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aérienne ; il blâma seulement le point de départ ; il indiquait plutôt Masuah, petit port de l’Abyssinie, d’où James Bruce, en 1768, s’était élancé à la recherche des sources du Nil. D’ailleurs il admirait sans réserve cet esprit énergique du docteur Fergusson, et ce cœur couvert d’un triple airain qui concevait et tentait un pareil voyage.

      Le North American Review ne vit pas sans déplaisir une telle gloire réservée à l’Angleterre ; il tourna la proposition du docteur en plaisanterie, et l’engagea à pousser jusqu’en Amérique, pendant qu’il serait en si bon chemin.

      Bref, sans compter les journaux du monde entier, il n’y eut pas de recueil scientifique, depuis le Journal des Missions évangéliques jusqu’à la Revue algérienne et coloniale, depuis les Annales de la propagation de la foi jusqu’au Church Missionnary Intelligencer, qui ne relatât le fait sous toutes ses formes.

      Des paris considérables s’établirent à Londres et dans l’Angleterre : 1° sur l’existence réelle ou supposée du docteur Fergusson ; 2° sur le voyage lui-même, qui ne serait pas tenté suivant les uns, qui serait entrepris suivant les autres ; 3° sur la question de savoir s’il réussirait ou s’il ne réussirait pas ; 4° sur les probabilités ou les improbabilités du retour du docteur Fergusson. On engagea des sommes énormes au livre des paris, comme s’il se fût agi des courses d’Epsom.

      Ainsi donc, croyants, incrédules, ignorants et savants, tous eurent les yeux fixés sur le docteur ; il devint le lion du jour sans se douter qu’il portât une crinière. Il donna volontiers des renseignements précis sur son expédition. Il fut aisément abordable et l’homme le plus naturel du monde. Plus d’un aventurier hardi se présenta, qui voulait partager la gloire et les dangers de sa tentative ; mais il refusa sans donner de raisons de son refus.

      De nombreux inventeurs de mécanismes applicables à la direction des ballons vinrent lui proposer leur système. Il n’en voulut accepter aucun. À qui lui demanda s’il avait découvert quelque chose à cet égard, il refusa constamment de s’expliquer, et s’occupa plus activement que jamais des préparatifs de son voyage.

      III. L’ami du docteur. – D’où datait leur amitié.

      L’ami du docteur. – D’où datait leur amitié. – Dick Kennedy à Londres. – Proposition inattendue, mais point rassurante. – Proverbe peu consolant. – Quelques mots du martyrologue africain – Avantages d’un aérostat. – Le secret du docteur Fergusson.

      Le docteur Fergusson avait un ami. Non pas un autre lui-même, un alter ego ; l’amitié ne saurait exister entre deux êtres parfaitement identiques.

      Mais s’ils possédaient des qualités, des aptitudes, un tempérament distincts, Dick Kennedy et Samuel Fergusson vivaient d’un seul et même cœur, et cela ne les gênait pas trop. Au contraire.

      Ce Dick Kennedy était un Écossais dans toute l’acception du mot, ouvert, résolu, entêté. Il habitait la petite ville de Leith, près d’Édimbourg, une véritable banlieue de la «Vieille Enfumée[4]». C’était quelquefois un pêcheur, mais partout et toujours un chasseur déterminé ; rien de moins étonnant de la part d’un enfant de la Calédonie, quelque peu coureur des montagnes des Highlands. On le citait comme un merveilleux tireur à la carabine ; non seulement il tranchait des balles sur une lame de couteau, mais il les coupait en deux moitiés si égales, qu’en les pesant ensuite on ne pouvait y trouver de différence appréciable.

      Dick Kennedy.

      La physionomie de Kennedy rappelait beaucoup celle de Halbert Glendinning, telle que l’a peinte Walter Scott dans Le Monastère ; sa taille dépassait six pieds anglais[5] ; plein de grâce et d’aisance, il paraissait doué d’une force herculéenne ; une figure fortement hâlée par le soleil, des yeux vifs et noirs, une hardiesse naturelle très décidée, enfin quelque chose de bon et de solide dans toute sa personne prévenait en faveur de l’Écossais.

