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l'air détaché, comme si cette affaire ne l'affectait pas. “Le Prince Rodry est parti à son secours, son père rassemble ses hommes pour franchir les ponts menant vers le sud.”

      Devin crut que son cœur s'arrêtait. Lenore était en danger ? Il voulait se lancer à sa rescousse, la sauver. Il ignorait d'où venait ce sentiment, mais il était bel et bien présent, il ne pouvait rester sans rien faire, la sachant en danger.

      "Je dois rejoindre les forces armées du roi," dit-il en se dirigeant vers la porte.

      Maître Grey se posta devant lui. "Pourquoi ?"

      "Je pourrais … je pourrais aller combattre pour la sauver."

      "Crois-tu qu'il n'y a pas suffisamment d'hommes à ses trousses ? Le prince Rodry est accompagné de ses … amis. Le roi a ses chevaliers et ses gardes. Tu ne leur serais d'aucune utilité, hormis te faire tuer."

      Il en était persuadé, aussi sûr que deux et deux font quatre.

      "Qu'est-ce que ça peut vous faire ?"

      "Je m'en préoccupe parce que tu es trop important pour périr de la sorte. Le garçon né le jour de la lune en dragon ? Celui de la prophétie ? Non, telle est ta mission : apprendre, apprendre à maîtriser tes pouvoirs magiques, forger l'épée."

      Devin se dirigea de nouveau vers la porte, mais Maître Grey l'arrêta.

      "Ne crois-tu pas que le roi te laisserait ici si je le lui demandais ?" il indiqua la fonderie d'un signe de tête. "Tu as une mission à accomplir. Fais de ton mieux."

      Devin voulut argumenter mais il savait que ce serait en pure perte. Il voulait aider au sauvetage de Lenore mais Maître Grey, à son grand agacement, avait raison sur toute la ligne. Il ne pouvait rien pour aider les hommes déjà lancés à sa rescousse, il ne serait jamais le noble guerrier qui la sauverait. C'est tout ce qu'il était en mesure de faire.

      Il retourna à la fonderie, prêt à réessayer. Sa frustration grondait, mais pas seulement. Il avait tant de questions, Maître Grey ne répondait à aucune d'entre elles.

      Il trouverait bien un moyen d'obtenir les réponses.

      CHAPITRE CINQ

      Le Prince Greave n'était pas habitué aux navires, qu'il ne connaissait que dans les livres. Il avait lu des passages de Samir, Navigation et de Hussard, Les Côtes en préparation du voyage, mais aucun d'eux ne l'avaient préparé à la réalité d'une mer déchaînée, à un équipage de marins qui l'ignoraient, à un ciel menaçant.

      La Serpentine était un immense trois-mâts aux bastingages hauts et ventrus, flanqué de chaloupes, tel une épée fendant les vagues. Les marins étaient des hommes rudes, portant des vêtements amples et simples facilitant leurs déplacements, ils se mouvaient avec agilité autour du gréement. Des hommes durs et aguerris, rien à voir avec Greave pour lequel ils n'éprouvaient que mépris, avec son visage imberbe et son allure féminine.

      Il songea à Nerra, tous étaient prêts à l'aider, tout cela en valait la peine. La voie navigable était le chemin le plus rapide vers la grande bibliothèque d'Astare. Le seul moyen de se rendre à l'endroit où il trouverait un remède contre la maladie de l'homme de pierre dans un délai raisonnable. Greave craignait toutefois … qu'il ne soit trop tard.

      "Est-ce … normal ?" demanda Aurelle.

      "Tu regrettes d'être venue ?"

      Elle secoua la tête. "Ma place est à tes côtés."

      Tout semblait couler de source, Greave ne pouvait imaginer qu'une autre femme le suive ici-même, sur ces mers agitées, berceau de tant de victimes, sur un navire risquant d'être déchiqueté s'il s'approchait trop près des puissants courants qui le drosseraient sur les rives de la Slate. Aucune autre ne se serait lancée dans pareille aventure, mais Aurelle n'était pas comme les autres.

      "Tu as le mal de mer," déclara Aurelle.

