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façonné par son milieu de vie et profondément inséré dans l’histoire de son époque: Jésus a d’abord pris en charge l’espérance juive (P. grelot, L’Espérance juive à l’heure de Jésus, Paris, Desclée, 1978, p. 17) « pour la transformer de l’intérieur, non en la contredisant, mais en poussant à la limite certaines de ses virtualités latentes. Ensuite, il est devenu lui-même le centre d’une nouvelle forme d’espérance, qui relayait l’espérance juive en proclamant son «accomplissement»».

      L’originalité de l’apport hébraïque ne doit pas se perdre et il est bon d’en retrouver le substrat dans les textes: les Septante n’ont pu reproduire à l’identique ni la syntaxe, ni le lexique, ni le rythme qui soutient le sens des phrases, ni les jeux de mot qui ont contribué à transmettre le message religieux.

      Les mots hébreux ont été remplacés par des termes d’usage courant dans le monde hellénistique. Par exemple, dans le récit de la création, le chaos initial, vide et désert (» tohu wa bohu») devint la matière « invisible et inorganisée» (et une source d’ennuis pour Origène). Le mot hébreu « bara», créer, réservé au Seigneur, n’a pas de correspondant réel en grec (ce qui causa quelques problèmes dogmatiques). Les divers noms du Dieu des Hébreux: le Tétragramme imprononçable YHWH fut traduit par Kurios, Maître; les différentes formes El, Eloah, Elohim devinrent toutes Theos; les appellations El Shadday et Sabaoth furent traduites par Pantokratôr, effaçant leur origine – mais devenant une appellation de l’icône du Christ! Gardons l’interprétation essentielle de la Tradition, mais aussi sa base, le sens hébraïque des mots bibliques.

      La Septante grecque, dans sa pluralité de formes textuelles hébraïsantes ou non, ouvre plus directement sur le Nouveau Testament, base de la théologie orthodoxe et il est nécessaire de la connaître. La Septante finalement est complémentaire de la Bible hébraïque. On ne peut les opposer. Et il faut aussi vivre avec son époque, prendre aux sérieux les questions bibliques actuelles et nos Bibles modernes, tout en n’empêchant pas une lecture orthodoxe, nous permettent de vivre à l’ère œcuménique et de rejoindre tous nos frères croyants [Françoise Jeanlin, Maître de conférence en Ancien Testament à l’Institue Saint-Serge à Paris. Conférence donnée le 7 février 2008, lors du colloque: « Les Orthodoxes et la traduction de la Bible» à l’Institut Saint Serge].

      Vocabulaire

      en référence – применительно к …; в отношении…

      façonné – сформированный, представленный

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      TEXTE 2

      LE GRAND CARÊME, VOYAGE VERS PÂQUES

      Lorsqu’un homme part en voyage, il doit savoir où il va. Ainsi on est-il du Grand Carême. Avant tout, le Carême est un voyage spirituel et sa destination est Pâques, la « Fête des fêtes». C’est la préparation à « l’accomplissement de la Pâque figurative, la vraie Révélation». Nous devons donc commencer par essayer de comprendre cette relation entre le Carême et Pâques, car elle révèle quelque chose de très essentiel, de crucial, quant à notre foi et à notre vie chrétienne.

      Est-il nécessaire d’expliquer que Pâques est beaucoup plus qu’une Fête parmi les fêtes, beaucoup plus qu’une commémoraison annuelle d’un évènement passé? Quiconque a participé, ne serait-ce qu’une fois, à cette nuit « plus lumineuse que le jour», quiconque a goûté à cette joie unique, le sait bien: mais d’où vient cette joie? Et pourquoi pouvons-nous chanter, comme nous le faisons à la Liturgie pascale: « De lumière, maintenant, est remplie tout l’univers, au ciel, sur terre et aux enfers»? En quel sens célébrons-nous, comme nous prétendons le faire, « la mise à mort de la mort, la destruction de l’enfer, le début de la vie éternelle»? À toutes ces questions la réponse est celle-ci: la vie nouvelle qui, voici près de deux mille ans, a jailli du tombeau, nous a été donnée, à nous tous qui croyons au Christ. Et elle nous a été donnée au jour de notre baptême où, comme le dit saint Paul: « Nous avons été ensevelis avec le Christ dans sa mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle» (Ro 6,4).

