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la résidence Wakeman. Elle avait même cet homme gentil qui venait lui faire la lecture une fois par semaine – et parfois deux fois. Elle savait qu’il faisait aussi la lecture à d’autres personnes. Mais c’était des pensionnaires d’autres résidences. Ici à Wakeman, elle était la seule à qui il faisait la lecture. Elle avait du coup l’impression d’être spéciale. Elle avait l’impression qu’il avait une préférence pour elle. Il s’était plaint du fait que la plupart des pensionnaires préféraient des romans à l’eau de rose ou des best-sellers inintéressants. Mais avec Ellis, il pouvait lire des ouvrages qu’il appréciait vraiment. Deux semaines plus tôt, ils avaient terminé Cujo de Stephen King. Et maintenant, c’était ce livre de Bradbury et –

      Elle s’arrêta de marcher, en penchant légèrement la tête sur le côté.

      Elle avait eu l’impression d’entendre un bruit tout près d’elle. Mais après s’être arrêtée, elle n’entendit plus rien.

      C’était probablement juste un animal traversant les bois sur ma droite, pensa-t-elle. Après tout, c’était la Virginie du Sud… et il y avait beaucoup de forêts et d’animaux qui y vivaient.

      Elle tapota de sa canne devant elle, trouvant une sorte de bien-être dans le bruit familier du clic clic au moment où elle touchait le trottoir. Bien qu’elle n’ait jamais vu le trottoir ou la route qui le longeait, on les lui avait plusieurs fois décrits. Elle avait même fini par s’en créer une image mentale avec les descriptions des fleurs et des arbres que certains des aides-soignants de la résidence lui en avaient faites.

      Cinq minutes plus tard, elle sentit l’odeur des roses à quelques mètres devant elle. Elle entendit le bourdonnement des abeilles voletant autour des fleurs. Elle avait parfois l’impression qu’elle pouvait même sentir les abeilles, couvertes de pollen et du miel qu’elles produisaient quelque part tout près.

      Elle connaissait si bien le chemin qui menait à la roseraie qu’elle aurait pu s’y rendre sans l’aide de sa canne. Elle en avait fait le tour au moins un millier de fois durant ces onze dernières années à la résidence. Elle y venait pour réfléchir sur sa vie, sur le fait qu’elle était devenue si compliquée que son mari l’avait quittée quinze ans plus tôt et son fils avait fait de même il y a onze ans. Son salaud d’ex-mari ne lui manquait pas du tout mais ce qui lui manquait, c’était de sentir les mains d’un homme sur son corps. Pour être tout à fait honnête, c’était une des raisons pour laquelle elle appréciait autant toucher le visage de l’homme qui lui faisait la lecture. Il avait un menton volontaire, des pommettes saillantes et un accent du Sud qu’elle adorait écouter. Même s’il lui avait lu l’annuaire téléphonique, elle aurait apprécié.

      Elle pensait à lui au moment où elle sentit qu’elle entrait dans l’espace familier du jardin. Le béton était résistant sous ses pas mais tout ce qui l’entourait était doux et accueillant. Elle fit une pause durant un instant et réalisa que, comme c’était généralement le cas dans l’après-midi, elle y était toute seule. Il n’y avait personne d’autre.

      Elle s’arrêta à nouveau. Elle avait entendu un bruit derrière elle.

      Ressenti, aussi, pensa-t-elle.

      « Qui va là ? » demanda-t-elle.

      Elle ne reçut aucune réponse. Elle était sortie aussi tard car elle savait que le jardin serait désert. Très peu de personnes sortaient le soir après dix-huit heures dans la minuscule petite ville de Stateton, où se trouvait la résidence Wakeman. Quand elle était sortie un quart d’heure plus tôt, elle avait tendu l’oreille pour savoir si quelqu’un se trouvait dans la pelouse à l’avant et elle n’avait rien entendu. Elle n’avait également entendu personne sur le trottoir en descendant vers le jardin. Il était possible que quelqu’un soit sorti avec l’intention de se glisser furtivement derrière elle et l’effrayer mais c’était assez risqué. Un tel comportement avait des conséquences, des lois rigoureusement appliquées par une force de police qui ne rigolait pas quand il s’agissait d’adolescents cherchant à faire une mauvaise blague à une personne handicapée.

