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qu'il ne veuille pas…, car… car…, il y aurait peut-être de gros obstacles… moraux… Enfin, voilà. Je ne sais rien.

      M. de Marelle grommela avec une lente impatience:

      – Tu laisses toujours soupçonner un tas de choses que je n'aime pas. Ne nous mêlons jamais des affaires des autres. Notre conscience nous suffit à gouverner. Ce devrait être une règle pour tout le monde.

      Duroy se retira, le cœur troublé et l'esprit plein de vagues combinaisons.

      Il alla le lendemain faire une visite aux Forestier et il les trouva terminant leurs bagages. Charles, étendu sur un canapé, exagérait la fatigue de sa respiration et répétait:

      – Il y a un mois que je devrais être parti.

      Puis il fit à Duroy une série de recommandations pour le journal, bien que tout fût réglé et convenu avec M. Walter.

      Quand Georges s'en alla, il serra énergiquement les mains de son camarade:

      – Eh bien, mon vieux, à bientôt!

      Mais, comme Mme Forestier le reconduisait jusqu'à la porte, il lui dit vivement:

      – Vous n'avez pas oublié notre pacte? Nous sommes des amis et des alliés, n'est-ce pas? Donc, si vous avez besoin de moi, en quoi que ce soit, n'hésitez point. Une dépêche ou une lettre et j'obéirai.

      Elle murmura:

      – Merci, je n'oublierai pas.

      Et son œil aussi lui dit: «Merci», d'une façon plus profonde et plus douce.

      Comme Duroy descendait l'escalier, il rencontra, montant à pas lents, M. de Vaudrec, qu'une fois déjà il avait vu chez elle. Le comte semblait triste – de ce départ, peut-être?

      Voulant se montrer homme du monde, le journaliste le salua avec empressement.

      L'autre lui rendit avec courtoisie, mais d'une manière un peu fière.

      Le ménage Forestier partit le jeudi soir.

      VII

      La disparition de Charles donna à Duroy une importance plus grande dans la rédaction de la Vie Française. Il signa quelques articles de fond, tout en signant aussi ses échos, car le patron voulait que chacun gardât la responsabilité de sa copie. Il eut quelques polémiques dont il se tira avec esprit; et ses relations constantes avec les hommes d'État le préparaient peu à peu à devenir à son tour un rédacteur politique adroit et perspicace.

      Il ne voyait qu'une tache dans tout son horizon. Elle venait d'un petit journal frondeur qui l'attaquait constamment, ou plutôt qui attaquait en lui le chef des échos de la Vie Française, le chef des échos à surprises de M. Walter, disait le rédacteur anonyme de cette feuille, appelée: La Plume. C'étaient, chaque jour, des perfidies, des traits mordants, des insinuations de toute nature.

      Jacques Rival dit un jour à Duroy:

      – Vous êtes patient.

      L'autre balbutia:

      – Que voulez-vous, il n'y a pas d'attaque directe.

      Or, un après-midi, comme il entrait dans la salle de rédaction, Boisrenard lui tendit le numéro de la Plume:

      – Tenez, il y a encore une note désagréable pour vous.

      – Ah! à propos de quoi?

      – À propos de rien, de l'arrestation d'une dame Aubert par un agent des mœurs.

      Georges prit le journal qu'on lui tendait, et lut, sous ce titre: Duroy s'amuse:

      «L'illustre reporter de la Vie Française nous apprend aujourd'hui que la dame Aubert, dont nous avons annoncé l'arrestation par un agent de l'odieuse brigade des mœurs, n'existe que dans notre imagination. Or la personne en question demeure 18, rue de l'Écureuil, à Montmartre. Nous comprenons trop, d'ailleurs, quel intérêt ou quels intérêts peuvent avoir les agents de la banque Walter à soutenir ceux du préfet de police qui tolère leur commerce. Quant au reporter dont il s'agit, il ferait mieux de nous donner quelqu'une de ces bonnes nouvelles à sensation dont il a le secret: nouvelles de morts démenties le lendemain, nouvelles de batailles qui n'ont pas eu lieu, annonce de paroles graves prononcées par des souverains qui n'ont rien dit, toutes les informations enfin qui constituent les «Profits Walter», ou même quelqu'une des petites indiscrétions sur des soirées de femmes à succès, ou sur l'excellence de certains produits qui sont d'une grande ressource à quelques-uns de nos confrères.»

