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le plus demandé et le plus apprécié de toute l’industrie cinématographique. Ses collègues lui portaient respect et envie, les admirateurs, restant loin, se faisaient sentir quand même par leurs incessantes lettres, appels, e-mails et toutes sortes d’invasions aux moindres occasions. Les photographes l’attendaient à chaque cérémonie, son visage remplissait les pages d’internet, il était partout, il était tout, et il représentait tout pour pas mal du monde sur la planète.

      Mais qui savait que c’était un homme très solitaire, qui voulait être invisible, qui voulait plus que tout au monde, que les gens le regardent comme un homme quelconque, que dans leurs yeux il cesse, une fois et pour toujours, d’apparaître cette étincelle d’émerveillement de la reconnaissance! Comme tout cela le fatiguait, comme cela le dérangeait, mais à qui pourrait-il le dire? À personne! Voilà le drame: à personne! On l’aimait pour ce qu’il était et ce «ce qu’il était» était devenu, une fois et pour toujours, inséparable de son vrai être, son costume extérieur, qu’il ne pouvait plus enlever.

      Et, comme toutes les personnes créatives, talentueuses, rebelles, il rêvait de pouvoir tout changer encore une fois, plusieurs fois, s’il le voulait, changer à l’infini, être maître de sa propre image, de sa propre vie, tout en concervant ses capacités d’agir, de produire et de créer les films qu’il aimait profondément. Voilà, les films! La vie créative! Elle était au-dessus de tout autre intérêt, elle l’accrochait à la réalité et quand il réussissait à sortir un nouveau film, il était heureux.

      Mais tourner, sans arrêt, dans une boucle, même luxueuse et pleine de possibilités, cela reste toujours «tourner dans une boucle» et lui, il voulait aller voir ailleurs. Où? Il ne savait pas encore. C’est pour ça que ces nouvelles intrusions ne lui déplaisaient pas, bien au contraire, il savourait la sensation du renouveau très proche, et chaque instant d’attente ne l’énervait pas, mais donnait un grand plaisir de quelque chose d’inévitable.

      Le soir, Bill se retrouva à nouveau seul, dans sa villa, épuisé par les débats incessants autour du nouveau film. Les acteurs, les actrices, les décorateurs, les musiciens, les costumiers, tous étaient demandeurs de conseils, d’opinions, de résolutions. Il était une sorte de «papa» pour un groupe de quelques centaines de gens adultes. Cela lui pesait parfois. Il aimait se retrouver seul, quand il ne devait plus rien à personne, quand il ne devait plus apporter de solutions, quand il ne devait pas être toujours «à la hauteur» des exigences des autres, être toujours «impeccable». Dans sa solitude, il pouvait se débarrasser de son masque et ne plus se soucier, oublier complètement l’existence de son aspect extérieur et s’adonner pleinement à sa vie intérieure, qui était loin d’être pauvre.

      Bill devait tout à lui-même: sa carrière d’acteur, ses expériences en tant que réalisateur, et, enfin, la création de sa propre boîte de production. Tout cela, il ne le devait à personne d’autre qu’à lui. Il avait l’énorme potentiel créatif qui n’est donné qu’à un petit nombre de gens, et il s’en servait avec une grande efficacité. Sa carrière avançait sur une ligne droite, toujours plus haut, toujours plus loin, mais un jour Bill s’aperçut qu’il avait atteint les limites des êtres humains. Il était bloqué, car rien dans son entourage ne pouvait plus le stimuler à avancer: il était au sommet! Mais, inconsciemment, au plus profond de son âme, il sentait que tout cela n’était pas encore une limite, qu’il pouvait aller plus loin, beaucoup plus loin…

      «Les tsars, les héritiers, les îles mystérieuses…», ces mots flattaient son ego, «Et pourquoi pas commencer à croire à l’impossible… Comme ça, d’un coup, commencer à croire et c’est tout. Sans se demander pourquoi, commencer à croire…», il s’endormait lentement, enveloppé par ses pensées.

      Chapitre 2

      Le lendemain de cet étrange échange mental, Christine s’apprêtait à aller travailler. Elle n’aimait pas se lever tôt, elle était plutôt quelqu’un qui adorait danser toute la nuit et rentrer avec les premiers chants des oiseaux matinaux, pour enfin plonger dans ses rêves. Se lever à six heures du matin, pour aller s’engouffrer dans les transports en commun, était pour elle un véritable cauchemar. Avant, au début, elle prenait le métro et, devant traverser toute la ville sous la terre, elle avait le temps d’observer les gens.

