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A fond de cale. Майн Рид
Читать онлайн.Название A fond de cale
Год выпуска 0
isbn 4064066083458
Автор произведения Майн Рид
Издательство Bookwire
Quant à moi, j'ai failli bien souvent être victime de ma passion pour la mer; les ondes que j'aimais tant semblaient désireuses de m'engloutir; et je les aurais accusées d'ingratitude, si je n'avais su que les vagues ne raisonnent pas, et sont dépourvues de responsabilité.
Quelques semaines s'étaient écoulées depuis mon plongeon dans l'étang, et j'apprenais à nager depuis plusieurs jours, lorsque je fus sur le point de terminer, par une catastrophe, mes exercices aquatiques.
Ce n'est pas dans la pièce d'eau où s'ébattaient les cygnes qu'arriva cette aventure; car il n'était pas permis de se baigner dans l'intérieur du parc; mais lorsqu'on vit au bord de la mer on n'a pas besoin d'un étang pour s'ébattre dans l'eau; et c'est au sein des vagues que j'appris à nager.
La baie où les habitants de notre village avaient coutume de se baigner n'était pas précisément l'endroit qu'ils auraient dû choisir; non pas que la grève n'y fût belle, avec son sable jaune et ses coquilles blanches; mais on rencontrait sous le flot limpide un courant dont il était dangereux d'approcher, à moins d'être un excellent et vigoureux nageur.
Quelqu'un s'était noyé par l'effet de ce courant; toutefois, il y avait si longtemps, que le fait était passé à l'état de légende; et si, plus récemment, deux ou trois baigneurs avaient été entraînés vers la haute mer, ils avaient été sauvés par les bateaux qu'on avait envoyés à leur secours.
Les anciens du village, c'est-à-dire ceux dont l'opinion avait le plus d'importance, n'aimaient pas qu'on racontât ces accidents, et haussaient les épaules quand on en parlait devant eux. Je me rappelle avoir été frappé de leur réserve à cet égard; quelques-uns allaient même jusqu'à nier l'existence du courant, tandis que les autres se contentaient d'affirmer qu'il était inoffensif. J'avais remarqué néanmoins qu'ils ne permettaient pas à leurs enfants de se baigner à cet endroit.
Ce ne fut que plus tard, lorsqu'après quarante années d'aventures, je revins au lieu de ma naissance, que je devinai le motif de la réserve de mes concitoyens. Notre village est, comme vous savez, l'un des points de la côte où l'on prend des bains de mer, et il doit une partie de sa prospérité aux baigneurs qui viennent successivement y passer quelques semaines. On conçoit dès lors que si la baie avait une mauvaise réputation, on n'aurait plus personne, et il faudrait renoncer au bénéfice que nous procurent les bains. C'est pourquoi les sages de la commune vous estiment d'autant plus que vous parlez moins de leur courant.
Toujours est-il qu'en dépit des négations de nos prudents villageois, il m'arriva de me noyer dans la baie.
«Pas tout à fait, direz-vous, puisque vous n'êtes pas mort.» Je n'en sais rien; la chose est fort douteuse. Je n'avais plus ni le sentiment de la vie, ni celui de la douleur: on m'eût coupé en mille morceaux que je ne l'aurais pas senti; et je ne serais plus de ce monde, à dater de cette époque, si quelqu'un ne s'en était pas mêlé, un beau jeune homme du village, un batelier qui s'appelait Henry Blou, et qui m'a rendu à l'existence.
L'accident par lui-même n'a rien d'extraordinaire, et, si je le raconte, c'est pour vous montrer comment je fis connaissance avec ce brave Henry, dont les habitudes et l'exemple devaient tant influer sur mon avenir.
Je m'étais rendu sur la plage avec l'intention de me baigner, comme je le faisais tous les jours, et, soit méprise, soit envie d'explorer un nouveau coin de la baie, je me dirigeai précisément vers l'un des endroits les plus mauvais du courant. À peine étais-je dans l'eau qu'il me saisit et m'emporta vers la pleine mer, à une distance qu'il m'aurait été impossible de franchir pour regagner la côte. Soit, en outre, que la frayeur paralysât mes forces, car j'avais conscience du péril où je me trouvais, soit que je fusse vraiment incapable de lutter plus longtemps, je cessai mes efforts, et je coulai à fond comme une pierre.
