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tout ce temps-là; le pauvre abbé n’avait qu’à ne pas tant se presser, et il aurait eu son requiem.

      – Bah! bah! Hyères dit le médecin avec l’impiété familière aux gens de sa profession, il est homme d’Église: Dieu aura égard à l’état, et ne donnera pas à l’enfer le méchant plaisir de lui envoyer un prêtre.»

      Un éclat de rire suivit cette mauvaise plaisanterie. Pendant ce temps, l’opération de l’ensevelissement se poursuivait.

      «À ce soir! dit le gouverneur lorsqu’elle fut finie.

      – À quelle heure? demanda le guichetier.

      – Mais vers dix ou onze heures.

      – Veillera-t-on le mort?

      – Pour quoi faire? On fermera le cachot comme s’il était vivant, voilà tout.»

      Alors les pas s’éloignèrent, les voix allèrent s’affaiblissant, le bruit de la porte avec sa serrure criarde et ses verrous grinçants se fit entendre, un silence plus morne que celui de la solitude, le silence de la mort, envahit tout, jusqu’à l’âme glacée du jeune homme.

      Alors il souleva lentement la dalle avec sa tête, et jeta un regard investigateur dans la chambre. La chambre était vide: Dantès sortit de la galerie.

      XX. Le cimetière du château d’If

      Sur le lit, couché dans le sens de la longueur, et faiblement éclairé par un jour brumeux qui pénétrait à travers la fenêtre, on voyait un sac de toile grossière, sous les larges plis duquel se dessinait confusément une forme longue et raide: c’était le dernier linceul de Faria, ce linceul qui, au dire des guichetiers, coûtait si peu cher. Ainsi, tout était fini. Une séparation matérielle existait déjà entre Dantès et son vieil ami, il ne pouvait plus voir ses yeux qui étaient restés ouverts comme pour regarder au-delà de la mort, il ne pouvait plus serrer cette main industrieuse qui avait soulevé pour lui le voile qui couvrait les choses cachées. Faria, l’utile, le bon compagnon auquel il s’était habitué avec tant de force, n’existait plus que dans son souvenir. Alors il s’assit au chevet de ce lit terrible, et se plongea dans une sombre et amère mélancolie.

      Seul! il était redevenu seul! il était retombé dans le silence, il se retrouvait en face du néant!

      Seul, plus même la vue, plus même la voix du seul être humain qui l’attachait encore à la terre! Ne valait-il pas mieux comme Faria, s’en aller demander à Dieu l’énigme de la vie, au risque de passer par la porte lugubre des souffrances!

      L’idée du suicide, chassée par son ami, écartée par sa présence, revint alors se dresser comme un fantôme près du cadavre de Faria.

      «Si je pouvais mourir, dit-il, j’irais où il va, et je le retrouverais certainement. Mais comment mourir? C’est bien facile, ajouta-t-il en riant; je vais rester ici, je me jetterai sur le premier qui va entrer, je l’étranglerai et l’on me guillotinera.»

      Mais, comme il arrive que, dans les grandes douleurs comme dans les grandes tempêtes, l’abîme se trouve entre deux cimes de flots, Dantès recula à l’idée de cette mort infamante, et passa précipitamment de ce désespoir à une soif ardente de vie et de liberté.

      «Mourir! oh! non, s’écria-t-il, ce n’est pas la peine d’avoir tant vécu, d’avoir tant souffert, pour mourir maintenant! Mourir, c’était bon quand j’en avais pris la résolution, autrefois, il y a des années; mais maintenant ce serait véritablement trop aider à ma misérable destinée. Non, je veux vivre, je veux lutter jusqu’au bout; non, je veux reconquérir ce bonheur qu’on m’a enlevé! Avant que je meure, j’oubliais que j’ai mes bourreaux à punir, et peut-être bien aussi, qui sait? quelques amis à récompenser. Mais à présent on va m’oublier ici, et je ne sortirai de mon cachot que comme Faria.»

