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Le Speronare. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название Le Speronare
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
– Eh bien! Pietro, lui dis-je, nous voilà donc arrivés?
– Comme vous voyez, excellence, à l'heure que le vieux a dite; il ne s'est pas trompé de dix minutes.
– Et nous sommes content?
– Un peu. On va revoir sa petite femme.
– Dites-nous donc, Pietro, repris-je, ce que c'est que toutes ces barques.
– Tiens, dit Pietro, qui ne les avait pas aperçues, tant ses yeux étaient attirés d'un autre côté; tiens, la pêche au feu! Au fait, c'est le bon moment. Voulez-vous la faire?
– Mais certainement, m'écriai-je, me rappelant l'excellente partie de ce genre que nous avions faite sur les côtes de Marseille avec Méry, monsieur Morel et toute sa charmante famille; est-ce qu'il y a moyen?
– Sans doute; il y a tout ce qu'il faut à bord pour cela.
– Eh bien! Deux piastres de bonne main à partager entre le harponneur et les rameurs.
– Giovanni! Filippo! Ohé! les autres, voilà du macaroni qui nous tombe du ciel.
Les deux matelots accoururent. Giovanni, comme on se le rappelle, était le harponneur en titre. Lorsque Pietro leur eut dit ce dont il s'agissait, il cria deux ou trois paroles explicatives à sa maîtresse, et disparut sous le pont.
En effet, à mesure que les barques se rapprochaient de nous, nous commencions à distinguer, tout couvert d'un reflet rougeâtre, et pareil à un forgeron près d'une forge, le harponneur, son arme à la main, et derrière lui, dans l'ombre, les rameurs pressant ou ralentissant le mouvement de leurs avirons, selon le commandement qu'ils recevaient. Presque toutes ces barques étaient montées par des jeunes gens et des jeunes femmes de Messine; et, pendant les mois d'août et de septembre, le détroit illuminé a giorno, comme on dit en Italie, est tous les soirs témoin de ce singulier spectacle. De son côté, Reggio ouvre quotidiennement aussi son port à de pareilles expéditions, de sorte que, des côtes de la Sicile aux côtes de la Calabre, la mer est littéralement couverte de feux follets qui, vus du haut des montagnes bordant chaque rive, doivent former les évolutions les plus bizarres et les dessins les plus fantastiques qu'il soit possible d'imaginer.
Au bout de dix minutes, la chaloupe était prête et portait fièrement à sa proue un grand réchaud de fer dans lequel brûlaient des morceaux de bois résineux. Giovanni nous attendait armé de son harpon, et Pietro et Filippo leurs rames à la main. Nous descendîmes, et nous prîmes place le plus près possible de l'avant. Quant à Milord, comme nous nous rappelions la scène qu'en pareille circonstance il nous avait faite à Marseille, nous le laissâmes à bord.
Il n'y avait au reste aucune variété dans la manière de faire cette pêche. Les poissons, attirés par la lueur de notre feu, comme à la chasse des alouettes par le reflet du miroir, montaient du fond de la mer et venaient à la surface regarder avec une curiosité stupide cette flamme inaccoutumée. C'était ce moment de badauderie que saisissait Giovanni avec une admirable agilité et une adresse parfaite. Nous avions déjà cinq ou six pièces magnifiques, lorsque nous nous joignîmes à la flotte messinoise, et que nous nous perdîmes au milieu d'elle.
La merveilleuse chose que cette mer, qui, la veille, avait voulu nous engloutir dans des gouffres sans fond; qui, à cette heure, nous berçait mollement sur son miroir uni; qui, après un danger, nous offrait un plaisir, et qui feignait elle-même l'oubli, pour nous ôter, à nous, le souvenir! Aussi, comme l'on comprend bien que les marins ne puissent se séparer longtemps de cette capricieuse maîtresse, qui finit presque toujours par les dévorer!
Nous errions depuis une demi-heure à peu près au milieu de ces cris de joie, de ces chants, de ces éclats de rire, de ces démonstrations bruyantes que prodiguent si volontiers les Italiens méridionaux, lorsque d'une barque sans foyer, sans harponneur, et qui venait à nous voilée et mystérieuse, nous entendîmes sortir une harmonie douce et tendre, et qui n'avait rien de commun avec les sons qui nous entouraient. Une voix de femme chantait en s'accompagnant d'une guitare, non plus la mélodieuse chanson sicilienne mais la naïve ballade allemande. Pour la première fois peut-être depuis la chute de la maison de Souabe, le pays habitué aux refrains vifs et gracieux du midi entendait le chant poétique du nord. Je reconnus les stances de Marguerite attendant Faust. D'une main, je fis signe aux rameurs de s'arrêter; de l'autre, à Giovanni de suspendre son exercice, et nous écoutâmes. La barque s'approchait doucement de nous, nous apportant plus distincte, à chaque coup d'aviron, cette ballade allemande si célèbre par sa simplicité:
Rien ne console
De son adieu:
Je deviens folle,
Mon Dieu! mon Dieu!
Mon âme est vide,
Mon coeur est sourd;
J'ai l'oeil livide
Et le front lourd.
Ma pauvre tête
Est à l'envers:
Adieu la fête
De l'Univers!
En sa présence
Le monde est beau,
En son absence
C'est un tombeau.
A la fenêtre
Son oeil distrait
Me voit paraître
Dès qu'il paraît.
Sa voix m'emporte
Dedans, dehors;
Qu'il entre ou sorte,
J'entre ou je sors.
Joyeuse ou sombre,
Selon sa loi
Je suis son ombre
Et non plus moi.
Et dans ma fièvre
Je crois parfois
Sentir sa lèvre,
Ouïr sa voix.
Et murmurante,
De mots d'amour,
Pâle et mourante.
J'attends qu'un jour
Sa bouche en flamme
Vienne épuiser
Toute mon âme
Dans un baiser!
Rien ne console
De son adieu:
Oh! je suis folle
Mon Dieu! mon Dieu!
La barque passa près de nous, nous jetant cette suave émanation germanique. Je fermai les yeux, et je crus descendre encore le cours rapide du Rhin; puis la mélodie s'éloigna. On avait fait silence pour la laisser passer; une fois perdue dans le lointain, la bruyante hilarité italienne se ranima. Je rouvris les yeux, et je me retrouvai en Sicile, croyant avoir fait, comme Hoffmann, quelque songe fantastique. Le lendemain, le songe me fut expliqué lorsque je vis sur l'affiche du théâtre de l'Opéra le nom de mademoiselle Schulz.
Cependant la nuit s'avançait, les barques devenaient