ТОП просматриваемых книг сайта:
Bel-Ami / Милый друг. Ги де Мопассан
Читать онлайн.Название Bel-Ami / Милый друг
Год выпуска 1885
isbn 978-5-17-158401-6
Автор произведения Ги де Мопассан
Серия Bilingua подарочная: иллюстрированная книга на языке оригинала с переводом
Издательство Издательство АСТ
Duroy l'avait frôlée tout à l'heure en traversant la foule, et elle lui avait dit «Bonjour» tout bas avec un clignement d'œil qui signifiait: «Je comprends.» Mais il n'avait point répondu à cette gentillesse dans la crainte d'être vu par sa maîtresse, et il avait passé froidement, le front haut, la lèvre dédaigneuse. La fille, qu'une jalousie inconsciente aiguillonnait déjà, revint sur ses pas, le frôla de nouveau et prononça d'une voix plus forte: «Bonjour, Georges.»
Il n'avait encore rien répondu. Alors elle s'était obstinée à être reconnue, saluée, et elle revenait sans cesse derrière la loge, attendant un moment favorable.
Dès qu'elle s'aperçut que Mme de Marelle la regardait, elle toucha du bout du doigt l'épaule de Duroy:
– Bonjour. Tu vas bien?
Mais il ne se retourna pas.
Elle reprit:
– Eh bien? es-tu devenu sourd depuis jeudi?
Il ne répondit point, affectant un air de mépris qui l'empêchait de se compromettre, même par un mot, avec cette drôlesse.
Elle se mit à rire, d'un rire de rage, et dit:
– Te voilà donc muet? Madame t'a peut-être mordu la langue?
Il fit un geste furieux, et d'une voix exaspérée:
– Qui est-ce qui vous permet de parler? Filez ou je vous fais arrêter.
Alors, le regard enflammé, la gorge gonflée, elle gueula:
– Ah! c'est comme ça! Va donc, mufle! Quand on couche avec une femme on la salue au moins. C'est pas une raison parce que t'es avec une autre pour ne pas me reconnaître aujourd'hui. Si tu m'avais seulement fait un signe quand j'ai passé contre toi, tout à l'heure, je t'aurais laissé tranquille. Mais t'as voulu faire le fier, attends, va! Je vais te servir, moi! Ah! tu ne me dis seulement pas bonjour quand je te rencontre…
Elle aurait crié longtemps, mais Mme de Marelle avait ouvert la porte de la loge, et elle se sauvait, à travers la foule, cherchant éperdument la sortie.
Duroy s'était élancé derrière elle et s'efforçait de la rejoindre.
Alors Rachel, les voyant fuir, hurla, triomphante:
– Arrêtez-la! Arrêtez-la! Elle m'a volé mon amant.
Des rires coururent dans le public. Deux messieurs, pour plaisanter, saisirent par les épaules la fugitive et voulurent l'emmener en cherchant à l'embrasser. Mais Duroy l'ayant rattrapée la dégagea violemment et l'entraîna dans la rue.
Elle s'élança dans un fiacre vide arrêté devant l'établissement. Il y sauta derrière elle, et comme le cocher demandait: «Où faut-il aller, bourgeois?» il répondit. «Où vous voudrez.»
La voiture se mit en route lentement, secouée par les pavés. Clotilde, en proie à une sorte de crise nerveuse, les mains sur sa face, étouffait, suffoquait; et Duroy ne savait que faire ni que dire.
À la fin, comme il l'entendait pleurer, il bégaya.:
– Écoute, Clo, ma petite Clo, laisse-moi t'expliquer! Ce n'est pas ma faute… J'ai connu cette femme-là autrefois… dans les premiers temps…
Elle dégagea brusquement son visage, et, saisie par une rage de femme amoureuse et trahie, une rage furieuse qui lui rendit la parole, elle balbutia, par phrases rapides, hachées, en haletant:
– Ah!.. misérable… misérable… quel gueux tu fais!.. Est-ce possible?.. quelle honte!.. Oh! mon Dieu!.. quelle honte!..
