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tenait le beau milieu de la chambre: c'est que cet angle du salon était coupé par un paravent chinois, derrière lequel il se faisait un certain bruit et une certaine musique qui prouvaient qu'il se passait en cet endroit de l'appartement quelque chose de nouveau et d'inaccoutumé. Les enfants se souvinrent alors en même temps qu'ils n'avaient pas encore aperçu le conseiller de médecine, et d'une même voix ils s'écrièrent:

      – Ah! parrain Drosselmayer!

      À ces mots, et comme si, en effet, il n'eût attendu que cette exclamation pour faire ce mouvement, le paravent se replia sur lui-même et laissa voir non seulement parrain Drosselmayer, mais encore! …

      Au milieu d'une prairie verte et émaillée de fleurs, un magnifique château avec une quantité de fenêtres en glaces sur sa façade et deux belles tours dorées sur ses ailes. Au même moment, une sonnerie intérieure se fit entendre, les portes et les fenêtres s'ouvrirent, et l'on vit, dans les appartements éclairés de bougies hautes d'un demi-pouce, se promener de petits messieurs et de petites dames: les messieurs, magnifiquement vêtus d'habits brodés, de vestes et de culottes de soie, ayant l'épée au côté et le chapeau sous le bras; les dames splendidement habillées de robes de brocart avec de grands paniers, coiffées en racine droite et tenant à la main des éventails, avec lesquels elles se rafraîchissaient le visage comme si elles étaient accablées de chaleur. Dans le salon du milieu, qui semblait tout en feu à cause d'un lustre de cristal chargé de bougies, dansaient au bruit de cette sonnerie une foule d'enfants: les garçons, en veste ronde; les filles, en robe courte. En même temps, à la fenêtre d'un cabinet attenant, un monsieur, enveloppé d'un manteau de fourrure, et qui bien certainement ne pouvait être qu'un personnage ayant droit an moins au titre de sa transparence, se montrait, faisait des signes et disparaissait, et cela tandis que le parrain Drosselmayer lui-même, vêtu de sa redingote jaune, avec son emplâtre sur l'oeil et sa perruque de verre, ressemblant à s'y méprendre, mais haut de trois pouces à peine, sortait et rentrait comme pour inviter les promeneurs à entrer chez lui.

      Le premier moment fut pour les deux enfants tout à la surprise et à la joie; mais, après quelques minutes de contemplation, Fritz, qui se tenait les coudes appuyés sur la table, se leva, et, s'approchant impatiemment:

      – Mais, parrain Drosselmayer, lui dit-il, pourquoi entres-tu et sors-tu toujours par la même porte? Tu dois être fatigu d'entrer et de sortir toujours par le même endroit. Tiens, va-t'en par celle qui est là-bas, et tu rentreras par celle-ci.

      Et Fritz lui montrait de la main les portes des deux tours.

      – Mais cela ne se peut pas, répondit le parrain Drosselmayer.

      – Alors, reprit Fritz, fais-moi le plaisir de monter l'escalier, de te mettre à la fenêtre à la place de ce monsieur, et de dire ce monsieur d'aller à la porte à ta place.

      – Impossible, mon cher petit Fritz, dit encore le conseiller de médecine.

      – Alors les enfants ont dansé assez; il faut qu'ils se promènent tandis que les promeneurs danseront à leur tour.

      – Mais tu n'es pas raisonnable, éternel demandeur! s'écria le parrain qui commençait à se fâcher; comme la mécanique est faite, il faut qu'elle marche.

      – Alors, dit Fritz, je veux entrer dans le château.

      – Ah! pour cette fois, dit le président, tu es fou, mon cher enfant; tu vois bien qu'il est impossible que tu entres dans ce château, puisque les girouettes qui surmontent les plus hautes tours vont à peine à ton épaule.

      Frite se rendit à cette raison et se tut; mais, au bout d'un instant, voyant que les messieurs et les dames se promenaient sans cesse, que les enfants dansaient toujours, que le monsieur au manteau de fourrures se montrait et disparaissait intervalles égaux, et que le parrain Drosselmayer ne quittait pas sa porte, il dit d'un ton fort désillusionné:

      – Parrain Drosselmayer, si toutes tes petites figures ne savent pas faire autre chose que ce qu'elles font et recommencent toujours à faire la même chose, demain tu peux les reprendre, car je ne m'en soucie guère, et j'aime bien mieux mon cheval, qui court à ma volonté, mes hussards, qui manoeuvrent à mon commandement, qui vont à droite et à gauche, en avant, en arrière, et qui ne sont enfermés dans aucune maison, que tous tes pauvres petits bonshommes qui sont obligés de marcher comme la mécanique veut qu'ils marchent.

