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les chuchotements des clients. Son père toujours près d’elle pour lui faire découvrir les meilleurs titres, lui montrer de nouveaux mondes…

      Elle posa les livres sur l’étagère et se retourna, mais son père n’était plus dans l’arrière-boutique.

      – Papa ? appela-t-elle, sa voix résonnant étrangement dans cet endroit vide de toute présence. Papa ? Où es-tu ?

      Lex se réveilla en sursaut, sentant un frisson parcourir son corps. Elle transpirait, le souvenir de ce rêve se répétant en boucle dans son esprit. Elle avait compris d’instinct que son père n’était plus là.

      Peut-être parce qu’il était également parti, ici, dans la vraie vie. Aussi idyllique que sa vie lui paraissait lorsqu’elle était enfant, elle n’avait aucune idée de ce qu’il se passait en coulisses. Aucune idée des disputes de ses parents, des problèmes d’argent, du manque de marge réalisé sur les ventes. Doucement, sur deux ans, la section des livres d’occasion s’était agrandie, jusqu’à ce que le magasin entier ne vende plus que ça. Son père avait dû croire que ce changement pourrait sauver le magasin.

      Lex se souvint avec nostalgie de ses flâneries parmi ces étagères. Les livres d’occasion avaient une odeur complètement différente, celle du vieux papier et de la vie. Chacun d’eux avait sa propre histoire, son propre passé, pas seulement sur les pages, mais aussi dans la vie du livre en lui-même. Des dédicaces griffonnées au stylo ou au crayon à l’intérieur de la couverture. Le bord des pages usé, corné et déchiré, les annotations occasionnelles dans la marge. Les plis dans la tranche là où le livre avait été lu et relu, aimé et emporté partout dans un sac.

      C’était magique, jusqu’au jour où ça ne l’était plus. Le magasin fit faillite et ses parents la firent asseoir pour lui annoncer un après-midi d’été brumeux, alors qu’elle ne pensait que rien de mal ne pouvait arriver, qu’ils divorçaient.

      Lex resta avec sa mère alors qu’elle souhaitait partir avec son père. Celui-ci vivait dans un motel le temps de trouver un nouvel appartement permanent. Un jour il quitta le motel et ne revint jamais.

      Lex ne l’avait pas revu depuis.

      C’était une vieille blessure. Lex avait maintenant trente-deux ans et les bons souvenirs du magasin ne représentaient qu’une petite partie de sa vie. C’était terminé depuis longtemps. Elle avait essayé de retrouver son père à l’adolescence, durant ses études et après son diplôme. Elle n’avait jamais trouvé la moindre trace de lui, et un jour, elle avait arrêté de chercher.

      Lex sortit les pieds du lit et marcha jusqu’à la cuisine de son petit appartement, récupérant un verre dans le placard pour le remplir d’eau. Le rêve persistait dans son esprit et pas seulement à cause des émotions qu’il avait remuées.

      Elle s’était accrochée à ce rêve depuis que le magasin avait fermé : ouvrir un jour sa propre librairie, suivre les traces de son père. Après sa disparition, elle s’était même imaginée ce fantasme dans lequel il apprenait qu’elle avait ouvert son propre magasin. Il l’aurait rejoint pour travailler avec elle au milieu des étagères, comme ils l’avaient fait lorsqu’elle était enfant. C’était en partie plus un souhait qu’un projet, mais l’ambition était toujours là.

      À l’origine elle avait commencé dans l’édition pour être proche des livres. Elle voulait en apprendre plus sur le marché, comprendre ce qui se vendait et ce qui ne marchait pas. Elle pensait que ça lui servirait, qu’elle se créerait des contacts utiles pour le jour où elle se lancerait. Mais quelque part en chemin elle avait été promue d’assistante à éditrice junior, puis on lui avait donné son propre bureau, aussi petit soit-il, et le rêve s’était dissipé.

