour en chasser la vision lugubre; puis, quand il la laissa retomber, quand il osa reporter la vue sur l’amiral, ses yeux s’étaient refermés, sa main était redevenue inerte, et un sang noir épanché de sa bouche sur sa barbe blanche avait succédé aux terribles paroles que cette bouche venait de prononcer.

      Le duc releva son épée avec un geste de résolution désespérée.

      – Eh bien, monsir, lui dit Besme, êtes-fous gontent?

      – Oui, mon brave, oui, répliqua Henri, car tu as vengé…

      – Le dugue François, n’est-ce pas?

      – La religion, reprit Henri d’une voix sourde. Et maintenant, continua-t-il en se retournant vers les Suisses, les soldats et les bourgeois qui encombraient la cour et la rue, à l’œuvre, mes amis, à l’œuvre!

      – Eh! bonjour, monsieur de Besme, dit alors Coconnas s’approchant avec une sorte d’admiration de l’Allemand, qui, toujours sur le balcon, essuyait tranquillement son épée.

      – C’est donc vous qui l’avez expédié? cria La Hurière en extase; comment avez-vous fait cela, mon digne gentilhomme?

      – Oh! pien zimblement, pien zimblement: il avre entendu tu pruit, il avre oufert son borte, et moi ly avre passé mon rapir tans le corps à lui. Mais ce n’est bas le dout, che grois que le Téligny en dient, che l’endens grier.

      En ce moment, en effet, quelques cris de détresse qui semblaient poussés par une voix de femme se firent entendre; des reflets rougeâtres illuminèrent une des deux ailes formant galerie. On aperçut deux hommes qui fuyaient poursuivis par une longue file de massacreurs. Une arquebusade tua l’un; l’autre trouva sur son chemin une fenêtre ouverte, et, sans mesurer la hauteur, sans s’inquiéter des ennemis qui l’attendaient en bas, il sauta intrépidement dans la cour.

      – Tuez! tuez! crièrent les assassins en voyant leur victime prête à leur échapper.

      L’homme se releva en ramassant son épée, qui, dans sa chute, lui était échappée des mains, prit sa course tête baissée à travers les assistants, enculbuta trois ou quatre, en perça un de son épée, et au milieu du feu des pistolades, au milieu des imprécations des soldats furieux de l’avoir manqué, il passa comme l’éclair devant Coconnas, qui l’attendait à la porte, le poignard à la main.

      – Touché! cria le Piémontais en lui traversant le bras de sa lame fine et aiguë.

      – Lâche! répondit le fugitif en fouettant le visage de son ennemi avec la lame de son épée, faute d’espace pour lui donner un coup de pointe.

      – Oh! mille démons! s’écria Coconnas, c’est monsieur de la Mole!

      – Monsieur de la Mole! répétèrent La Hurière et Maurevel.

      – C’est celui qui a prévenu l’amiral! crièrent plusieurs soldats.

      – Tue! tue! … hurla-t-on de tous côtés. Coconnas, La Hurière et dix soldats s’élancèrent à la poursuite de La Mole, qui, couvert de sang et arrivé à ce degré d’exaltation qui est la dernière réserve de la vigueur humaine, bondissait par les rues, sans autre guide que l’instinct. Derrière lui, les pas et les cris de ses ennemis l’éperonnaient et semblaient lui donner des ailes. Parfois une balle sifflait à son oreille et imprimait tout à coup à sa course, près de se ralentir, une nouvelle rapidité. Ce n’était plus une respiration, ce n’était plus une haleine qui sortait de sa poitrine, mais un râle sourd, mais un rauque hurlement. La sueur et le sang dégouttaient de ses cheveux et coulaient confondus sur son visage. Bientôt son pourpoint devint trop serré pour les battements de son cœur, et il l’arracha. Bientôt son épée devint trop lourde pour sa main, et il la jeta loin de lui. Parfois il lui semblait que les pas s’éloignaient et qu’il était près d’échapper à ses bourreaux; mais aux cris de ceux-ci, d’autres massacreurs qui se trouvaient sur son chemin et plus rapprochés quittaient leur besogne sanglante et accouraient. Tout à coup il aperçut la rivière coulant silencieusement à sa gauche; il lui sembla qu’il éprouverait, comme le cerf aux abois, un indicible plaisir à s’y précipiter, et la force suprême de la raison put seule le retenir. À sa droite c’était le Louvre, sombre, immobile, mais plein de bruits sourds et sinistres. Sur le pont-levis entraient et sortaient des casques, des cuirasses, qui renvoyaient en froids éclairs les rayons de la lune. La Mole songea au roi de Navarre comme il avait songé à Coligny: c’étaient ses deux seuls protecteurs. Il réunit toutes ses forces, regarda le ciel en faisant tout bas le vœu d’abjurer s’il échappait au massacre, fit perdre par un détour une trentaine de pas à la meute qui le poursuivait, piqua droit vers le Louvre, s’élança sur le pont pêle-mêle avec les soldats, reçut un nouveau coup de poignard qui glissa le long des côtes, et, malgré les cris de: «Tue! tue! » qui retentissaient derrière lui et autour de lui, malgré l’attitude offensive que prenaient les sentinelles, il se précipita comme une flèche dans la cour, bondit jusqu’au vestibule, franchit l’escalier, monta deux étages, reconnut une porte et s’y appuya en frappant des pieds et des mains.

      – Qui est là?murmura une voix de femme.

      – Oh! mon Dieu! mon Dieu! murmura La Mole, ils viennent… je les entends… les voilà… je les vois… C’est moi! … moi! …

      – Qui vous? reprit la voix. La Mole se rappela le mot d’ordre.

      – Navarre! Navarre! cria-t-il. Aussitôt la porte s’ouvrit. La Mole, sans voir, sans remercier

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