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Un bon petit diable. Comtesse de Ségur
Читать онлайн.Название Un bon petit diable
Год выпуска 0
isbn 4064066089290
Автор произведения Comtesse de Ségur
Издательство Bookwire
Charles, content du récit, s'approcha tout doucement de sa cousine pour voir de près ses yeux, toujours fermés et gonflés. Pendant qu'il regardait le gonflement et la rougeur extraordinaire des paupières, et qu'il cherchait à voir si elle avait réellement les yeux perdus comme elle le disait, Mme Mac'Miche les entrouvrit, vit Charles et allongea la main pour le saisir; Charles fit un saut en arrière et se réfugia instinctivement près de l'homme en blouse, ce qui fit rire tous les assistants, même le charretier.
«Elle ne dira toujours pas que je l'ai aveuglée, dit l'homme en riant. Je te remercie, mon garçon; je craignais, en vérité, de lui avoir crevé les yeux. C'est toi qui nous as démontré qu'elle y voyait.
Madame Mac'Miche:—Pourquoi est-il ici? Par où a-t-il passé? Betty, renferme-le.
Betty:—Je ne peux pas quitter Madame dans l'état où elle est. Que Madame reste tranquille et ne s'inquiète de rien.
Madame Mac'Miche:—Mauvais garnement, va! Tu n'y perdras rien.»
Charles jeta un regard sur l'homme, comme pour lui demander sa protection.
L'Homme:—Que veux-tu que j'y fasse, mon garçon? Je ne peux pas te venir en aide. Il faut que tu te soumettes; il n'y a pas à dire.»
Mais Charles n'entendait pas de cette oreille; il ne voulait pas se soumettre, et, se souvenant de la défense de sa cousine d'aller chez Juliette, il sortit en disant tout haut:
«Je vais chez Juliette.
Madame Mac'Miche:—Je ne veux pas; je te l'ai défendu. Empêchez-le, vous autres; arrêtez-le; amenez-le-moi. Charretier, je vous pardonnerai tout, je ne porterai pas plainte contre vous, si vous voulez saisir ce mauvais garnement et lui administrer une bonne correction avec ce même fouet qui a manqué m'aveugler.
L'Homme:—Je ne le toucherai seulement pas du bout de mon fouet.
Que vous a-t-il fait, cet enfant? Il vous regardait tranquillement quand vous avez voulu vous jeter sur lui; il s'est réfugié près de moi, et, ma foi, je le protégerai toutes les fois que je le pourrai.
Madame Mac'Miche:—Ah! c'est comme ça que vous me répondez.
Voici M. le juge de paix qui vient tout justement; vous allez avoir une bonne amende à payer.
L'Homme:-C'est ce que nous allons voir, ma bonne dame.
Le Juge:—Qu'y a-t-il donc? Vous m'avez fait demander pour constater un délit, madame Mac'Miche?
Madame Mac'Miche:—Oui, Monsieur le juge, un délit énorme, qui demande une éclatante réparation, une punition exemplaire! Cet homme que voici, qu'on reconnaît à son air féroce (tout le monde rit, le charretier plus fort que les autres), oui, Monsieur le juge, à son air féroce; il se dissimule devant vous, il fait le bon apôtre; mais vous allez voir. Cet homme m'a jetée par terre au beau milieu de la rue, m'a injuriée, m'a appelée de toutes sortes de noms, et, enfin, m'a donné un coup de fouet à travers les yeux, que j'en suis aveugle. Et je demande cent francs de dommages et intérêts, plus une amende de cent francs dont je bénéficierai, comme c'est de toute justice.»
Le charretier et son escorte riaient de plus belle; leur gaieté n'était pas naturelle; elle donna au juge, qui était un homme de sens et de jugement, quelques soupçons sur l'exactitude du récit de Mme Mac'Miche.
Il se tourna vers le charretier.
«La chose s'est-elle passée comme le raconte Madame?