      Mais elle entendit à nouveau quelque chose.

      Elle avait entendu un bruit et elle était d’autant plus certaine que quelqu’un se trouvait à proximité. Elle pouvait sentir son odeur. Ce n’était pas du tout une odeur désagréable. En fait, c’était plutôt une odeur familière.

      Un sentiment de peur l’envahit et elle ouvrit la bouche pour crier.

      Mais avant qu’elle ne puisse émettre un seul son, elle sentit soudain une pression immense autour de sa gorge. Elle sentit autre chose aussi, irradiant de la personne.

      C’était de la haine.

      Elle étouffait, incapable de hurler, de parler, de respirer, et elle sentit qu’elle tombait à genoux.

      La pression autour de son cou s’intensifia et la haine émanant de son attaquant la pénétrait de toute part alors que son corps était envahi par la douleur. Et pour la première fois de sa vie, Ellis fut soulagée d’être aveugle. Alors qu’elle sentait la vie la quitter, elle était soulagée de ne pas devoir regarder dans les yeux le visage du mal. Au lieu de ça, elle avait devant elle cette obscurité si familière pour l’accueillir dans ce qui l’attendait après cette vie.

      CHAPITRE UN

      Mackenzie White, toujours sur les routes, était vraiment contente de rester confinée dans son petit box. Elle avait été encore plus ravie quand, il y a trois semaines, McGrath l’avait appelée pour lui dire qu’il y avait un bureau de libre suite à une série de licenciements au sein du gouvernement et qu’elle pouvait s’y installer si elle le souhaitait. Elle avait attendu quelques jours et vu que personne d’autre ne l’avait pris, elle s’y était installée.

      La pièce était décorée de manière très minimaliste et elle ne contenait que son bureau, une lampe sur pied, une petite étagère et deux chaises. Un grand calendrier effaçable était pendu au mur. Elle le fixait des yeux en faisant une pause après avoir répondu à des emails et passé des coups de téléphone afin de découvrir de nouvelles pistes concernant une affaire en particulier.

      C’était une affaire ancienne… une affaire liée à une simple carte de visite qu’elle avait accrochée au calendrier à l’aide d’un aimant :

      Antiquités Barker

      C’était le nom d’une entreprise qui n’avait apparemment jamais existé.

      Les quelques pistes qu’ils avaient trouvées n’avaient mené à rien. La seule fois où il y eut une légère avancée, ce fut quand l’agent Harrison avait découvert l’existence d’un endroit à New York qui pouvait avoir un lien potentiel avec la société. Mais il s’est très vite avéré qu’il ne s’agissait de rien de plus que d’un homme qui avait vendu de vieilles antiquités bas de gamme dans son garage à la fin des années 80.

      Elle avait néanmoins le sentiment qu’elle était vraiment très près de découvrir une piste qui la mènerait aux réponses qu’elle cherchait depuis longtemps – des réponses concernant la mort de son père et le meurtre qui y était apparemment lié et qui avait eu lieu à peine six mois plus tôt.

      Elle essayait de s’accrocher à ce sentiment, à cette sensation que la réponse était là à portée de main, encore invisible et pourtant juste devant ses yeux. C’était ce qu’elle devait faire des jours comme aujourd’hui, où trois pistes potentielles s’étaient avérées infructueuses après quelques appels téléphoniques et quelques emails.

      La carte de visite était devenue une sorte d’énigme pour elle. Elle la fixait des yeux tous les jours, en essayant d’imaginer une approche différente à laquelle elle n’aurait pas encore pensé.

      Cette carte de visite la captivait tellement qu’elle sursauta au moment où quelqu’un frappa à la porte de son

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