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D’ESPOIR (Tome 5)

      PROLOGUE

      Julian Banfield inspira profondément, debout dans sa cuisine. Il adorait ce mélange d’odeurs de café fraîchement moulu et de bacon grillé.

      Profites-en tant que ça dure, se dit-il en retournant le bacon avec une spatule.

      Sheila, sa femme, rentrerait bientôt de la tournée promotionnelle de son livre, peut-être même avant qu’il ne soit couché. Julian devait s’assurer de ne laisser aucune trace de bacon ni des autres extras forts en cholestérol qu’il s’était accordé en son absence. Et il ne devait pas oublier de vaporiser la cuisine de désodorisant pour en effacer la délicieuse, mais persistante odeur.

      Malgré son amour pour Sheila et le fait qu’ils aient toujours été heureux, il devait admettre qu’il avait apprécié son absence cette semaine. Après trente-cinq ans de mariage, il ne pouvait pas vraiment dire qu’elle lui avait manqué et il ne s’imaginait pas lui avoir spécialement manqué non plus. C’était plutôt une expérience intéressante, pour tous les deux.

      Et c’était agréable de ne pas avoir à écouter ses réflexions, gentilles, mais insistantes sur ses péchés mignons et autres écarts. Il avait pu manger des donuts et des pizzas, sauter des séances de sport et prendre un ou deux verres de bourbon après le dîner.

      Tout ça sera fini lorsque Sheila sera rentrée.

      Saisis l’instant, se dit-il.

      Il retira le bacon de la poêle et cassa deux œufs dans la graisse encore frémissante. Puis il inséra un toast dans le grille-pain et se servit du jus d’orange. Quand les œufs  furent prêts, il les cuit de l’autre côté pendant quelques secondes avant de les retourner. Satisfait de l’aspect de la pellicule enveloppant le jaune, il mit les œufs sur une assiette juste à temps pour récupérer son toast.

      Il posa l’assiette remplie de bacon, d’œufs  et du toast sur la table de la cuisine, puis s’assit et étala un énorme morceau de beurre sur celui-ci, une autre gourmandise qu’il allait devoir oublier au retour de Sheila. Tout en commençant à manger, il se surprit à penser à ses séances de thérapie du lendemain. Son premier rendez-vous du matin était un jeune homme nommé Dennis Jones. À cause d’une mauvaise gestion de ses impulsions, il avait récemment été arrêté pour vol.

      Julian avait fait de son mieux pour convaincre le juge que la kleptomanie de Dennis était une affaire médicale et non criminelle ; un trouble obsessionnel du comportement plutôt qu’un manque de sens moral. Après tout, le gamin volait des trucs qui ne l'intéressaient même pas.

      Mais le juge était toujours sur la réserve concernant le dossier de Dennis. Pour lui éviter la prison, Julian allait devoir lui faire changer définitivement de comportement.

      L’objectif de demain serait de persuader Dennis d’ajouter de la naltrexone à son traitement, qui se composait déjà de fluoxétine et de bupropion. Dennis était névrosé et pas particulièrement futé. Même s’il ne tombait pas dans la dépression ou la paranoïa, certains sites internet complotistes l’avaient convaincu que le gouvernement utilisait les médicaments psychiatriques pour contrôler la population. Aujourd’hui, Julian espérait réussir à lui faire oublier cette idée ridicule.

      Il ronchonna, énervé par les problèmes que ce genre de site engendrait.

      Internet ne facilite vraiment pas mon travail, pensa-t-il.

      Pour lui, les réseaux sociaux et autres activités en ligne affaiblissaient la santé mentale de la société tout entière. Sheila s’était bien adaptée à cette digitalisation, mais Julian avait parfois l’impression d’être un vestige d’un temps plus simple et plus sensé.

      Pire, il savait que ses jeunes collègues le considéraient comme un vieux grincheux qui n’arrivait pas à vivre avec son temps. Il attendait avec impatience la retraite, mais elle n’arriverait que dans deux ou trois ans.