      Et, à ces mots, il tourna le dos à parrain Drosselmayer et à son château, s'élança vers la table, et rangea en bataille son escadron de hussards.

      Quant à Marie, elle s'était éloignée aussi tout doucement; car le mouvement régulier de toutes les petites poupées lui avait paru fort monotone. Seulement, comme c'était une charmante enfant, ayant tous les instincts du coeur, elle n'avait rien dit, de peur d'affliger le parrain Drosselmayer. En effet, à peine Fritz eut-il le dos tourné, que, d'un air piqué, le parrain Drosselmayer dit an président et à la présidente:

      – Allons, allons, un pareil chef-d'oeuvre n'est pas fait pour des enfants, et je m'en vais remettre mon château dans sa boîte et le remporter.

      Mais la présidente s'approcha de lui, et, réparant l'impolitesse de Fritz, elle se fit montrer dans de si grands détails le chef-d'oeuvre du parrain, se fit expliquer si catégoriquement la mécanique, loua si ingénieusement ses ressorts compliqués, que non-seulement elle arriva à effacer dans l'esprit du conseiller de médecine la mauvaise impression produite, mais encore que celui-ci tira des poches de sa redingote jaune une multitude de petits hommes et de petites femmes à peau brune, avec des yeux blancs et des pieds et des mains dorés. Outre leur mérite particulier, ces petits hommes et ces petites femmes avaient une excellente odeur, attendu qu'ils étaient en bois de cannelle.

      En ce moment, mademoiselle Trudchen appela Marie pour lui offrir de lui passer cette jolie petite robe de soie qui l'avait si fort émerveillée en entrant, qu'elle avait demandé s'il lui serait permis de la mettre; mais Marie, malgré sa politesse ordinaire, ne répondit pas à mademoiselle Trudchen, tant elle était préoccupée d'un nouveau personnage qu'elle venait de découvrir parmi ses joujoux, et sur lequel, mes chers enfants, je vous prie de concentrer toute votre attention, attendu que c'est le héros principal de cette très-véridique histoire, dont mademoiselle Trudchen, Marie, Fritz, le président, la présidente et même le parrain Drosselmayer ne sont que les personnages accessoires.

      Le petit homme au manteau de bois

      Marie, disons-nous, ne répondait pas à l'invitation de mademoiselle Trudchen, parce qu'elle venait de découvrir l'instant même un nouveau joujou qu'elle n'avait pas encore aperçu.

      En effet, en faisant tourner, virer, volter ses escadrons, Fritz avait démasqué, appuyé mélancoliquement au tronc de l'arbre de Noël, un charmant petit bonhomme qui, silencieux et plein de convenance, attendait que son tour vint d'être vu. Il y aurait bien eu quelque chose à dire sur la taille de ce petit bonhomme, auquel nous sommes peut-être trop pressé de donner l'épithète de charmant; car, outre que son buste, trop long et trop développé, ne se trouvait plus en harmonie parfaite avec ses petites jambes grêles, il avait la tête d'une grosseur si démesurée, qu'elle sortait de toutes les proportions indiquées non seulement par la nature, mais encore par les maîtres de dessin, qui en savent là-dessus bien plus que la nature.

      Mais, s'il y avait quelque défectuosité dans sa personne, cette défectuosité était rachetée par l'excellence de sa toilette, qui indiquait à la fois un homme d'éducation et de goût: il portait une polonaise en velours violet avec une quantité de brandebourgs et de boutons d'or, des culottes pareilles, et les plus charmantes petites bottes qui se soient jamais vues aux pieds d'un étudiant, et même d'un officier, car elles étaient tellement collantes, qu'elles semblaient peintes. Mais deux choses étranges pour un homme qui paraissait avoir en fashion des goûts si supérieurs, c'était d'avoir un laid et étroit manteau de bois, pareil à une queue qu'il s'était attachée au bas de la nuque et qui retombait au milieu de son dos, et un mauvais petit bonnet de montagnard qu'il s'était ajusté sur la tête. Mais Marie, en voyant ces deux objets, qui formaient avec le reste du costume une si grande disparate, avait réfléchi que le parrain Drosselmayer portait lui-même, par-dessus sa redingote jaune, un

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