Puis, s'emportant de plus en plus, à mesure que les idées s'éclaircissaient en elle et que les arguments lui venaient:
– C'est avec mon argent que tu la payais, n'est-ce pas? Et je lui donnais de l'argent… pour cette fille… Oh! le misérable!..
Elle sembla chercher, pendant quelques secondes, un autre mot plus fort qui ne venait point, puis soudain, elle expectora, avec le mouvement qu'on fait pour cracher:
– Oh!.. cochon… cochon… cochon… Tu la payais avec mon argent… cochon… cochon!..
Elle ne trouvait plus autre chose et répétait:
– Cochon… cochon…
Tout à coup, elle se pencha dehors, et, saisissant le cocher par sa manche:
– Arrêtez!
Puis, ouvrant la portière, elle sauta dans la rue.
Georges voulut la suivre, mais elle cria: «Je te défends de descendre», d'une voix si forte que les passants se massèrent autour d'elle; et Duroy ne bougea point par crainte d'un scandale.
Alors elle tira sa bourse de sa poche et chercha de la monnaie à la lueur de la lanterne, puis ayant pris deux francs cinquante elle les mit dans les mains du cocher, en lui disant d'un ton vibrant:
– Tenez… voilà votre heure… C'est moi qui paye… – Et reconduisez-moi ce salop-là rue Boursault, aux Batignolles.
Une gaieté s'éleva dans le groupe qui l'entourait. Un monsieur dit: «Bravo, la petite!» et un jeune voyou arrêté entre les roues du fiacre, enfonçant sa tête dans la portière ouverte, cria avec un accent suraigu: «Bonsoir, Bibi».
Puis la voiture se remit en marche, poursuivie par des rires.
VI
Georges Duroy eut le réveil triste, le lendemain.
Il s'habilla lentement, puis s'assit devant sa fenêtre et se mit à réfléchir. Il se sentait, dans tout le corps, une espèce de courbature, comme s'il avait reçu, la veille, une volée de coups de bâton.
Enfin, la nécessité de trouver de l'argent l'aiguillonna et il se rendit chez Forestier.
Son ami le reçut, les pieds au feu, dans son cabinet.
– Qu'est-ce qui t'a fait lever si tôt?
– Une affaire très grave. J'ai une dette d'honneur.
– De jeu?
Il hésita, puis avoua:
– De jeu.
– Grosse?
– Cinq cents francs!
Il n'en devait que deux cent quatre-vingts.
Forestier, sceptique, demanda:
– À qui dois-tu ça?
Duroy ne put pas répondre tout de suite.
– … Mais à… à… à un Monsieur de Carleville.
– Ah! Et où demeure-t-il?
– Rue… rue…
Forestier se mit à rire:
– Rue du cherche-midi à quatorze heures, n'est-ce pas? Je connais ce monsieur-là, mon cher. Si tu veux vingt francs, j'ai encore ça à ta disposition, mais pas davantage.
Duroy accepta la pièce d'or.
Puis il alla de porte en porte, chez toutes les personnes qu'il connaissait, et il finit par réunir, vers cinq heures, quatre-vingts francs.
Comme il lui en fallait trouver encore deux cents, il prit son parti résolument, et, gardant ce qu'il avait recueilli, il murmura: «Zut, je ne vais pas me faire de bile pour cette garce-là. Je la paierai quand je pourrai.»
Pendant quinze jours il vécut d'une vie économe, réglée et chaste, l'esprit plein de résolutions énergiques. Puis il fut pris d'un grand désir d'amour. Il lui semblait que plusieurs années s'étaient écoulées depuis qu'il n'avait tenu une femme dans ses bras, et, comme le matelot qui s'affole en revoyant la terre, toutes les jupes rencontrées le faisaient frissonner.
Alors il retourna, un soir, aux Folies-Bergère, avec l'espoir