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sa casquette était par terre, sous sa chaise.

      L'entrée de Clotilde fit sensation par l'élégance de sa toilette. Les deux couples cessèrent de chuchoter, les trois cochers cessèrent de discuter, et le particulier qui fumait, ayant ôté sa pipe de sa bouche et craché devant lui, regarda en tournant un peu la tête.

      Mme de Marelle murmura:

      – C'est très gentil! Nous serons très bien; une autre fois, je m'habillerai en ouvrière.

      Et elle s'assit sans embarras et sans dégoût en face de la table de bois vernie par la graisse des nourritures, lavée par les boissons répandues et torchée d'un coup de serviette par le garçon. Duroy, un peu gêné, un peu honteux, cherchait une patère pour y pendre son haut chapeau. N'en trouvant point, il le déposa sur une chaise.

      Ils mangèrent un ragoût de mouton, une tranche de gigot et une salade. Clotilde répétait:

      – Moi, j'adore ça. J'ai des goûts canailles. Je m'amuse mieux ici qu'au Café Anglais.

      Puis elle dit:

      – Si tu veux me faire tout à fait plaisir, tu me mèneras dans un bastringue. J'en connais un très drôle près d'ici qu'on appelle la Reine-Blanche.

      Duroy, surpris, demanda:

      – Qui est-ce qui t'a menée là?

      Il la regardait et il la vit rougir, un peu troublée, comme si cette question brusque eût éveillé en elle un souvenir délicat. Après une de ces hésitations féminines si courtes qu'il les faut deviner, elle répondit:

      – C'est un ami…

      Puis, après un silence, elle ajouta:

      – …qui est mort.

      Et elle baissa les yeux avec une tristesse bien naturelle.

      Et Duroy, pour la première fois, songea à tout ce qu'il ne savait point dans la vie passée de cette femme, et il rêva. Certes elle avait eu des amants, déjà, mais de quelle sorte? de quel monde? Une vague jalousie, une sorte d'inimitié s'éveillait en lui contre elle, une inimitié pour tout ce qu'il ignorait, pour tout ce qui ne lui avait point appartenu dans ce cœur et dans cette existence. Il la regardait, irrité du mystère enfermé dans cette tête jolie et muette et qui songeait, en ce moment-là même peut-être, à l'autre, aux autres, avec des regrets. Comme il eût aimé regarder dans ce souvenir, y fouiller, et tout savoir, tout connaître!..

      Elle répéta:

      – Veux-tu me conduire à la Reine-Blanche? Ce sera une fête complète.

      Il pensa: «Bah! qu'importe le passé? Je suis bien bête de me troubler de ça.» Et, souriant, il répondit:

      – Mais certainement, ma chérie.

      Lorsqu'ils furent dans la rue, elle reprit, tout bas, avec ce ton mystérieux dont on fait les confidences:

      – Je n'osais point te demander ça, jusqu'ici; mais tu ne te figures pas comme j'aime ces escapades de garçon dans tous ces endroits où les femmes ne vont pas. Pendant le carnaval je m'habillerai en collégien. Je suis drôle comme tout en collégien.

      Quand ils pénétrèrent dans la salle de bal, elle se serra contre lui, effrayée et contente, regardant d'un œil ravi les filles et les souteneurs et, de temps en temps, comme pour se rassurer contre un danger possible, elle disait, en apercevant un municipal grave et immobile: «Voilà un agent qui a l'air solide.» Au bout d'un quart d'heure, elle en eut assez, et il la reconduisit chez elle.

      Alors commença une série d'excursions dans tous les endroits louches où s'amuse le peuple; et Duroy découvrit dans sa maîtresse un goût passionné pour ce vagabondage d'étudiants en goguette.

      Elle arrivait au rendez-vous habituel vêtue d'une robe de toile, la tête couverte d'un bonnet de soubrette, de soubrette de vaudeville; et, malgré la simplicité élégante et cherchée de la toilette, elle gardait ses bagues, ses bracelets et ses boucles d'oreilles en brillants, en donnant cette raison, quand il la suppliait de les ôter: «Bah! on croira que ce sont des cailloux du Rhin.»

