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Le petit vieux des Batignolles. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Le petit vieux des Batignolles
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Je regardais M. Méchinet, anxieux de savoir ce qu’il pensait de ces réponses, mais son visage gardait fidèlement le secret de ses impressions.
Il ajouta seulement:
– De quelle race est le chien de M. Monistrol?
– C’est un loulou, comme les conducteurs en avaient autrefois, tout noir, avec une tache blanche au-dessus de l’oreille; on l’appelle Pluton.
M. Méchinet se leva.
– Vous pouvez vous retirer, dit-il à la portière, je suis fixé.
Et, quand elle fut sortie:
– Il me paraît impossible, fit-il, que le neveu ne soit pas le coupable.
Cependant, les médecins étaient arrivés pendant ce long interrogatoire et, quand ils eurent achevé l’autopsie, leur conclusion fut:
«La mort du sieur Pigoreau a certainement été instantanée. Donc, ce n’est pas lui qui a tracé ces cinq lettres: Monis que nous avons vues sur le parquet, près du cadavre…»
Ainsi, je ne m’étais pas trompé.
– Mais si ce n’est pas lui, s’écria M. Méchinet, qui donc est-ce?.. Monistrol… Voilà ce qu’on ne me fera jamais entrer dans la cervelle.
Et comme le commissaire, ravi de pouvoir enfin aller dîner, le raillait de ses perplexités; perplexités ridicules, puisque Monistrol avait avoué:
– Peut-être en effet ne suis-je qu’un imbécile, dit-il, c’est ce que l’avenir décidera… Et en attendant, venez, mon cher monsieur Godeuil, venez avec moi à la préfecture…
De même que pour venir aux Batignolles, nous prîmes un fiacre pour nous rendre à la préfecture de police.
La préoccupation de M. Méchinet était grande: ses doigts ne cessaient de voyager de sa tabatière vide à son nez, et je l’entendais grommeler entre ses dents:
– J’en aurai le cœur net! Il faut que j’en aie le cœur net.
Puis il sortait de sa poche le bouchon que je lui avais remis, il le tournait et le retournait avec des mines de singe épluchant une noix et murmurait:
– C’est une pièce à conviction, cependant… il doit y avoir un parti à tirer de cette cire verte…
Moi, enfoncé dans mon coin, je ne soufflais mot.
Assurément ma situation était des plus bizarres, mais je n’y songeais pas. Tout ce que j’avais d’intelligence était absorbé par cette affaire; j’en ruminais dans mon esprit les éléments divers et contradictoires, et je m’épuisais à pénétrer le secret du drame que je pressentais.
Lorsque notre voiture s’arrêta, il faisait nuit noire.
Le quai des Orfévres était désert et silencieux: pas un bruit, pas un passant. Les rares boutiques des environs étaient fermées. Toute la vie du quartier s’était réfugiée dans le petit restaurant qui fait presque le coin de la rue de Jérusalem, et sur les rideaux rouges de la devanture se dessinait l’ombre des consommateurs.
– Vous laissera-t-on arriver jusqu’au prévenu? demandai-je à M. Méchinet.
– Assurément, me répondit-il. Ne suis-je pas chargé de suivre l’affaire… Ne faut-il pas que selon les nécessités imprévues de l’enquête, je puisse, à toute heure de jour et de nuit, interroger le détenu!..
Et d’un pas rapide, il s’engagea sous la voûte, en me disant:
– Arrivez, arrivez, nous n’avons pas de temps à perdre.
Il n’était pas besoin qu’il m’encourageât. J’allais à sa suite, agité d’indéfinissables émotions et tout frémissant d’une vague curiosité.
C’était la première fois que je franchissais le seuil de la préfecture de police, et Dieu sait quels étaient alors mes préjugés.
– Là, me disais-je, non sans un certain effroi, là est le secret de Paris…
J’étais si bien abîmé dans mes réflexions, qu’oubliant de regarder à mes pieds, je faillis tomber.
Le choc me ramena au sentiment de la situation.
Nous longions alors un immense couloir aux murs humides et au pavé raboteux. Bientôt mon compagnon entra dans une petite pièce où deux hommes jouaient aux cartes pendant que trois ou quatre autres fumaient leur pipe, étendus sur un lit de camp. Il échangea avec eux quelques paroles qui n’arrivèrent pas jusqu’à moi qui restais dehors, puis il ressortit et nous nous remîmes en marche.
Ayant traversé une cour et nous étant engagés dans un second couloir, nous ne tardâmes pas à arriver devant une grille de fer à pesants verrous et à serrure formidable.
Sur un mot de M. Méchinet, un surveillant nous l’ouvrit, cette grille; nous laissâmes à droite une vaste salle où il me sembla voir des sergents de ville et des gardes de Paris, et enfin, nous gravîmes un escalier assez roide.
Au haut de cet escalier, à l’entrée d’un étroit corridor percé de quantité de petites portes, était assis un gros homme à face joviale, qui certes n’avait rien du classique geôlier.
Dès qu’il aperçut mon compagnon:
– Eh! c’est M. Méchinet! s’écria-t-il…
Ma foi! je vous attendais… Gageons que vous venez pour l’assassin du petit vieux des Batignolles.
– Précisément. Il y a-t-il du nouveau?
– Non.
– Cependant le juge d’instruction doit être venu.
– Il sort d’ici.
– Eh bien?..
– Il n’est pas resté trois minutes avec l’accusé, et en le quittant il avait l’air très-satisfait. Au bas de l’escalier, il a rencontré M. le directeur, et il lui a dit: «C’est une affaire dans le sac; l’assassin n’a même pas essayé de nier…»
M. Méchinet eut un bond de trois pieds, mais le gardien ne le remarqua pas, car il reprit:
– Du reste, ça ne m’a pas surpris… Rien qu’en voyant le particulier, quand on me l’a amené, j’ai dit: «En voilà un qui ne saura pas se tenir.»
– Et que fait-il maintenant?
– Il geint… On m’a recommandé de le surveiller, de peur qu’il ne se suicide, et comme de juste, je le surveille… mais c’est bien inutile… C’est encore un de ces gaillards qui tiennent plus à leur peau qu’à celle des autres…
– Allons le voir, interrompit M. Méchinet, et surtout pas de bruit…
Tous trois, aussitôt, sur la pointe des pieds, nous nous avançâmes jusqu’à une porte de chêne plein, percée à hauteur d’homme d’un guichet grillé.
Par ce guichet, on voyait tout ce qui se passait dans la cellule, éclairée par un chétif bec de gaz.
Le gardien donna d’abord un coup d’œil, M. Méchinet regarda ensuite, puis vint mon tour…
Sur une étroite couchette de fer recouverte d’une couverture de laine grise à bandes jaunes, j’aperçus un homme couché à plat ventre, la tête cachée entre ses bras à demi repliés.
Il pleurait: le bruit sourd de ses sanglots arrivait jusqu’à moi, et par instants un tressaillement convulsif le secouait de la tête aux pieds.
– Ouvrez-nous, maintenant, commanda M. Méchinet au gardien.
Il obéit et nous entrâmes.
Au grincement de la clef, le prisonnier s’était soulevé et assis sur son grabat, les jambes et les bras pendants,