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       René Boylesve

      Madeleine, jeune femme

      Publié par Good Press, 2021

       [email protected]

      EAN 4064066078720

       I

       II

       III

       IV

       V

       VI

       VII

       VIII

       IX

       X

       XI

       XII

       XIII

       XIV

       XV

       XVI

       XVII

       XVIII

       XIX

       XX

       XXI

       XXII

       XXIII

       XXIV

       XXV

       FIN

       Table des matières

      L'heure la plus douloureuse de ma vie, le 9 septembre 1888, jour de mon mariage, les adieux à ma famille étant faits: le trajet de Chinon à Tours, par une chaleur torride, dans le train qui nous emmenait à Paris... Ah! que j'envie le sort de celles pour qui cette heure est l'aboutissement des rêves de la jeunesse! Moi, je partais, à la suite d'un mariage de convenance, comme on disait dans ce temps-là, avec un homme pour qui j'avais beaucoup d'estime et de gratitude, presque de l'amitié, mais point d'amour. Ce cas paraît peut-être aujourd'hui étrange, mais à cette époque nos familles s'inquiétaient peu de nos volontés, et elles avaient dressé une jeune fille de telle sorte qu'elle acceptât ce suprême sacrifice de soi-même, après beaucoup d'autres, combinés, gradués, dès longtemps accomplis, et pour ainsi dire destinés à rendre possible celui-ci. Tant de choses importantes pour la famille plus que pour notre chétive personne dépendent d'un mariage! Qu'on y songe...

      Moi, j'appartenais à une famille à peu près ruinée, depuis 1873, par le dévouement de mon père à la cause monarchique, et, depuis ces dernières années, par les folies de mon frère Paul. Ma pauvre maman, toute bonne, et même ma grand'mère Coëffeteau, si autoritaire, étaient d'une égale faiblesse lorsqu'il s'agissait de Paul; une partie de ce qui devait constituer ma dot,—bien modeste!—avait dû être employée à payer des dettes où l'honneur de notre nom était engagé. Plusieurs mariages avaient manqué pour moi à cause de la dot insuffisante; peu à peu les partis tenus pour «beaux» s'écartaient et, ce qui était pire, d'autres partis affluaient au contraire, de condition moyenne, trop peu flatteuse pour l'amour-propre d'une très ancienne famille bourgeoise. Ce n'était pas moi, certes, qui avais la fringale du mariage! Mon goût, très vif, avait été de me consacrer à la musique. Des amis de Paris, musiciens, les Vaufrenard, et un vieil artiste d'Angers, M. Topfer, m'avaient affirmé que j'entrerais haut la main au Conservatoire, que je ferais une pianiste peu commune et que je pourrais gagner ma vie; mais les Vaufrenard étaient des Parisiens et M. Topfer un artiste, tandis que ma grand'mère était une bourgeoise de Chinon,—je parle du Chinon de ce temps-là;—et, à ses yeux, il n'y avait point de situation à quoi l'on pût songer, pour une jeune fille élevée comme moi, hormis le mariage, et ce qu'on appelait alors «le beau mariage». Or, comme j'allais atteindre mes vingt et un ans, ce qui est un âge, un architecte vint de Paris, réparer un petit château des environs; il me vit à l'église; il s'informa de moi et demanda ma main. Il avait trente-sept ans; il n'était ni bien ni mal; il prétendait posséder une belle situation; il jouissait du prestige d'avoir été choisi entre tous autres architectes par M. Segoing, un conseiller général de la bonne nuance; il citait les noms de ses principaux clients, des noms splendides, car il restaurait surtout les manoirs historiques; il parlait volontiers de cousins à lui, les Voulasne, qui étaient «une puissance financière», habitaient un magnifique hôtel rue Pergolèse, une villa à Dinard, et menaient ce qu'on est convenu d'appeler «la vie de Paris»; il parlait aussi d'un M. Grajat, son confrère, son «maître», un des grands concessionnaires de la future Exposition universelle; il aimait à répéter, à tout propos: «Avant cinq ans, ma femme aura sa voiture.» Tout cela ne valait pas pour moi l'accent d'un homme qui m'eût plu; mais tout cela fascinait ma famille qui venait d'éconduire un prétendant à ma main, petit pharmacien sur la place de la Gare! En outre, l'architecte de Paris n'exigeait aucune dot et ne semblait tenir qu'à une chose: épouser une jeune fille bien élevée. C'était toucher ma famille en ses points les plus sensibles. Enfin ne déclarait-il pas en outre qu'il garantissait l'avenir de mon frère?

      Malgré tout, je me souviens que je n'ai, à aucun moment, donné mon consentement d'une manière positive. J'ai pris le seul parti qui fût possible à une jeune fille façonnée, modelée comme je l'étais; j'ai temporisé, j'ai imploré des sursis, j'ai demandé à Dieu, de toute ma ferveur, la grâce de me faire aimer l'homme qui, en m'épousant, assurait le bien-être de toute ma famille; je suis tombée malade; et, pendant que j'étais à bas, cet homme me montra une telle patience, une telle bonté, une si extraordinaire volonté de me conquérir, que j'ai eu un beau jour plus de confusion de le faire souffrir que je n'en avais de désespérer ma famille, et je me suis trouvée liée à lui par un sentiment auquel je ne saurais donner de nom, un sentiment qui ne me permettait pas de lui dire

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