      Elle se jugeait admirablement déguisée, et, bien qu'elle fût en réalité cachée à la façon des autruches, elle allait dans les tavernes les plus mal famées.

      Elle avait voulu que Duroy s'habillât en ouvrier; mais il résista et garda sa tenue correcte de boulevardier sans vouloir même changer son haut chapeau contre un chapeau de feutre mou.

      Elle s'était consolée de son obstination par ce raisonnement: «On pense que je suis une femme de chambre en bonne fortune avec un jeune homme du monde.» Et elle trouvait délicieuse cette comédie.

      Ils entraient ainsi dans les caboulots populaires et allaient s'asseoir au fond du bouge enfumé, sur des chaises boiteuses, devant une vieille table de bois. Un nuage de fumée âcre où restait une odeur de poisson frit du dîner emplissait la salle; des hommes en blouse gueulaient en buvant des petits verres; et le garçon étonné dévisageait ce couple étrange, en posant devant lui deux cerises à l'eau-de-vie.

      Elle, tremblante, apeurée et ravie, se mettait à boire le jus rouge des fruits, à petits coups, en regardant autour d'elle d'un œil inquiet et allumé. Chaque cerise avalée lui donnait la sensation d'une faute commise, chaque goutte du liquide brûlant et poivré descendant en sa gorge lui procurait un plaisir âcre, la joie d'une jouissance scélérate et défendue.

      Puis elle disait à mi-voix: «Allons-nous-en». Et ils partaient. Elle filait vivement, la tête basse, d'un pas menu, d'un pas d'actrice qui quitte la scène, entre les buveurs accoudés aux tables qui la regardaient passer d'un air soupçonneux et mécontent; et quand elle avait franchi la porte, elle poussait un grand soupir, comme si elle venait d'échapper à quelque danger terrible.

      Quelquefois elle demandait à Duroy, en frissonnant:

      – Si on m'injuriait dans ces endroits-là, qu'est-ce que tu ferais?

      Il répondait d'un ton crâne:

      – Je te défendrais, parbleu!

      Et elle lui serrait le bras avec bonheur, avec le désir confus peut-être d'être injuriée et défendue, de voir des hommes se battre pour elle, même ces hommes-là, avec son bien-aimé.

      Mais ces excursions, se renouvelant deux ou trois fois par semaine, commençaient à fatiguer Duroy, qui avait grand mal d'ailleurs, depuis quelque temps, à se procurer le demi-louis qu'il lui fallait pour payer la voiture et les consommations.

      Il vivait maintenant avec une peine infinie, avec plus de peine qu'aux jours où il était employé du Nord, car, ayant dépensé largement, sans compter, pendant ses premiers mois de journalisme, avec l'espoir constant de gagner de grosses sommes le lendemain, il avait épuisé toutes ses ressources et tous les moyens de se procurer de l'argent.

      Un procédé fort simple, celui d'emprunter à la caisse, s'était trouvé bien vite usé, et il devait déjà au journal quatre mois de son traitement, plus six cents francs sur ses lignes. Il devait, en outre, cent francs à Forestier, trois cents francs à Jacques Rival, qui avait la bourse large, et il était rongé par une multitude de petites dettes inavouables de vingt francs ou de cent sous.

      Saint-Potin, consulté sur les méthodes à employer pour trouver encore cent francs, n'avait découvert aucun expédient, bien qu'il fût un homme d'invention; et Duroy s'exaspérait de cette misère, plus sensible maintenant qu'autrefois, parce qu'il avait plus de besoins. Une colère sourde contre tout le monde couvait en lui, et une irritation incessante, qui se manifestait à tout propos, à tout moment, pour les causes les plus futiles.

      Il se demandait parfois comment il avait fait pour dépenser une moyenne de mille livres par mois, sans aucun excès ni aucune fantaisie; et il constatait qu'en additionnant un déjeuner de huit francs avec un dîner de douze pris dans un grand café quelconque du boulevard, il arrivait tout de suite à un louis, qui, joint à une dizaine de francs d'argent de poche, de cet argent qui coule sans qu'on sache comment, formait un total de trente francs. Or, trente francs par jour donnent neuf cents francs à la fin du mois. Et il ne comptait pas là dedans tous

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