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la citoyenne, qui me fait l’effet d’être charmante, il est vrai, mais qui n’en est que plus suspecte; car les femmes charmantes qui courent les rues de Paris à minuit…

      – Monsieur, dit la femme, ne me jugez pas sur les apparences, je vous en supplie.

      – D’abord, vous dites monsieur, ce qui est une grande faute, entends-tu, citoyenne? Allons, voilà que je dis vous, moi.

      – Eh bien! oui, oui, citoyen, laisse ton ami accomplir sa bonne action.

      – Comment cela?

      – En me reconduisant jusque chez moi, en me protégeant tout le long de la route.

      – Maurice! Maurice! dit Lorin, songe à ce que tu vas faire; tu te compromets horriblement.

      – Je le sais bien, répondit le jeune homme; mais que veux-tu! si je l’abandonne, pauvre femme, elle sera arrêtée à chaque pas par les patrouilles.

      – Oh! oui, oui, tandis qu’avec vous, monsieur… tandis qu’avec toi, citoyen, je veux dire, je suis sauvée.

      – Tu l’entends, sauvée! dit Lorin. Elle court donc un grand danger?

      – Voyons, mon cher Lorin, dit Maurice, soyons justes. C’est une bonne patriote ou c’est une aristocrate. Si c’est une aristocrate, nous avons eu tort de la protéger; si c’est une bonne patriote, il est de notre devoir de la préserver.

      – Pardon, pardon, cher ami, j’en suis fâché pour Aristote; mais ta logique est stupide. Te voilà comme celui qui dit:

      Iris m’a volé ma raison

      Et me demande ma sagesse.

      – Voyons, Lorin, dit Maurice, trêve à Dorat, à Parny, à Gentil-Bernard, je t’en supplie. Parlons sérieusement: veux-tu ou ne veux-tu pas me donner le mot de passe?

      – C’est-à-dire, Maurice, que tu me mets dans cette nécessité de sacrifier mon devoir à mon ami, ou mon ami à mon devoir. Or, j’ai bien peur, Maurice, que le devoir ne soit sacrifié.

      – Décide-toi donc à l’un ou à l’autre, mon ami. Mais, au nom du ciel, décide-toi tout de suite.

      – Tu n’en abuseras pas?

      – Je te le promets.

      – Ce n’est pas assez; jure!

      – Et sur quoi?

      – Jure sur l’autel de la patrie.

      Lorin ôta son chapeau, le présenta à Maurice du côté de la cocarde, et Maurice, trouvant la chose toute simple, fit sans rire le serment demandé sur l’autel improvisé.

      – Et maintenant, dit Lorin, voici le mot d’ordre: « Gaule et Lutèce… » Peut-être y en a-t-il qui te diront comme à moi: « Gaule et Lucrèce »; mais bah! laisse passer tout de même, c’est toujours romain.

      – Citoyenne, dit Maurice, maintenant je suis à vos ordres. Merci, Lorin.

      – Bon voyage, dit celui-ci en se recoiffant avec l’autel de la patrie.

      Et, fidèle à ses goûts anacréontiques, il s’éloigna en murmurant:

      Enfin, ma chère Éléonore,

      Tu l’as connu, ce péché si charmant

      Que tu craignais même en le désirant.

      En le goûtant, tu le craignais encore.

      Eh bien! dis-moi, qu’a-t-il donc d’effrayant?…

      III. La rue des Fossés-Saint-Victor

      Maurice, en se trouvant seul avec la jeune femme, fut un instant embarrassé. La crainte d’être dupe, l’attrait de cette merveilleuse beauté, un vague remords qui égratignait sa conscience pure de républicain exalté, le retinrent au moment où il allait donner son bras à la jeune femme.

      – Où allez-vous, citoyenne? lui dit-il.

      – Hélas! monsieur, bien loin, lui répondit-elle.

      – Mais enfin…

      – Du côté du Jardin des Plantes.

      – C’est bien; allons.

      – Ah! mon Dieu! monsieur, dit l’inconnue, je vois bien que je vous gêne; mais sans le malheur qui m’est arrivé, et si je croyais ne courir qu’un danger ordinaire, croyez bien que je n’abuserais pas ainsi de votre générosité.

      – Mais enfin, madame, dit Maurice, qui, dans le tête-à-tête, oubliait le langage imposé par le vocabulaire de la République et en revenait à son langage d’homme, comment se fait-il, en conscience, que vous soyez à cette heure dans les rues de Paris? Voyez si, excepté nous, il s’y trouve une seule personne.

      – Monsieur, je vous l’ai dit; j’avais été faire une visite au faubourg du Roule. Partie à midi sans rien savoir de ce qui se passe, je revenais sans en rien savoir encore: tout mon temps s’est écoulé dans une maison un peu retirée.

      – Oui, murmura Maurice, dans quelque maison de ci-devant, dans quelque repaire d’aristocrate. Avouez, citoyenne, que, tout en me demandant tout haut mon appui, vous riez tout bas de ce que je vous le donne.

      – Moi! s’écria-t-elle, et comment cela?

      – Sans doute; vous voyez un républicain vous servir de guide. Eh bien, ce républicain trahit sa cause, voilà tout.

      – Mais, citoyen, dit vivement l’inconnue, vous êtes dans l’erreur, et j’aime autant que vous la République.

      – Alors, citoyenne, si vous êtes bonne patriote, vous n’avez rien à cacher. D’où veniez-vous?

      – Oh! monsieur, de grâce! dit l’inconnue.

      Il y avait dans ce monsieur une telle expression de pudeur si profonde et si douce, que Maurice crut être fixé sur le sentiment qu’il renfermait.

      « Certes, dit-il, cette femme revient d’un rendez-vous d’amour. »

      Et, sans qu’il comprît pourquoi, il sentit à cette pensée son cœur se serrer.

      De ce moment il garda le silence.

      Cependant les deux promeneurs nocturnes étaient arrivés à la rue de la Verrerie, après avoir été rencontrés par trois ou quatre patrouilles, qui, au reste, grâce au mot de passe, les avaient laissés circuler librement, lorsqu’à une dernière, l’officier parut faire quelque difficulté.

      Maurice alors crut devoir ajouter au mot de passe son nom et sa demeure.

      – Bien, dit l’officier, voilà pour toi; mais la citoyenne…

      – Après, la citoyenne?

      – Qui est-elle?

      – C’est… la sœur de ma femme.

      L’officier les laissa passer.

      – Vous êtes donc marié, monsieur? murmura l’inconnue.

      – Non, madame; pourquoi cela?

      – Parce qu’alors, dit-elle en riant, vous eussiez eu plus court de dire que j’étais votre femme.

      – Madame, dit à son tour Maurice, le nom de femme est un titre sacré et qui ne doit pas se donner légèrement. Je n’ai point l’honneur de vous connaître.

      Ce fut à son tour que l’inconnue sentit son cœur se serrer, et elle garda le silence.

      En ce moment ils traversaient le pont Marie.

      La jeune femme marchait plus vite à mesure que l’on approchait du but de la course.

      On traversa le pont de la Tournelle.

      – Nous voilà, je crois, dans votre quartier, dit Maurice en posant le pied sur le quai Saint-Bernard.

      – Oui, citoyen, dit l’inconnue; mais c’est justement

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