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viens vous apporter une étrange nouvelle. Hier, à quatre heures du soir, un homme mis comme vous, de votre âge, de votre taille, et vous ressemblant tellement que chacun l'a pris pour vous, a commis un assassinat, au café Grec, sur un capitaine sicilien, et a fui sans qu'on pût l'arrêter.

      – Eh bien! repris-je, comme si j'ignorais le parti que le juge pourrait tirer du fait, mon père, je ne vois là qu'un meurtre de plus, et je ne comprends pas comment ce meurtre peut m'être utile.

      – Vous ne comprenez pas, mon fils, que tout le monde est convaincu maintenant que ce n'est pas vous qui avez assassiné Morelli? que vous êtes victime de votre ressemblance avec son meurtrier, et que déjà le juge a ordonné de surseoir à votre exécution?

      – Dieu soit loué! répondis-je; mais j'aurais préféré que mon innocence fût reconnue par un autre moyen.

      Toute cette journée se passa en interrogatoires nouveaux. Je n'avais qu'une chose à répondre; c'est que je n'avais pas quitté mon cachot. Mes gardiens le savaient mieux que personne. Le confesseur déposa m'avoir quitté à quatre heures moins quelques minutes; le geôlier affirma n'avoir pas même détaché mes fers. Le juge me quitta le soir, avouant devant tous ceux qui étaient là qu'il devait y avoir dans cet événement quelque fatale méprise, et déclarant que son impartialité ne lui permettait pas de laisser exécuter le jugement.

      Le lendemain, on vint me chercher pour me confronter avec vous. Vous vous rappelez cette scène, capitaine? Vous me reconnûtes: rien ne pouvait m'être plus favorable que l'assurance avec laquelle vous affirmiez que c'était moi qui vous avais frappé. Plus votre déposition me chargeait, plus elle me faisait innocent.

      Cependant on ne pouvait me mettre en liberté ainsi; il fallait une nouvelle enquête, et quoiqu'il fût pressé chaque jour par Lena, chaque jour le juge hésitait à la faire. L'important, disait-il, était que je vécusse; le reste viendrait à son temps.

      Une année s'écoula ainsi, une année éternelle. Au bout de cette année, le juge tomba malade, et le bruit se répandit bientôt que sa maladie était mortelle.

      Lena alla le trouver au lit d'agonie, et lui demanda impérieusement ma liberté. Le juge voulut encore éluder sa promesse. Lena le menaça de tout révéler. Il avait un fils pour lequel il sollicitait la survivance de sa place; il eut peur, il donna à Lena la clef de la chapelle.

      Au milieu de la nuit je la vis apparaître. Je crus que c'était un rêve; depuis un an je ne l'avais pas vue. La réalité faillit me tuer de joie.

      Elle me dit tout en deux mots, et comment nous n'avions pas un instant à perdre; puis elle marcha devant moi, et je la suivis, elle me conduisit chez elle. Je repassai par le corridor où j'avais vu une tache de sang, je rentrai dans cette chambre où j'avais été confronté avec le cadavre. Le surlendemain, elle me cacha toute la journée dans l'oratoire où était la madone du Pérugin. Les domestiques allèrent et vinrent comme d'habitude dans la maison, et nul ne se douta de rien. Lena passa une partie de la journée avec moi; mais comme elle avait habitude de s'enfermer dans son oratoire, et qu'elle se retirait là ordinairement pour prier, personne n'eut le plus petit soupçon.

      Le soir venu, elle me quitta; vers les dix heures je la vis rentrer.

      – Tout est arrangé, me dit-elle, j'ai trouvé un patron de barque qui se charge de te conduire en Sicile. Je ne puis partir avec toi; en nous voyant disparaître à la fois, ce que nous avons pris tant de peine à cacher serait révélé aux yeux de tous. Pars le premier; dans quinze jours je serai à Messine. Ma tante est supérieure aux Carmélites, tu me retrouveras dans son couvent.

      J'insistai pour qu'elle partît avec moi, j'avais je ne sais quel pressentiment. Cependant elle insista avec tant de fermeté, m'assura avec des promesses si solennelles qu'avant trois semaines nous serions réunis, que je cédai.

      Il faisait nuit sombre; nous sortîmes sans être vus, et nous nous acheminâmes vers la pointe Saint-Jean. Là, selon la promesse qu'on lui avait faite, une chaloupe vint me prendre. Nous nous embrassâmes encore. Je ne pouvais la quitter, je voulais l'emporter avec moi, je pleurais comme un enfant. Quelque chose me disait que je ne la reverrais plus; c'était la vengeance divine qui me parlait ainsi.