      Mais à cette parole, Edmond resta immobile, les yeux fixes comme un homme frappé d’une idée subite, mais que cette idée épouvante; tout à coup il se leva, porta la main à son front comme s’il avait le vertige, fit deux ou trois tours dans la chambre et revint s’arrêter devant le lit…

      «Oh! oh! murmura-t-il, qui m’envoie cette pensée? est-ce vous, mon Dieu? Puisqu’il n’y a que les morts qui sortent librement d’ici, prenons la place des morts.»

      Et sans perdre le temps de revenir sur cette décision, comme pour ne pas donner à la pensée le terne de détruire cette résolution désespérée, il se pencha vers le sac hideux, l’ouvrit avec le couteau que Faria avait fait, retira le cadavre du sac, l’emporta chez lui, le coucha dans son lit, le coiffa du lambeau de linge dont il avait l’habitude de se coiffer lui-même, couvrit de sa couverture, baisa une dernière fois ce front glacé, essaya de refermer ces yeux rebelles, qui continuaient de rester ouverts, effrayants par l’absence de la pensée, tourna la tête le long du mur afin que le geôlier, en apportant son repas du soir, crût qu’il était couché, comme c’était souvent son habitude, rentra dans la galerie, tira le lit contre la muraille, rentra dans l’autre chambre, prit dans l’armoire l’aiguille, le fil, jeta ses haillons pour qu’on sentît bien sous la toile les chairs nues, se glissa dans le sac éventré, se plaça dans la situation où était le cadavre, et referma la couture en dedans.

      On aurait pu entendre battre son cœur si par malheur on fût entré en ce moment.

      Dantès aurait bien pu attendre après la visite du soir, mais il avait peur que d’ici là le gouverneur ne changeât de résolution et qu’on n’enlevât le cadavre.

      Alors sa dernière espérance était perdue.

      En tout cas, maintenant son plan était arrêté.

      Voici ce qu’il comptait faire.

      Si pendant le trajet les fossoyeurs reconnaissaient qu’ils portaient un vivant au lieu de porter un mort, Dantès ne leur donnait pas le temps de se reconnaître; d’un vigoureux coup de couteau il ouvrait le sac depuis le haut jusqu’en bas, profitait de leur terreur et s’échappait; s’ils voulaient l’arrêter, il jouait du couteau.

      S’ils le conduisaient jusqu’au cimetière et le déposaient dans une fosse, il se laissait couvrir de terre; puis, comme c’était la nuit, à peine les fossoyeurs avaient-ils le dos tourné, qu’il s’ouvrait un passage à travers la terre molle et s’enfuyait: il espérait que le poids ne serait pas trop grand pour qu’il pût le soulever.

      S’il se trompait, si au contraire la terre était trop pesante, il mourait étouffé, et, tant mieux! tout était fini.

      Dantès n’avait pas mangé depuis la veille, mais il n’avait pas songé à la faim le matin, et il n’y songeait pas encore. Sa position était trop précaire pour lui laisser le temps d’arrêter sa pensée sur aucune autre idée.

      Le premier danger que courait Dantès, c’était que le geôlier, en lui apportant son souper de sept heures, s’aperçût de la substitution opérée; heureusement, vingt fois, soit par misanthropie, soit par fatigue, Dantès avait reçu le geôlier couché; et dans ce cas, d’ordinaire, cet homme déposait son pain et sa soupe sur la table et se retirait sans lui parler.

      Mais, cette fois, le geôlier pouvait déroger à ses habitudes de mutisme, parler à Dantès, et voyant que Dantès ne lui répondait point, s’approcher du lit et tout découvrir.

      Lorsque sept heures du soir approchèrent, les angoisses de Dantès commencèrent véritablement. Sa main, appuyée sur son cœur, essuyait d’en comprimer les battements, tandis que de l’autre il essuyait la sueur de son front qui ruisselait le long de ses tempes. De temps en temps des frissons lui couraient par tout le corps et lui serraient le cœur comme dans un étau glacé. Alors, il croyait qu’il allait mourir. Les heures s’écoulèrent sans amener aucun mouvement dans le château, et Dantès comprit qu’il avait échappé à ce premier danger; c’était d’un bon augure. Enfin, vers l’heure fixée par le gouverneur, des pas se firent entendre dans l’escalier. Edmond comprit que le moment était venu; il rappela tout son courage, retenant son haleine; heureux s’il eût pu retenir en même temps et comme elle

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