L'Homme:—Pour ça non, Monsieur le juge, tout l'opposé. Madame est venue se jeter contre moi sur la route, au moment où je me tournais pour voir à mes chevaux; elle est tombée les quatre fers en l'air; faut croire qu'elle n'était pas solide sur ses jambes; mais ça, je n'en suis pas fautif. Voilà que je veux la relever; elle me repousse,... bonne poigne, allez!... et me dit des sottises; elle m'en dit, m'en défile un chapelet qui m'ennuie à la fin; ma foi j'ai pris la parole à mon tour, et je ne dis pas que je n'en aie dit de salées; on n'est pas charretier pour rien. Monsieur le juge sait bien; les chevaux,... ça n'a pas l'oreille tendre. Et quand je m'emporte, ma foi, je lâche tout mon répertoire. Mais voilà que Madame, qui n'était pas contente, à ce qu'il semblerait, me lance une claque en pleine figure. Ma foi, pour le coup, la moutarde m'a monté au nez et... je suis prompt, Monsieur le juge,... pas méchant mais prompt... Alors j'ai riposté... avec mon fouet... On n'est pas charretier pour rien, Monsieur le juge... Les chevaux, vous savez, ça se mène au fouet. Le malheur a voulu qu'elle présentât les yeux en face de mon fouet, ma foi, il était lancé et il a touché là où il a trouvé de la résistance. Mais ça ne lui a pas fait grand mal, allez, Monsieur le juge; elle a beuglé comme si je l'avais écorchée, mais elle y voit comme vous et moi; la preuve, c'est qu'elle vous a vu entrer, et je me moque bien de ses dommages et intérêts; je suis bien certain que vous ne lui en accorderez pas un centime.
Les Témoins:—Monsieur le juge, c'est la pure vérité qu'il dit; nous sommes tous témoins.
Madame Mac'Miche:—Comment, malheureux, vous prenez parti contre moi, une compatriote, pour favoriser la scélératesse d'un étranger, d'un misérable, d'un brigand!
Le Juge:—Eh! eh! Madame Mac'Miche, vous allez me forcer à verbaliser contre vous. Restez tranquille, croyez-moi; si quelqu'un a tort, c'est vous, qui avez injurié et frappé la première; et si vous intentiez un procès, c'est vous qui payeriez l'amende, et non pas cet homme, qui me fait l'effet d'être un brave homme, quoique un peu prompt, comme il le dit. Je n'ai plus rien à faire; je me retire et je viendrai tantôt savoir de vos nouvelles et vous dire deux mots.»
Avant que Mme Mac'Miche fût revenue de sa surprise et eût pris le temps de riposter au juge de paix, celui-ci s'était empressé de disparaître; le charretier et l'escorte le suivirent, et Mme Mac'Miche resta seule avec Betty, qui riait sous cape et qui était assez satisfaite de l'échec subi par cette maîtresse violente, injuste et exigeante. A sa grande surprise, Mme Mac'Miche resta immobile et sans parole; Betty lui demanda si elle voulait monter dans sa chambre; elle se leva, repoussa Betty qui lui offrait le bras, monta lestement l'escalier comme quelqu'un qui y voit très clair, et s'aperçut, en ouvrant la porte de sa chambre, qu'un des carreaux était brisé.
Madame Mac'Miche:—Encore ce malfaiteur! Ce Charles de malheur! C'est par là qu'il s'est frayé un passage. Betty, va me le chercher; il m'a narguée en disant qu'il allait chez Juliette; tu l'y trouveras.»
IV
LE FOUET; LE PARAFOUET
Pendant que se passait ce que nous venons de raconter. Charles était allé chercher du calme près de sa cousine et amie Juliette; il l'avait trouvé seule comme il l'avait laissée; il lui raconta le peu de succès de son bon mouvement, et le moyen qu'il avait employé pour se préserver d'une rude correction.
Juliette:—Mon pauvre Charles, tu as eu très grand tort; il ne faut jamais faire à ta cousine des menaces si affreuses, et que tu sais bien ne pas pouvoir exécuter.
Charles:—Je l'aurais parfaitement