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droit. Au moment où il s’était agi d’embrasser une carrière, son père n’avait point voulu lui imposer d’avance un avenir et avait consulté les goûts du jeune Maximilien. Celui-ci avait alors déclaré qu’il voulait suivre la carrière militaire; il avait fait, en conséquence, d’excellentes études, était entré par le concours à l’École polytechnique, et en était sorti sous-lieutenant au 53ème de ligne. Depuis un an, il occupait ce grade, et avait promesse d’être nommé lieutenant à la première occasion. Dans le régiment, Maximilien Morrel était cité comme le rigide observateur, non seulement de toutes les obligations imposées au soldat, mais encore de tous les devoirs proposés à l’homme, et on ne l’appelait que le stoïcien. Il va sans dire que beaucoup de ceux qui lui donnaient cette épithète la répétaient pour l’avoir entendue, et ne savaient pas même ce qu’elle voulait dire.

      C’était ce jeune homme que sa mère et sa sœur appelaient à leur aide pour les soutenir dans la circonstance grave où elles sentaient qu’elles allaient se trouver.

      Elles ne s’étaient pas trompées sur la gravité de cette circonstance, car, un instant après que M. Morrel fut entré dans son cabinet avec Coclès, Julie en vit sortir ce dernier, pâle, tremblant, et le visage tout bouleversé.

      Elle voulut l’interroger comme il passait près d’elle; mais le brave homme, continuant de descendre l’escalier avec une précipitation qui ne lui était pas habituelle, se contenta de s’écrier en levant les bras au ciel:

      «Ô mademoiselle! mademoiselle! quel affreux malheur! et qui jamais aurait cru cela!»

      Un instant après, Julie le vit remonter portant deux ou trois gros registres, un portefeuille et un sac d’argent.

      Morrel consulta les registres, ouvrit le portefeuille, compta l’argent.

      Toutes ses ressources montaient à six ou huit mille francs, ses rentrées jusqu’au 5 à quatre ou cinq mille; ce qui faisait, en cotant au plus haut, un actif de quatorze mille francs pour faire face à une traite de deux cent quatre-vingt-sept mille cinq cents francs. Il n’y avait pas même moyen d’offrir un pareil acompte.

      Cependant, lorsque Morrel descendit pour dîner, il paraissait assez calme. Ce calme effraya plus les deux femmes que n’aurait pu le faire le plus profond abattement.

      Après le dîner, Morrel avait l’habitude de sortir; il allait prendre son café au cercle des Phocéens et lire le Sémaphore: ce jour-là il ne sortit point et remonta dans son bureau.

      Quant à Coclès, il paraissait complètement hébété. Pendant une partie de la journée il s’était tenu dans la cour, assis sur une pierre, la tête nue, par un soleil de trente degrés.

      Emmanuel essayait de rassurer les femmes, mais il était mal éloquent. Le jeune homme était trop au courant des affaires de la maison pour ne pas sentir qu’une grande catastrophe pesait sur la famille Morrel.

      La nuit vint: les deux femmes avaient veillé, espérant qu’en descendant de son cabinet Morrel entrerait chez elles; mais elles l’entendirent passer devant leur porte, allégeant son pas dans la crainte sans doute d’être appelé.

      Elles prêtèrent l’oreille, il rentra dans sa chambre et ferma sa porte en dedans.

      Mme Morrel envoya coucher sa fille; puis, une demi-heure après que Julie se fut retirée, elle se leva, ôta ses souliers et se glissa dans le corridor, pour voir par la serrure ce que faisait son mari.

      Dans le corridor, elle aperçut une ombre qui se retirait: c’était Julie, qui, inquiète elle-même, avait précédé sa mère.

      La jeune fille alla à Mme Morrel.

      «Il écrit», dit-elle.

      Les deux femmes s’étaient devinées sans se parler.

      Mme Morrel s’inclina au niveau de la serrure. En effet, Morrel écrivait; mais, ce que n’avait pas remarqué sa fille, Mme Morrel le remarqua, elle, c’est que son mari écrivait sur du papier marqué.