      Le jeune homme demeurait interdit, plus qu'irrité, comprenant seulement qu'il y avait là-dedans quelque chose de fort désagréable pour lui.

      Boisrenard reprit:

      – Qui vous a donné cet écho?

      Duroy cherchait, ne se rappelant plus. Puis, tout à coup, le souvenir lui revint:

      – Ah! oui, c'est Saint-Potin.

      Puis il relut l'alinéa de la Plume, et il rougit brusquement, révolté par l'accusation de vénalité.

      Il s'écria:

      – Comment, on prétend que je suis payé pour…

      Boisrenard l'interrompit:

      – Dame, oui. C'est embêtant pour vous. Le patron est fort sur l'œil à ce sujet. Ça pourrait arriver si souvent dans les échos…

      Saint-Potin, justement, entrait. Duroy courut à lui:

      – Vous avez vu la note de la Plume?

      – Oui, et je viens de chez la dame Aubert. Elle existe parfaitement, mais elle n'a pas été arrêtée. Ce bruit n'a aucun fondement.

      Alors Duroy s'élança chez le patron qu'il trouva un peu froid, avec un œil soupçonneux. Après avoir écouté le cas, M. Walter répondit:

      – Allez vous-même chez cette dame et démentez de façon qu'on n'écrive plus de pareilles choses sur vous. Je parle de ce qui suit. C'est fort ennuyeux pour le journal, pour moi et pour vous. Pas plus que la femme de César, un journaliste ne doit être soupçonné.

      Duroy monta en fiacre avec Saint-Potin pour guide, et il cria au cocher:

      – 18, rue de l'Écureuil, à Montmartre.

      C'était dans une immense maison dont il fallut escalader les six étages. Une vieille femme en caraco de laine vint leur ouvrir:

      – Qu'est-ce que vous me r'voulez? dit-elle en apercevant Saint-Potin.

      Il répondit:

      – Je vous amène monsieur, qui est inspecteur de police et qui voudrait bien savoir votre affaire.

      Alors elle les fit entrer, en racontant:

      – Il en est encore r'venu deux d'puis vous pour un journal, je n'sais point l'quel.

      Puis, se tournant vers Duroy:

      – Donc, c'est monsieur qui désire savoir?

      – Oui. Est-ce que vous avez été arrêtée par un agent des mœurs?

      Elle leva les bras:

      – Jamais d' la vie, mon bon monsieur, jamais d' la vie. Voilà la chose. J'ai un boucher qui sert bien, mais qui pèse mal. Je m'en ai aperçu souvent sans rien dire, mais l'autre jour, comme je lui demandais deux livres de côtelettes, vu que j'aurais ma fille et mon gendre, je m'aperçois qu'il me pèse des os de déchet, des os de côtelettes, c'est vrai, mais pas des miennes. J'aurais pu en faire du ragoût, c'est encore vrai, mais quand je demande des côtelettes, c'est pas pour avoir le déchet des autres. Je refuse donc, alors y me traite de vieux rat, je lui réplique vieux fripon; bref, de fil en aiguille, nous nous sommes tant chamaillés qu'il y avait plus de cent personnes devant la boutique et qui riaient, qui riaient! Tant qu'enfin un agent fut attiré et nous invita à nous expliquer chez le commissaire. Nous y fûmes, et on nous renvoya dos à dos. Moi, depuis, je m'sers ailleurs, et je n' passe même pu devant la porte, pour éviter des esclandres.

      Elle

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