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locomotives sortaient du garage et s'en venaient en sifflant chercher les premiers trains. D'autres, dans le lointain, jetaient des appels aigus et répétés, leurs cris de réveil, comme font les coqs dans les champs.

      Duroy pensait: «Je ne verrai peut-être plus tout ça.» Mais comme il sentit qu'il allait de nouveau s'attendrir sur lui-même, il réagit violemment: «Allons, il ne faut songer à rien jusqu'au moment de la rencontre, c'est le seul moyen d'être crâne.»

      Et il se mit à sa toilette. Il eut encore, en se rasant, une seconde de défaillance en songeant que c'était peut-être la dernière fois qu'il regardait son visage.

      Mais il but une nouvelle gorgée d'eau-de-vie, et acheva de s'habiller.

      L'heure qui suivit fut difficile à passer. Il marchait de long en large en s'efforçant en effet d'immobiliser son âme. Lorsqu'il entendit frapper à sa porte, il faillit s'abattre sur le dos, tant la commotion fut violente. C'étaient ses témoins. Déjà!

      Ils étaient enveloppés de fourrures. Rival déclara, après avoir serré la main de son client:

      – Il fait un froid de Sibérie.

      Puis il demanda:

      – Ça va bien?

      – Oui, très bien.

      – On est calme?

      – Très calme.

      – Allons, ça ira. Avez-vous bu et mangé quelque chose?

      – Oui, je n'ai besoin de rien.

      Boisrenard, pour la circonstance, portait une décoration étrangère, verte et jaune, que Duroy ne lui avait jamais vue.

      Ils descendirent. Un monsieur les attendait dans le landau. Rival nomma:

      – Le docteur Le Brument.

      Duroy lui serra la main en balbutiant:

      – Je vous remercie.

      Puis il voulut prendre place sur la banquette du devant et il s'assit sur quelque chose de dur qui le fit relever comme si un ressort l'eût redressé. C'était la boîte aux pistolets.

      Rival répétait:

      – Non! Au fond le combattant et le médecin, au fond!

      Duroy finit par comprendre et il s'affaissa à côté du docteur.

      Les deux témoins montèrent à leur tour et le cocher partit. Il savait où on devait aller.

      Mais la boîte aux pistolets gênait tout le monde, surtout Duroy, qui eût préféré ne pas la voir. On essaya de la placer derrière les dos, elle cassait les reins; puis on la mit debout entre Rival et Boisrenard, elle tombait tout le temps. On finit par la glisser sous les pieds.

      La conversation languissait, bien que le médecin racontât des anecdotes. Rival seul lui répondait. Duroy eût voulu prouver de la présence d'esprit, mais il avait peur de perdre le fil de ses idées, de montrer le trouble de son âme; et il était hanté par la crainte torturante de se mettre à trembler.

      La voiture fut bientôt en pleine campagne. Il était neuf heures environ. C'était une de ces rudes matinées d'hiver où toute la nature est luisante, cassante et dure comme du cristal. Les arbres, vêtus de givre, semblent avoir sué de la glace; la terre sonne sous les pas; l'air sec porte au loin les moindres bruits: le ciel bleu paraît brillant à la façon des miroirs, et le soleil passe dans l'espace, éclatant et froid lui-même, jetant sur la création gelée des rayons qui n'échauffent rien.

      Rival disait à Duroy:

      – J'ai pris les pistolets chez Gastine Renette. Il les a chargés lui-même. La boîte est cachetée. On les tirera au sort, d'ailleurs, avec ceux de notre adversaire.

      Duroy répondit machinalement:

      – Je vous remercie.

      Alors Rival lui fit des recommandations minutieuses, car il tenait à ce que son client ne commît aucune erreur. Il insistait sur chaque point plusieurs fois:

      – Quand on demandera: «Êtes-vous prêts, messieurs?» vous répondrez d'une voix forte: «Oui!»

      «Quand on commandera «Feu!» vous élèverez vivement le bras, et vous tirerez avant qu'on ait prononcé trois.

      Et Duroy se répétait mentalement: «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras, – quand on commandera feu, j'élèverai le bras, – quand on commandera feu, j'élèverai le bras.»

      Il apprenait cela comme les enfants apprennent leurs leçons, en le murmurant à satiété pour se le bien graver dans la tête. «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras.»

      Le landau entra sous un bois, tourna à droite dans une avenue, puis encore à droite. Rival, brusquement, ouvrit la portière pour crier au cocher:

      – Là, par ce petit chemin.

      Et la voiture s'engagea dans une route à ornières entre deux taillis où tremblotaient des feuilles mortes bordées d'un liséré de glace.

      Duroy marmottait toujours: «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras.» Et il pensa qu'un accident de voiture arrangerait tout. Oh! si on pouvait verser, quelle chance! s'il pouvait se casser une jambe!..

      Mais il aperçut au bout d'une clairière une autre voiture arrêtée et quatre messieurs qui piétinaient pour s'échauffer les pieds; et il fut obligé d'ouvrir la bouche, tant sa respiration devenait pénible.

      Les témoins descendirent d'abord, puis le médecin et le combattant. Rival avait pris la boîte aux pistolets et il s'en alla avec Boisrenard, vers deux des étrangers qui venaient à eux. Duroy les vit se saluer avec cérémonie, puis marcher ensemble dans la clairière en regardant tantôt par terre et tantôt dans les arbres, comme s'ils avaient cherché quelque chose qui aurait pu tomber ou s'envoler. Puis ils comptèrent des pas et enfoncèrent avec grand'peine deux cannes dans le sol gelé. Ils se réunirent ensuite en groupe et ils firent les mouvements du jeu de pile ou face, comme des enfants qui s'amusent.

      Le docteur Le Brument demandait à Duroy:

      – Vous vous sentez bien? Vous n'avez besoin de rien?

      – Non, de rien, merci.

      Il lui semblait qu'il était fou, qu'il dormait, qu'il rêvait, que quelque chose de surnaturel était survenu qui l'enveloppait.

      Avait-il peur? Peut-être? Mais il ne savait pas. Tout était changé autour de lui.

      Jacques Rival revint et lui annonça tout bas avec satisfaction:

      – Tout est prêt. La chance nous a favorisés pour les pistolets.

      Voilà une chose qui était indifférente à Duroy.

      On lui ôta son pardessus. Il se laissa faire. On tâta les poches de sa redingote pour s'assurer qu'il ne portait point de papiers ni de portefeuille protecteur.

      Il répétait en lui-même, comme une prière: «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras.»

      Puis on l'amena jusqu'à une des cannes piquées en terre et on lui remit son pistolet. Alors il aperçut un homme debout, en face de lui, tout près, un petit homme ventru, chauve, qui portait des lunettes. C'était son adversaire.

      Il le vit très bien, mais il ne pensait à rien qu'à ceci: «Quand on commandera feu, j'élèverai le bras et je tirerai.» Une voix résonna dans le grand silence de l'espace, une voix qui semblait venir de très loin, et elle demanda:

      – Êtes-vous prêts, messieurs?

      Georges cria:

      – Oui!

      Alors la même voix ordonna:

      – Feu…

      Il n'écouta rien de plus, il ne s'aperçut de rien, il ne se rendit compte de rien, il sentit seulement qu'il levait le bras en appuyant de toute sa force sur la gâchette.

      Et il n'entendit rien.

      Mais il vit aussitôt un peu de fumée au bout du

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