ТОП просматриваемых книг сайта:
Le petit vieux des Batignolles. Emile Gaboriau
Читать онлайн.Название Le petit vieux des Batignolles
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Emile Gaboriau
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Descendus de voiture, nous nous approchâmes, nous faufilant péniblement à travers les badauds.
Déjà, nous touchions la porte du numéro 39, quand un sergent de ville nous repoussa rudement.
– Retirez-vous!.. On ne passe pas!..
Mon compagnon le toisa et, se redressant:
– Vous ne me connaissez donc pas? fit-il. Je suis Méchinet, et ce jeune homme, – il me montrait, – est avec moi.
– Pardon!.. Excusez!.. balbutia l’agent en portant la main à son tricorne, je ne savais pas… donnez-vous la peine d’entrer.
Nous entrâmes.
Dans le vestibule, une puissante commère, la concierge évidemment, plus rouge qu’une pivoine, pérorait et gesticulait au milieu d’un groupe de locataires de la maison.
– Où est-ce? lui demanda brutalement M. Méchinet.
– Au troisième, cher monsieur, répondit-elle; au troisième, la porte à droite. Jésus mon Dieu! quel malheur!.. dans une maison comme la nôtre! Un si brave homme!
Je n’en entendis pas davantage. M. Méchinet s’était élancé dans les escaliers, et je le suivais, montant quatre à quatre, le cœur me battant à me couper la respiration.
Au troisième étage, la porte de droite était ouverte.
Nous entrons, nous traversons une antichambre, une salle à manger, un salon, et enfin nous arrivons à une chambre à coucher…
Je vivrais mille ans, que je n’oublierais pas le spectacle qui frappa mes yeux… Et en ce moment même où j’écris, après bien des années, je le revois jusqu’en ses moindres détails.
A la cheminée faisant face à la porte, deux hommes étaient accoudés: un commissaire de police, ceint de son écharpe, et un juge d’instruction.
A droite, assis à une table, un jeune homme, le greffier, écrivait.
Au milieu de la pièce, sur le parquet, gisait dans une mare de sang coagulé et noir le cadavre d’un vieillard à cheveux blancs… Il était étendu sur le dos, les bras en croix.
Terrifié, je demeurai cloué sur le seuil, si près de défaillir que, pour ne pas tomber, je fus obligé de m’appuyer contre l’huisserie.
Ma profession m’avait familiarisé avec la mort; depuis longtemps déjà j’avais surmonté les répugnances de l’amphithéâtre, mais c’était la première fois que je me trouvais en face d’un crime.
Car il était évident qu’un crime abominable avait été commis…
Moins impressionnable que moi, mon voisin était entré d’un pas ferme.
– Ah! c’est vous, Méchinet, lui dit le commissaire de police, je regrette bien de vous avoir fait déranger.
– Pourquoi?
– Parce que nous n’aurons pas besoin de votre savoir faire… Nous connaissons le coupable, j’ai donné des ordres et il doit être arrêté à l’heure qu’il est.
Chose bizarre! Au geste de M. Méchinet, on eût pu croire que cette assurance le contrariait…
Il tira sa tabatière, prit deux ou trois de ses prises fantastiques, et dit:
– Ah! le coupable est connu!..
Ce fut le juge d’instruction qui répondit:
– Et connu d’une façon certaine et positive, oui, M. Méchinet… Le crime commis, l’assassin s’est enfui, croyant que sa victime avait cessé de vivre… il se trompait. La Providence veillait… ce malheureux vieillard respirait encore… Rassemblant toute son énergie, il a trempé un de ses doigts dans le sang qui s’échappait à flots de sa blessure, et là, sur le parquet, il a écrit avec son sang le nom de son meurtrier, le dénonçant ainsi à la justice humaine… Regardez plutôt.
Ainsi prévenu, j’aperçus ce que tout d’abord je n’avais pas vu.
Sur le parquet, en grosses lettres mal formées et cependant lisibles, on avait écrit avec du sang: MONIS…
– Eh bien?.. interrogea M. Méchinet.
– C’est là, répondit le commissaire de police, le commencement du nom d’un neveu du pauvre mort… un neveu qu’il affectionnait, et qui se nomme Monistrol…
– Diable!.. fit mon voisin.
– Je ne suppose pas, reprit le juge d’instruction, que le misérable essaye de nier… les cinq lettres sont contre lui une charge accablante… A qui, d’ailleurs, profite ce crime si lâche?.. A lui seul, unique héritier de ce vieillard qui laisse, dit-on, une grande fortune… Il y a plus: c’est hier soir que l’assassinat a été commis… Eh bien! hier soir, personne n’a visité ce pauvre vieux que son neveu… La concierge l’a vu arriver vers neuf heures et ressortir un peu avant minuit…
– C’est clair, approuva M. Méchinet, c’est très-clair, ce Monistrol n’est qu’un imbécile.
Et, haussant les épaules:
– A-t-il seulement volé quelque chose, demanda-t-il; a-t-il fracturé quelque meuble pour donner le change sur le mobile du crime?..
– Rien, jusqu’ici, ne nous a paru dérangé, répondit le commissaire… Vous l’avez dit, le misérable n’est pas fort… dès qu’il se verra découvert, il avouera.
Et là-dessus, le commissaire de police et M. Méchinet se retirèrent dans l’embrasure de la fenêtre et s’entretinrent à voix basse, pendant que le juge donnait quelques indications à son greffier.
Désormais, j’étais fixé.
J’avais voulu savoir au juste ce que faisait mon énigmatique voisin… je le savais.
Maintenant s’expliquaient le décousu de sa vie, ses absences, ses rentrées tardives, ses soudaines disparitions, les craintes et la complicité de sa jeune femme, la blessure que j’avais soignée.
Mais que m’importait ma découverte!
Je m’étais remis peu à peu, la faculté de réfléchir et de délibérer m’était revenue, et j’examinais tout, autour de moi, avec une âpre curiosité.
D’où j’étais, accoté contre le chambranle de la porte mon regard embrassait l’appartement entier.
Rien, absolument rien, n’y trahissait une scène de meurtre.
Tout, au contraire, décelait l’aisance et en même temps des habitudes parcimonieuses et méthodiques.
Chaque chose était en place; il n’y avait pas un faux pli aux rideaux, et le bois des meubles étincelait, accusant des soins quotidiens.
Il paraissait évident, d’ailleurs, que les conjectures du juge d’instruction et du commissaire de police étaient exactes, et que le pauvre vieillard avait été assassiné la veille au soir, au moment où il se disposait à se coucher.
En effet, le lit était ouvert, et sur la couverture étaient étalés une chemise et un foulard de nuit. Sur la table, à la tête du lit, j’apercevais un verre d’eau sucrée, une boîte d’allumettes chimiques et un journal du soir, la Patrie.
Sur un coin de la cheminée brillait un chandelier, un bon gros et solide chandelier de cuivre… Mais la bougie qui avait éclairé le crime était consumée, le meurtrier s’était enfui sans la souffler, et elle avait brûlé jusqu’au bout, noircissant l’albâtre d’un brûle-tout où elle était fixée.
Ces détails, je les avais constatés d’un coup, sans effort, sans pour ainsi dire que ma volonté y fût pour rien.
Mon œil remplissait le rôle d’un objectif photographique, le théâtre du meurtre s’était fixé dans mon esprit comme sur une plaque préparée, avec une telle précision, que nulle circonstance n’y manquait, avec