Je me souviens confusément d'avoir aperçu un bateau près de l'endroit où j'avais cessé de nager: un homme était dans ce bateau, puis tout a disparu; un bruit semblable aux roulements du tonnerre emplissait mes oreilles, et ma connaissance s'éteignit tout à coup, ainsi que la flamme d'une bougie qu'on a soufflée.
Je ne sais plus ce qui arriva jusqu'au moment où je me sentis revivre. Lorsque j'ouvris les yeux, un jeune nomme était penché au-dessus de moi; il me frictionna tout le corps, me pétrit le ventre, me souffla dans la bouche, exécuta diverses manœuvres plus singulières les unes que les autres, et me chatouilla les narines avec les barbes d'une plume.
C'était Henry Blou qui me rappelait à la vie. Dès qu'il m'eut sauvé, il me prit dans ses bras et me porta chez ma mère, qui devint presque folle en me recevant ainsi. On me versa un peu de vin dans la gorge, on m'enveloppa de couvertures, on m'entoura de briques chaudes, de bouteilles d'eau bouillante; on me fit respirer du vinaigre et des sels; bref, on m'entoura des soins les plus minutieux et les plus tendres.
Au bout de vingt-quatre heures, j'étais sur pied, tout aussi vif, tout aussi bien portant que jamais; et cette leçon, qui aurait dû servir à me mettre en garde contre mon élément favori, fut entièrement perdue, comme vous le montrera la suite de cette histoire.
CHAPITRE IV.
En mer.
Bien loin de me guérir de mes goûts nautiques, le péril auquel je venais d'échapper ne fit qu'augmenter la passion que j'avais toujours eue pour la mer.
Ma reconnaissance pour le jeune homme qui m'avait sauvé devint bientôt une affection profonde. Henry n'était pas seulement courageux, mais aussi bon qu'il était brave; et je n'ai pas besoin de vous dire que je l'aimais de tout mon cœur. Du reste, il semblait bien me le rendre; car il agissait à mon égard comme si les rôles avaient été changés, et que ce fût moi qui l'eusse arraché à la mort. Que de peines il se donna pour me rendre bon nageur, et pour m'enseigner à faire usage d'une rame! si bien qu'en très-peu de temps j'appris à m'en servir, et que je ramais beaucoup mieux que pas un enfant de mon âge. Mes progrès furent si rapides que bientôt je pus manier les deux rames, et faire avancer ma barque sans le secours de personne. J'étais fier de ce haut fait; et jugez de mon orgueil lorsque, honoré de la confiance du maître, j'allais prendre son bateau dans une petite anse où il était amarré, afin de le conduire à quelque point de la côte, où Henry m'attendait. Il arriva bien qu'en passant près du rivage ou d'un sloop immobile, j'entendais certaines voix ironiques se récrier sur ma présomption apparente: «Un beau gaillard pour manier une paire de rames! Ohé! vous autres, regardez-moi ce bambin qui tette encore sa mère, et qui se mêle de conduire un bateau!» Et les rires se joignaient aux railleries. Que me faisaient ces insultes? Au lieu de me mortifier, elles doublaient mon ardeur, et je montrais qu'en dépit de ma petitesse, je pouvais conduire ma barque, non-seulement dans la direction voulue, mais encore aussi vite que la plupart de ceux qui avaient deux fois ma taille.
Au bout de quelque temps, personne, excepté les étrangers, ne pensa plus à se moquer de mon audace; chacun dans le village connaissait mon adresse, et, malgré mon peu d'années, on me parlait avec respect. Quelquefois ils m'appelaient en riant le petit marin ou le jeune matelot; mais c'était avec bienveillance, et ils finirent par me baptiser du nom de petit Loup de mer, qui prévalut sur tous les autres.
Ma famille avait d'ailleurs l'intention de me faire entrer dans la marine: je devais accompagner mon père dans son prochain voyage, et, toujours habillé en matelot, mon costume était irréprochable; vareuse de drap bleu, large pantalon du même, cravate de soie noire et collet rabattu. C'était sans doute à la manière dont je portais cet uniforme que j'avais dû mon dernier sobriquet. J'aimais ce nom de petit Loup de mer, qui flattait mon amour-propre; il me plaisait d'autant plus que c'était Henry Blou qui me l'avait donné le premier.
À cette époque, Henry Blou commençait à prospérer: il avait deux embarcations dont il était propriétaire. La plus grande, qu'il appelait sa yole4, lui servait