      La connaissance des deux amis se fit dans l’Inde, à l’époque où tous deux appartenaient au même régiment ; pendant que Dick chassait au tigre et à l’éléphant, Samuel chassait à la plante et à l’insecte ; chacun pouvait se dire adroit dans sa partie, et plus d’une plante rare devint la proie du docteur, qui valut à conquérir autant qu’une paire de défenses en ivoire.

      Ces deux jeunes gens n’eurent jamais l’occasion de se sauver la vie, ni de se rendre un service quelconque. De là une amitié inaltérable. La destinée les éloigna parfois, mais la sympathie les réunit toujours.

      Depuis leur rentrée en Angleterre, ils furent souvent séparés par les lointaines expéditions du docteur ; mais, de retour, celui-ci ne manqua jamais d’aller, non pas demander, mais donner quelques semaines de lui-même à son ami l’Écossais.

      Dick causait du passé, Samuel préparait l’avenir : l’un regardait en avant, l’autre en arrière. De là un esprit inquiet, celui de Fergusson, une placidité parfaite, celle de Kennedy.

      Après son voyage au Tibet, le docteur resta près de deux ans sans parler d’explorations nouvelles ; Dick supposa que ses instincts de voyage, ses appétits d’aventures se calmaient. Il en fut ravi. Cela, pensait-il, devait finir mal un jour ou l’autre ; quelque habitude que l’on ait des hommes, on ne voyage pas impunément au milieu des anthropophages et des bêtes féroces ; Kennedy engageait donc Samuel à enrayer, ayant assez fait d’ailleurs pour la science, et trop pour la gratitude humaine.

      À cela, le docteur se contentait de ne rien répondre ; il demeurait pensif, puis il se livrait à de secrets calculs, passant ses nuits dans des travaux de chiffres, expérimentant même des engins singuliers dont personne ne pouvait se rendre compte. On sentait qu’une grande pensée fermentait dans son cerveau.

      «Qu’a-t-il pu ruminer ainsi ?» se demanda Kennedy, quand son ami l’eut quitté pour retourner à Londres, au mois de janvier.

      Il l’apprit un matin par l’article du Daily Telegraph.

      «Miséricorde! s’écria-t-il. Le fou! l’insensé! traverser l’Afrique en ballon! Il ne manquait plus que cela! Voilà donc ce qu’il méditait depuis deux ans!»

      À la place de tous ces points d’exclamation, mettez des coups de poing solidement appliqués sur la tête, et vous aurez une idée de l’exercice auquel se livrait le brave Dick en parlant ainsi.

      Lorsque sa femme de confiance, la vieille Elspeth, voulut insinuer que ce pourrait bien être une mystification :

      «Allons donc! répondit-il, est-ce que je ne reconnais pas mon homme ? Est-ce que ce n’est pas de lui ? Voyager à travers les airs! Le voilà jaloux des aigles maintenant! Non, certes, cela ne sera pas! je saurai bien l’empêcher! Eh! si on le laissait faire, il partirait un beau jour pour la lune!»

      Le soir même, Kennedy, moitié inquiet, moitié exaspéré, prenait le chemin de fer à General Railway station, et le lendemain il arrivait à Londres.

      Trois quarts d’heure après, un cab le déposait à la petite maison du docteur, Soho square, Greek street ; il en franchit le perron, et s’annonça en frappant à la porte cinq coups solidement appuyés.

      Fergusson lui ouvrit en personne.

      «Dick ? fit-il sans trop d’étonnement.

      – Dick lui-même, riposta Kennedy.

      – Comment, mon cher Dick, toi à Londres, pendant les chasses d’hiver ?

      – Moi, à Londres.

      – Et qu’y viens-tu faire ?

      – Empêcher une folie sans nom!

      – Une folie ? dit le docteur.

      – Est-ce vrai ce que raconte ce journal, répondit Kennedy en tendant le numéro du Daily Telegraph.

      – Ah! c’est de cela que tu parles! Ces journaux

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<p>4</p>

Sobriquet d’Édimbourg, Auld Reekie.

<p>5</p>

Environ cinq pieds huit pouces.