      Ainsi nous célébrons à Pâques la Résurrection du Christ comme quelque chose qui est arrivé et qui nous arrive encore. Car chacun d’entre nous a reçu le don de cette vie nouvelle et la faculté de l’accueillir et d’en vivre. C’est un don qui change radicalement notre attitude envers toutes choses en ce monde, y compris la mort, et qui nous donne de pouvoir affirmer joyeusement: « La mort n’est plus!»

      Certes, la mort est encore là, et nous l’affrontons toujours et un jour elle viendra nous prendre. Mais là réside toute notre foi: par sa propre mort, le Christ a changé la nature même de la mort, il en a fait un passage, une pâque, une « pascha», dans le Royaume de Dieu, transformant la tragédie des tragédies en victoire suprême, « Écrasant la mort par la mort», il nous a rendus participants de sa Résurrection. C’est pourquoi, à la fin des matines de Pâques, nous disons: « Le Christ est ressuscité, et voici que règne la vie! Le Christ est ressuscité, et il n’est de mort au tombeau!»

      Telle est la foi de l’Eglise, affirmée et rendue évidente par ses saints innombrables. Et cependant, n’expérimentons-nous pas quotidiennement que cette foi est bien rarement la nôtre, que toujours nous perdons et trahissons la vie nouvelle que nous avons reçue en don et que, en fait, nous vivons comme si le Christ n’était pas ressuscité des morts, comme si cet évènement unique n’avait pas la moindre signification pour nous? Tout ceci en raison do notre faiblesse, à cause de l’impossibilité où nous sommes de vivre constamment de foi, d’espérance et de charité, au niveau auquel le Christ nous a élevés lorsqu’il a dit: « Cherchez d’abord le Royaume de Dieu et sa justice» (Mt 6, 33).

      Nous l’oublions tout simplement, tant que nous sommes occupés, immergés dans nos occupations journalières, et parce que nous oublions, nous succombons. Et par cet oubli, cette chute et ce péché, notre vie redevient « vieille» de nouveau, mesquine, enténébrée et finalement dépourvue de sens, un voyage dépourvu de sens vers un but sans signification. Nous faisons tout pour oublier même la mort, et voici que, tout à coup, au milieu de notre vie si agréable, elle est là, devant nous, horrible, inévitable, absurde. Nous pouvons bien, de temps à autre, reconnaître et confesser nos différents péchés, mais sans pour autant référer notre vie à cette Vie nouvelle que le Christ nous a révélée et nous a donnée. En fait, nous vivons comme s’il n’était jamais venu. Là est le seul vrai péché, le péché de tous les péchés, la tristesse insondable et la tragédie de notre christianisme, qui ne l’est que de nom.

      Si nous en prenons conscience, alors nous pouvons comprendre la réalité de Pâques et pourquoi elle nécessite et présuppose le Carême. Car nous pouvons comprendre alors que les traditions liturgiques de l’Église, tous ses cycles et offices, sont faits avant tout pour nous aider à recouvrer la vision et le goût de cette vie nouvelle, que nous perdons et trahissons si facilement, et ainsi nous pourrons nous repentir et revenir à cette vie. Comment pourrions-nous aimer et désirer quelque chose que nous ne connaissons pas? Comment placer au-dessus de tout, dans notre vie, ce que nous n’avons pas vu et que nous n’avons pas goûté? Bref, comment pourrions-nous chercher un Royaume dont nous n’aurions aucune idée?

      C’est la liturgie de l’Église qui, dès l’origine et encore maintenant, nous introduit nous fait communier à la vie nouvelle du Royaume. C’est par sa vie liturgique que l’Église nous révèle quelque chose de ce que « l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout

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