      Le désespoir marquait leurs visages, leurs yeux étaient vides de toutes pensées, le vacuum total s’installait autour de Christine durant ses trajets. Elle savait capter les ondes des pensées des gens en général, les bonnes, les mauvaises, les pensées qui provoquaient la réflexion, les pensées agressives, elle captait et comprenait tout. Mais toute absence de pensées quelconques était totalement insupportable pour elle.

      Parfois, quelques rares flashs réflexifs se relevaient au-dessus des têtes et elle entendait: «Comment gagner plus d’argent? Comment payer mes dettes? Comment faire en sorte que mes enfants ne vivent pas le même cauchemar que moi? Comment?» Et puis le même vacuum. Rien. Pas de réponse. Les yeux, tournés vers le sol, pas de regards qui se croisent, comme si eux tous, ils avaient honte de se retrouver dans cette situation tous les jours, tous les mois, tous les ans… Pas de beaux visages, une souffrance et l’endurance se répandaient dans le wagon.

      Au début de ses voyages, Christine s’amusait à regarder les gens, à les entendre, à les observer, mais quand elle a compris le blocage total de leurs âmes, cela était devenu insupportable pour elle, et elle s’arrêta de prendre le métro, en s’obligeant de cette façon à un trajet interminable dans les bus. Ce qui la consolait, c’est qu’elle était au-dessus de la terre et elle pouvait regarder les paysages.

      Ainsi Christine commença à regarder comment se transformait le paysage durant son voyage vers les «couches profondes de la société». Plus elle avançait, plus les rues changeaient radicalement d’aspect: les vitrines de luxe disparaissaient, laissant la place à des magasins de fastfoods mal entretenus, avec des vitres toujours sales. Des grands sacs de poubelles couvraient le paysage.

      Parfois les tas d’ordures ménagères trônaient sur les trottoirs, les gens les contournaient en riant, sans pourtant les apercevoir. Les maisons devenaient vétustes, les fenêtres opaques, non lavées depuis des siècles, les vêtements des gens étaient presque «clochardesques «… Des sacs plastique de magasins, remplis, qui sait de quelles fringues… On se déplaçait dans un autre monde. Les gens semblaient ne pas avoir remarqué leur entourage, la pauvreté ne les dérangeait pas, ce qui faisait penser à Christine, «qu’ils ne connaissaient probablement pas mieux, et certainement pire…»

      Cela provoquait un chagrin profond dans le cœur de Christine. Elle pensait sans arrêt au triste sort de ces gens. Jusqu’à un petit incident dans la rue: elle marchait très vite, pressée de regagner son lieu de travail, puis elle s’apprêtait à dépasser un homme qui marchait juste devant elle sur un trottoir étroit. Soudainement, l’homme se retourna, avec un geste et un regard menaçant. Christine fit un pas à gauche et sentit un fort coup sur sa tête. Tout de suite elle ne comprit pas ce qui s’était passé. Elle ralentit d’un coup. L’homme continuait à la regarder d’un air menaçant.

      – Pardon, pardon, murmura-t-elle, regardant un gros tuyau d’échafaudage, qu’elle s’était pris contre sa tête, en essayant d’éviter cet homme. L’homme se calma et se remit à marcher. Elle comprit que l’agression ne venait pas de cet homme, mais de l’intérieur d’elle-même.

      Christine se remit rapidement de cette émotion, et réfléchit: «Qu’elle n’a pas le droit d’avoir pitié de ses gens… pitié c’est un sentiment agressif… ils vivent comme ça car ils veulent vivre comme ça. Ce niveau de vie, probablement, leur correspond! Donc, elle doit venir dans ses quartiers sans aucune agressivité par rapport à la pauvreté qu’elle constate autour. Elle doit l’accepter comme une donnée pour ces gens, dont elle ne connaît pas la vie…», elle découvrait un monde parallèle à ce qu’elle vivait. Les valeurs et les exigences dans ce monde étaient, sans aucun doute, très différentes des siennes, mais cela ne rendait pas pour autant ces gens malheureux… Elle devait s’habituer à cette idée.

      Mais, elle, Christine, elle connaissait

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