      En savourant son encas, il commença à envier Sheila. Elle avait pu abandonner son cabinet de thérapie familiale après avoir écrit un best-seller sur ces mêmes problèmes liés aux nouvelles technologies qui hantaient Julian. Maintenant, elle pouvait voyager à travers le pays, faire des discours et des conférences, dédicacer ses livres et profiter de l’admiration de son public.

      Ça doit être sympa, pensa Julian.

      Il était déterminé à ne pas tomber dans la jalousie. Après tout, les droits d’auteur de Sheila allaient rendre leurs vieilles années beaucoup plus agréables. Et il était content qu’elle apprécie sa nouvelle vie.

      Julian finit de manger et mit son assiette, son verre et ses couverts dans l'évier. Alors qu’il commençait à les laver, il crut entendre un bruit. Il ferma le robinet et tendit l’oreille.

      Sheila était-elle rentrée plus tôt que prévu ?

      Si c’était le cas, impossible de masquer l’odeur de bacon grillé.

      Pris la main dans le sac, pensa-t-il.

      Il n’aurait plus qu’à lui faire un sourire embarrassé et admettre son comportement. Sheila serait boudeuse, mais pas désagréable. Ils riraient gentiment, pendant qu’il ferait des promesses qu’il ne tiendrait pas.

      Il attendit un moment, l’oreille tendue, mais n’entendit rien. Persuadé d’avoir halluciné à cause de sa culpabilité, il termina la vaisselle. Alors qu’il s’essuyait les mains, un autre bruit attira son attention.

      Cette fois, il était sûr de ne pas avoir rêvé.

      – Sheila ? appela-t-il.

      Aucune réponse.

      Il entra dans le salon et le balaya du regard. Personne. Pourtant il était sûr d’avoir entendu quelque chose.

      Il se tourna vers le couloir d’entrée et vit que la porte menant au bureau de Sheila était fermée.

      Il ressentit une légère inquiétude.

      Sheila était peut-être rentrée, elle avait senti le bacon et s’était enfermée dans son bureau sous le coup de la colère. Ce genre de comportement ne lui ressemblait pas vraiment, mais si son voyage s’était mal passé, elle pourrait être plus susceptible que d’habitude.

      Il marcha jusqu’à la porte du bureau et toqua.

      – Sheila, tu es là ? demanda-t-il.

      De nouveau, il n'eut pas de réponse. Pendant un instant, Julian resta immobile, confus. Quelqu’un était-il vraiment entré dans la maison ? Il était certain de ne pas avoir imaginé les bruits, mais il n’y avait aucune valise en vue dans le couloir.

      Était-il possible que Sheila ait traîné ses valises dans le bureau, fermé la porte derrière elle et refusait maintenant de lui parler ?

      Ce serait absurde, évidemment. Il savait que c’était insensé, rien que de l’imaginer.

      Secouant la tête de ses théories ridicules, il ouvrit la porte du bureau et y entra. En un coup d’œil, il vit que l’espace de travail de Sheila était aussi immaculé que d’habitude, un contraste total avec le désordre chaotique qui régnait dans son propre bureau à l’étage.

      Elle est peut-être montée, pensa-t-il.

      Sauf qu’il aurait forcément entendu de tels déplacements dans la maison. C’était beaucoup plus probable que son imagination lui ait joué des tours.

      Soudain, il entendit un bruit derrière lui, dans le couloir juste devant le bureau. On aurait dit des pas rapides. Avant qu’il n’ait pu se retourner, il fut saisi par-derrière, comme pris dans un étau. Une main puissante mit un morceau de tissu mouillé sur sa bouche et son nez.

      Grâce à sa formation médicale, Julian reconnut immédiatement l’odeur et le goût sucré.

      Du chloroforme !

      Son cerveau réagit vite, mais son corps n’avait pas encore été gagné

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