      Cette idée terrible lui vint, qu’il faisait son testament; elle frissonna de tous ses membres, et cependant elle eut la force de ne rien dire.

      Le lendemain, M. Morrel paraissait tout à fait calme; il se tint dans son bureau comme à l’ordinaire, descendit pour déjeuner comme d’habitude, seulement après son dîner il fit asseoir sa fille près de lui, prit la tête de l’enfant dans ses bras et la tint longtemps contre sa poitrine.

      Le soir, Julie dit à sa mère que, quoique calme en apparence, elle avait remarqué que le cœur de son père battait violemment.

      Les deux autres jours s’écoulèrent à peu près pareils. Le 4 septembre au soir, M. Morrel redemanda à sa fille la clef de son cabinet.

      Julie tressaillit à cette demande, qui lui sembla sinistre. Pourquoi son père lui redemandait-il cette clef qu’elle avait toujours eue, et qu’on ne lui reprenait dans son enfance que pour la punir!

      La jeune fille regarda M. Morrel.

      «Qu’ai-je donc fait de mal, mon père, dit-elle, pour que vous me repreniez cette clef?

      – Rien, mon enfant, répondit le malheureux Morrel, à qui cette demande si simple fit jaillir les larmes des yeux; rien, seulement j’en ai besoin.»

      Julie fit semblant de chercher la clef.

      «Je l’aurai laissée chez moi», dit-elle.

      Et elle sortit; mais, au lieu d’aller chez elle, elle descendit et courut consulter Emmanuel.

      «Ne rendez pas cette clef à votre père, dit celui-ci, et demain matin, s’il est possible, ne le quittez pas.»

      Elle essaya de questionner Emmanuel; mais celui-ci ne savait rien autre chose, ou ne voulait pas dire autre chose.

      Pendant toute la nuit du 4 au 5 septembre, Mme Morrel resta l’oreille collée contre la boiserie. Jusqu’à trois heures du matin, elle entendit son mari marcher avec agitation dans sa chambre.

      À trois heures seulement, il se jeta sur son lit.

      Les deux femmes passèrent la nuit ensemble. Depuis la veille au soir, elles attendaient Maximilien.

      À huit heures, M. Morrel entra dans leur chambre. Il était calme, mais l’agitation de la nuit se lisait sur son visage pâle et défait.

      Les femmes n’osèrent lui demander s’il avait bien dormi. Morrel fut meilleur pour sa femme, et plus paternel pour sa fille qu’il n’avait jamais été; il ne pouvait se rassasier de regarder et d’embrasser la pauvre enfant.

      Julie se rappela la recommandation d’Emmanuel et voulut suivre son père lorsqu’il sortit; mais celui-ci la repoussant avec douceur:

      «Reste près de ta mère», lui dit-il.

      Julie voulut insister.

      «Je le veux!» dit Morrel.

      C’était la première fois que Morrel disait à sa fille: Je le veux! mais il le disait avec un accent empreint d’une si paternelle douceur, que Julie n’osa faire un pas en avant.

      Elle resta à la même place, debout, muette et immobile. Un instant après, la porte se rouvrit, elle sentit deux bras qui l’entouraient et une bouche qui se collait à son front.

      Elle leva les yeux et poussa une exclamation de joie.

      «Maximilien mon frère!» s’écria-t-elle.

      À ce cri Mme Morrel accourut et se jeta dans les bras de son fils.

      «Ma mère, dit le jeune homme, en regardant alternativement Mme Morrel et sa fille; qu’y a-t-il donc et que se passe-t-il? Votre lettre m’a épouvanté et j’accours.

      – Julie, dit Mme Morrel en faisant signe au jeune homme, va dire à ton père que Maximilien vient d’arriver.»

      La jeune fille s’élança hors de l’appartement, mais, sur la première marche de l’escalier, elle trouva un homme tenant une lettre à la main.

      «N’êtes-vous

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