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routes, revenir le beau jeune homme à la démarche libre, à la tête haute qui, pour lui aussi, était devenu messager d’une rude vengeance. Alors, le dessein de Fernand était arrêté: il cassait la tête de Dantès d’un coup de fusil et se tuait après, se disait-il à lui-même, pour colorer son assassinat. Mais Fernand s’abusait: cet homme-là ne se fût jamais tué, car il espérait toujours.

      Sur ces entrefaites, et parmi tant de fluctuations douloureuses, l’empire appela un dernier ban de soldats, et tout ce qu’il y avait d’hommes en état de porter les armes s’élança hors de France, à la voix retentissante de l’empereur. Fernand partit comme les autres, quittant sa cabane et Mercédès, et rongé de cette sombre et terrible pensée que, derrière lui peut-être, son rival allait revenir et épouser celle qu’il aimait.

      Si Fernand avait jamais dû se tuer, c’était en quittant Mercédès qu’il l’eût fait.

      Ses attentions pour Mercédès, la pitié qu’il paraissait donner à son malheur, le soin qu’il prenait d’aller au-devant de ses moindres désirs, avaient produit l’effet que produisent toujours sur les cœurs généreux les apparences du dévouement: Mercédès avait toujours aimé Fernand d’amitié; son amitié s’augmenta pour lui d’un nouveau sentiment, la reconnaissance.

      «Mon frère, dit-elle en attachant le sac du conscrit sur les épaules du Catalan, mon frère, mon seul ami, ne vous faites pas tuer, ne me laissez pas seule dans ce monde, où je pleure et où je serai seule dès que vous n’y serez plus.»

      Ces paroles, dites au moment du départ, rendirent quelque espoir à Fernand. Si Dantès ne revenait pas, Mercédès pourrait donc un jour être à lui.

      Mercédès resta seule sur cette terre nue, qui ne lui avait jamais paru si aride, et avec la mer immense pour horizon. Toute baignée de pleurs, comme cette folle dont on nous raconte la douloureuse histoire, on la voyait errer sans cesse autour du petit village des Catalans: tantôt s’arrêtant sous le soleil ardent du Midi, debout, immobile, muette comme une statue, et regardant Marseille; tantôt assise au bord du rivage, écoutant ce gémissement de la mer, éternel comme sa douleur, et se demandant sans cesse s’il ne valait pas mieux se pencher en avant, se laisser aller à son propre poids, ouvrir l’abîme et s’y engloutir, que de souffrir ainsi toutes ces cruelles alternatives d’une attente sans espérance.

      Ce ne fut pas le courage qui manqua à Mercédès pour accomplir ce projet, ce fut la religion qui lui vint en aide et qui la sauva du suicide.

      Caderousse fut appelé, comme Fernand; seulement, comme il avait huit ans de plus que le Catalan, et qu’il était marié, il ne fit partie que du troisième ban, et fut envoyé sur les côtes.

      Le vieux Dantès, qui n’était plus soutenu que par l’espoir, perdit l’espoir à la chute de l’empereur.

      Cinq mois, jour pour jour, après avoir été séparé de son fils, et presque à la même heure où il avait été arrêté, il rendit le dernier soupir entre les bras de Mercédès.

      M. Morrel pourvut à tous les frais de son enterrement, et paya les pauvres petites dettes que le vieillard avait faites pendant sa maladie.

      Il y avait plus que de la bienfaisance à agir ainsi, il y avait du courage. Le Midi était en feu, et secourir même à son lit de mort, le père d’un bonapartiste aussi dangereux que Dantès était un crime.

      XIV. Le prisonnier furieux et le prisonnier fou

      Un an environ après le retour de Louis XVIII, il y eut visite de M. l’inspecteur général des prisons.