      Greave songea à son apparence. Il était mince, des traits presque féminins, des cheveux ondulés, ses traits auraient sans nul doute inspiré un artiste en quête d'une expression figurant la tristesse. Les embruns avaient rendu ses cheveux poisseux, sa barbe naissante – la barbe ne lui allait pas du tout – ombrait son menton, ne mettant absolument pas en valeur ses traits tirés par la nausée.

      Quant à Aurelle … elle était parfaite.

      Elle était belle avec sa peau d'albâtre, ses pommettes et ses lèvres étaient des joyaux scintillants lovés parmi la constellation de ses traits parfaits. Quant à son corps … Greave aurait pu écrire des poèmes, elle ne portait plus sa robe d'apparat mais une tenue de voyage, une tunique gris et argent, un corset et un haut-de-chausses.

      Rien n'avait d'importance, elle était là, avec lui, en route pour la grande bibliothèque d'Astare. Elle l'accompagnait dans sa quête du remède contre la maladie de l'homme de pierre, personne d'autre ne l'aurait suivi, elle voulait aider Nerra, elle s'était embarquée de son plein gré, quoique sa joie fut plus modérée que la sienne.

      "Pourquoi ne pas être partis à cheval ?"

      "Nous faisons cap au nord-est du Royaume du Nord, en évitant les terres volcaniques. Y aller seuls à cheval aurait été plus difficile, voire dangereux."

      "La voie navigable te paraît plus sûre ?" demanda Aurelle, en indiquant la vaste mer.

      On ne voyait plus terre ; les navires s'éloignaient pour éviter les courants dangereux près des côtes. C'était troublant, Greave avait passé le plus clair de son temps dans les bibliothèques, mais éprouvait un sentiment nouveau devant ce monde décrit par les écrivains qu'il admirait, l'univers dans toute sa splendeur.

      "Greave, regarde, une baleine."

      Greave vit surgir une immense silhouette grise à la mâchoire démesurée, hérissée de dents pointues, visiblement pas une baleine, bien qu'aussi volumineuse, la peau de sa nageoire se confondait de loin avec des algues. Greave se souvint avec horreur de l'ouvrage Créatures des Profondeurs de Lolland.

      "Ce n'est pas une baleine. Accroche-toi, Aurelle." Il cria pour que l'équipage entende. "Un darkmaw !"

      L'équipage regarda alentour et mit un certain temps avant de réagir, pas habitués à entendre crier un étranger. Greave savait ce qu'ils pensaient à cet instant précis : ce prince, ce privilégié, ignorait la différence entre un darkmaw et un banc de harengs. Ils le virent de leurs yeux vus une seconde plus tard, et coururent chercher leur stock de harpons.

      La créature plongea dans les profondeurs.

      Greave voyait son ombre sous l'eau, il l'apercevait tandis qu'il s'agrippait au cordage. Les marins l'observaient avec méfiance, plusieurs d'entre eux cherchaient encore des armes.

      C'est alors que la créature frappa.

      Elle s'abattit sur le flanc du bateau, mais le bosco vira de bord afin que le navire ne pâtisse de la violence de l'attaque. Le bateau gita violemment, Greave se retint fermement au cordage pour rester debout.

      Aurelle n'eut pas cette chance. Elle tomba et cria, glissa vers le bord du navire. Le darkmaw se dressait, gueule grande ouverte pour attraper sa proie, le navire gitait, pris entre ses nageoires.

      Greave bondit instinctivement pour rattraper Aurelle, et ainsi lâcher prise. Ses doigts se refermèrent sur son poignet, il cédait du terrain.

      Greave voyait les harpons s'enfoncer dans la chair de la créature, sans trop d'effet. Elle se rapprochait inexorablement, il voyait distinctement ses grands yeux fixes, empreints d'une malveillance terrifiante.

      "Votre Altesse !" cria un marin, Greave regarda dans sa direction juste à temps pour voir l'homme lui lancer un harpon. Greave attrapa fermement l'arme qui voltigea jusqu'à lui.

      "Greave !" hurla Aurelle. Elle était au bord du bastingage, retenue à grand peine par Greave, qui, muni de son harpon, regrettait de ne pas avoir consacré plus de temps à l'entraînement, si seulement il avait su qu'il affronterait un jour cet œil maudit …

      Il lança le harpon

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