      Lex termina son eau et retourna le verre sur l’égouttoir. Elle regardait par la fenêtre sans vraiment voir la vue. Quand avait-elle laissé tomber ce projet ? Elle en avait rêvé pendant tant d’années et c’était logique. Elle connaissait les livres. Ils faisaient partie de son âme. De plus, avec une librairie d’occasion, pas besoin de suivre les dernières tendances, le marché, les pires autobiographies. On récupère ce que l’on trouve, on cherche des perles rares et on se construit une clientèle qui aime vraiment les livres.

      Lex se retrouva dans sa chambre, à la recherche de son portable sur sa table de chevet. Il y avait des messages de Colin qu’elle ignora, les balayant impatiemment de l’écran pour ouvrir l’application de sa banque. Elle en étudia le contenu avec contrariété. Elle n’avait jamais été douée pour économiser, encore moins avec cet appartement en plein centre de Boston qui prenait déjà une bonne partie de son salaire. Puis il y avait les courses, les trajets en métro, les sorties avec Colin…

      Elle avait un peu de côté, mais un mois d’indemnité de licenciement, ce n’était pas grand-chose, du moins pas assez pour lancer son entreprise. Ça au moins elle en était certaine.

      Mais elle avait d’autres options. Lex pensa à sa mère qui avait bien réussi ces quinze dernières années. Elle s’était remariée avec un homme riche et vivait dans une maison confortable avec piscine en banlieue. Elle avait une carrière fructueuse et son mari l’adorait. Ils ne seraient sûrement pas contre l’opportunité d’investir dans le projet de Lex, ni de la voir monter son entreprise.

      Elle se décida à appeler sa mère dans la matinée. Tout ce dont elle avait besoin, c’était d’un coup de pouce pour se lancer et son rêve serait de nouveau accessible. Ce n’était pas grand-chose, elle n’avait rien emprunté à sa famille depuis l’université et elle avait tout remboursé dès qu’elle avait commencé à travailler. Elle était fille unique. Quel genre de parent ne voudrait pas la réussite de leur enfant ?

      Elle se remit sous la couette l’esprit apaisé, souriant dans l’obscurité. Aujourd’hui, elle se remettrait sur la voie qu’elle n’aurait jamais dû quitter.

***

      – Maman ? dit Lex en approchant le téléphone de son oreille, surprise. C’est fou. J’allais justement t’appeler !

      En réalité, elle repoussait l’échéance. Elle s’était réveillée il y a plus d’une heure et avait passé son temps assise dans son lit à lire des articles sur son site d’informations préféré. Faisant tout son possible pour éviter l’inévitable.

      – Ne va pas croire que c’est une coïncidence Alexis, lui dit froidement sa mère. Roger a entendu de Belinda que Carl avait parlé à Bryce ce matin. On dirait que nous sommes les derniers informés de ton licenciement.

      Lex soupira. Elle n’avait aucune idée de qui étaient ces gens, en dehors de Roger, le nouveau mari de sa mère, mais elle avait le sentiment que si elle lui demandait, elle aurait le droit à un sermon pour ne pas l’avoir écouté. Ce n’était pas comme ça qu’elle s’était imaginée cet appel. À peine commencée et elle était déjà hors sujet.

      – J’étais fatiguée la nuit dernière, dit-elle. Je voulais t’appeler aujourd’hui.

      – Mais que s’est-il passé ? s’effondra sa mère. Belinda était là à offrir ses condoléances, à dire à Roger que ça allait s’arranger, que ce n’était pas la fin du monde et qu’elle était persuadée que tu allais rebondir. Alors que nous n’en savions rien. Comment as-tu pu perdre ton travail ?

      – Ce n’était pas de ma faute, dit Lex.

      Sachant pertinemment que cette excuse était nulle, elle continua rapidement pour ne pas laisser le temps à sa mère de réagir.

      – Bryce m’a annoncé que les associés avaient décidé de se séparer des documentaires. Le département ferme, ce n’est pas seulement moi.

      – Aux dernières nouvelles, c’était toi le département. Tu ne pouvais rien faire ? Tu aurais dû faire plus de ventes. Tu ne leur as pas dit que tu pouvais travailler dans un autre département ?

      Lex inspira profondément et compta jusqu’à dix dans sa tête.

      – C’est trop tard maman. J’ai

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