      Je m'embarquai sur votre bâtiment; mais, comme vous le comprenez bien, je ne pouvais dormir. Je sortis de la cabine pour prendre l'air sur le pont, et je vous rencontrai.

      A partir de ce moment vous savez tout. J'ai mieux aimé me battre que de vous faire alors l'aveu que je vous fais maintenant, vous auriez cru que je faisais cet aveu parce que j'avais peur, et puis, cet aveu fait, vous aviez mon secret, c'est-à-dire ma vie. Je ne risquais pas davantage en acceptant le duel que vous me proposiez. Dieu vous a choisi pour l'exécuteur de sa justice. Il n'a pas voulu qu'une fois adultère et deux fois assassin, je jouisse en paix de l'impunité légale que ma maîtresse avait achetée pour moi à prix d'or. Venez ici, capitaine, voici ma main. Pardonnez-moi comme je vous pardonne.

      Il me donna la main et s'évanouit.

      Je lui fis avaler deux autres cuillerées d'élixir, et il rouvrit les yeux, mais avec le délire. A partir de ce moment, il ne prononça plus que des paroles sans suite entremêlées de prières et de blasphèmes, et le soir à neuf heures il expira, laissant à fra Girolamo la lettre destinée à Lena Morelli.

      – Et qu'est devenue cette jeune femme? demandai-je au capitaine,

      – Elle n'a survécu que trois ans à Gaëtano Sferra, me répondit-il, et elle est morte religieuse au couvent des Carmélites de Messine.

      – Et combien y a-t-il de temps, demandai-je au capitaine, que cet événement a eu lieu?

      – Il y a… dit le capitaine en cherchant dans sa mémoire.

      – Il y a aujourd'hui neuf ans, jour pour jour, répondit Pietro.

      – Aussi, ajouta le pilote, voilà notre tempête qui nous arrive.

      – Comment, notre tempête?

      – Oui. Je ne sais pas comment cela s'est fait, dit Pietro; mais depuis ce temps-là, toutes les fois que nous sommes en mer l'anniversaire de ce jour-là, nous avons eu un temps de chien.

      – C'est juste, dit le capitaine en regardant un gros nuage noir qui s'avançait vers nous venant du midi; c'est pardieu vrai! Nous n'aurions dû partir de Naples que demain.

      L'ANNIVERSAIRE

      Pendant le récit que nous venions d'entendre, le temps s'était pris peu à peu, et le ciel paraissait couvert comme d'une immense tenture grise sur laquelle se détachait par une teinte brune plus foncée le nuage qui avait attiré l'attention du capitaine. De temps en temps de légères bouffées de vent passaient, et l'on avait ouvert notre grande voile pour en profiter, car le vent, venant de l'est, eût été excellent pour nous conduire à Palerme s'il avait pu se régler. Mais bientôt, soit que ces bouffées cessassent d'être fixes, soit que déjà les premières haleines d'un vent contraire nous arrivassent de Sicile, la voile commença à battre contre le mât, de telle façon que le pilote ordonna de la carguer. Lorsque le temps menaçait, le capitaine résignait aussitôt, je crois l'avoir dit, ses pouvoirs entre les mains du vieux Nunzio, et redevenait lui-même le premier et le plus docile des matelots. Aussi, à l'injonction faite par le pilote de débarrasser le pont, le capitaine fut-il le plus actif à enterrer notre table, et à aider Jadin à rentrer dans sa cabine son tabouret et ses cartons. Du reste, le portrait était fini, et de la plus exacte ressemblance, ce qui avait combattu chez le capitaine par un sentiment de plaisir l'impression douloureuse que lui avait causée le souvenir sur lequel nous l'avions forcé de s'arrêter.

      Cependant le temps se couvrait de plus en plus, et l'atmosphère offrait tous les signes d'une tempête prochaine. Sans qu'ils eussent été prévenus le moins du monde du danger qui nous menaçait, nos matelots, pour qui l'heure de dormir était venue, s'étaient réveillés comme par instinct, et sortaient les uns après les autres, et le nez en l'air, par l'écoutille de l'avant; puis ils se rangeaient silencieusement sur le pont, clignant de l'oeil, et faisant un signe de tête qui voulait certainement dire: – Bon, ça chauffe; – puis, toujours silencieux, les uns retroussaient leurs manches,

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