      Dantès entendit rouler et grincer du fond de son cachot tous ces préparatifs, qui faisaient en haut beaucoup de fracas, mais qui, en bas, eussent été des bruits inappréciables pour toute autre oreille que pour celle d’un prisonnier, accoutumé à écouter, dans le silence de la nuit, l’araignée qui tisse sa toile, et la chute périodique de la goutte d’eau qui met une heure à se former au plafond de son cachot.

      Il devina qu’il se passait chez les vivants quelque chose d’inaccoutumé: il habitait depuis si longtemps une tombe qu’il pouvait bien se regarder comme mort.

      En effet, l’inspecteur visitait, l’un après l’autre, chambres, cellules et cachots. Plusieurs prisonniers furent interrogés: c’étaient ceux que leur douceur ou leur stupidité recommandait à la bienveillance de l’administration; l’inspecteur leur demanda comment ils étaient nourris, et quelles étaient les réclamations qu’ils avaient à faire.

      Ils répondirent unanimement que la nourriture était détestable et qu’ils réclamaient leur liberté.

      L’inspecteur leur demanda alors s’ils n’avaient pas autre chose à lui dire.

      Ils secouèrent la tête. Quel autre bien que la liberté peuvent réclamer des prisonniers?

      L’inspecteur se tourna en souriant, et dit au gouverneur:

      «Je ne sais pas pourquoi on nous fait faire ces tournées inutiles. Qui voit un prisonnier en voit cent; qui entend un prisonnier en entend mille; c’est toujours la même chose: mal nourris et innocents. En avez-vous d’autres?

      – Oui, nous avons les prisonniers dangereux ou fous, que nous gardons au cachot.

      – Voyons, dit l’inspecteur avec un air de profonde lassitude, faisons notre métier jusqu’au bout; descendons dans les cachots.

      – Attendez, dit le gouverneur, que l’on aille au moins chercher deux hommes; les prisonniers commettent parfois, ne fût-ce que par dégoût de la vie et pour se faire condamner à mort, des actes de désespoir inutiles: vous pourriez être victime de l’un de ces actes.

      – Prenez donc vos précautions», dit l’inspecteur.

      En effet, on envoya chercher deux soldats et l’on commença de descendre par un escalier si puant, si infect, si moisi, que rien que le passage dans un pareil endroit affectait désagréablement à la fois la vue, l’odorat et la respiration.

      «Oh! fit l’inspecteur en s’arrêtant à moitié de la descente, qui diable peut loger là?

      – Un conspirateur des plus dangereux, et qui nous est particulièrement recommandé comme un homme capable de tout.

      – Il est seul?

      – Certainement.

      – Depuis combien de temps est-il là?

      – Depuis un an à peu près.

      – Et il a été mis dans ce cachot dès son entrée.

      – Non, monsieur, mais après avoir voulu tuer le porte-clefs chargé de lui porter sa nourriture.

      – Il a voulu tuer le porte-clefs?

      – Oui, monsieur, celui-là même qui nous éclaire, n’est-il pas vrai, Antoine? demanda le gouverneur.

      – Il a voulu me tuer tout de même, répondit le porte-clefs.

      – Ah çà! mais c’est donc un fou que cet homme?

      – C’est pire que cela, dit le porte-clefs, c’est un démon.

      – Voulez-vous qu’on s’en plaigne? demanda l’inspecteur au gouverneur.

      – Inutile, monsieur, il est assez puni comme cela, d’ailleurs, à présent, il touche presque à la folie, et, selon l’expérience que nous donnent nos observations, avant une autre année d’ici il sera complètement aliéné.

      – Ma foi, tant mieux pour lui, dit l’inspecteur; une fois fou tout à fait, il souffrira moins.»

      C’était, comme on le voit, un homme plein d’humanité que cet inspecteur, et bien digne des fonctions philanthropiques qu’il remplissait.

      «Vous avez raison, monsieur, dit le gouverneur, et votre réflexion prouve que vous avez profondément étudié la matière. Ainsi, nous avons dans un cachot, qui n’est séparé de celui-ci que par une vingtaine de pieds, et dans lequel on descend par un autre

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