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cela.

      – Et comment s'en va-t-on, sire?

      – Chacun son impôt. Nous vous devions une aumône, nous vous l'avons donnée. Vous nous devez un sermon: donnez-nous-le.

      – Oh! oui, oui, un sermon! crièrent la reine, le prince François et le duc de Salerne.

      – Oh! oui, oui, un sermon! répétèrent en choeur tous les courtisans.

      – J'ai l'habitude de prêcher devant des lazzaroni, sire, et non devant des têtes couronnées, répondit padre Rocco: excusez-moi donc si je crois devoir récuser l'honneur que vous me faites.

      – Oh! non pas, non pas; vous ne vous en tirerez point ainsi: nous vous avons donné votre aumône, il nous faut notre sermon; je ne sors pas de là.

      – Mais quel genre de sermon? demanda le prêtre.

      – Faites-nous un sermon pour amuser les enfans.

      Le prêtre se mordit les lèvres; puis, s'adressant au roi:

      – Vous le voulez donc absolument, sire?

      – Oui, certes, je le veux.

      – Ce sermon étant fait pour les enfans, ne vous étonnez point qu'il commence comme un conte de fée.

      – Qu'il commence comme il voudra, mais que nous l'ayons.

      – A vos ordres, sire.

      Et padre Rocco monta sur une chaise pour mieux dominer son auguste auditoire.

      – Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit! commença padre Rocco.

      – Amen! interrompit le roi.

      – Il y avait une fois, continua le prêtre en saluant le roi, comme pour le remercier de ce qu'il avait bien voulu lui servir de sacristain, il y avait une fois un crabe et une crabe…

      – Comment dites-vous cela? s'écria Ferdinand, qui croyait avoir mal entendu.

      – Il y avait une fois un crabe et une crabe, reprit gravement padre Rocco, lesquels avaient eu en légitime mariage trois fils et deux filles qui donnaient les plus belles espérances. Aussi le père et la mère avaient-ils placé près de leurs enfans les professeurs les plus distingués et les gouvernantes les plus instruites qu'ils avaient pu trouver à trois lieues à la ronde: ils avaient surtout recommandé aux instituteurs et aux institutrices d'apprendre à leurs enfans à marcher droit.

      Quand l'éducation des trois enfans mâles fut finie, le père les convoqua devant lui, et ayant laissé le professeur à la porte, afin que, les élèves n'étant pas soutenus par sa présence, il pût mieux juger de l'éducation qu'ils avaient reçue:

      – Mon cher fils, dit-il à l'aîné, j'ai recommandé entre autres choses que l'on vous apprit à marcher droit. Marchez un peu, que je voie comment mes instructions ont été suivies.

      – Volontiers, mon père, dit le fils aîné. Regardez, et vous allez voir. Et aussitôt il se mit en mouvement.

      – Mais, dit le père, que diable fais-tu donc là?

      – Ce que je fais? je vous obéis: je marche.

      – Oui, tu marches, mais tu marches de travers. Est-ce que cela s'appelle marcher? Voyons, recommençons.

      – Recommençons, mon père.

      Et le fils aîné se remit en mouvement. Le père jeta un cri de douleur. La première fois son enfant avait marché de droite à gauche; la seconde fois il marchait de gauche à droite.

      – Mais ne peux-tu donc pas aller droit? s'écria le père.

      – Est-ce que je ne vais pas droit? demanda le fils.

      – Il ne voit pas son infirmité! s'écria le malheureux crabe en joignant ses deux grosses pinces et en les élevant avec douleur vers le ciel.

      Puis, se retournant vers son fils cadet:

      – Viens ici, toi, lui dit-il, et montre à ton frère aîné comment on marche.

      – Volontiers, mon père, dit le second.

      Et il recommença exactement la même manoeuvre qu'avait faite son frère aîné, si ce n'est qu'au lieu d'aller la première fois de droite à gauche et la seconde fois de gauche à droite, il alla la première fois de gauche à droite et la seconde fois de droite à gauche.

      – Toujours de travers! toujours de travers! s'écria le père au désespoir. Puis, se retournant, les larmes aux yeux, vers le plus jeune de ses fils:

      – Voyons, toi, lui dit-il, à ton tour, et donne l'exemple à tes frères.

      – Mon père, reprit le troisième, qui était un jeune crabe plein de sens, il me semble que l'exemple serait bien autrement profitable pour nous si vous nous le donniez vous-même. Marchez donc, et montrez-nous comment il faut faire. Ce que vous ferez, nous le ferons!

      Alors, continua padre Rocco, alors le père…

      – Bien, bien, dit Ferdinand, bien, padre Rocco; nous avons notre affaire, la reine et moi; vous pouvez nous revenir demander l'aumône tant que vous voudrez, nous ne vous demanderons plus de sermons. Adieu, padre Rocco.

      – Adieu, sire.

      Et padre Rocco se retira laissant son sermon inachevé, mais emportant son aumône tout entière.

      Voilà le roi Nasone, non pas tel que l'histoire l'a fait ou le fera. L'histoire est trop grande dame pour entrer dans la chambre des rois à toute heure du jour et de la nuit, et pour les surprendre dans la position où Sa Majesté napolitaine surprit le président Cardillo. Ce n'est pourtant que lorsqu'on a fait avec un flambeau le tour de leur trône, et avec un bougeoir le tour de leur chambre, qu'on peut porter un jugement impartial sur ceux-là que Dieu, dans son amour ou dans sa colère, a choisis dans le sein maternel pour en faire des pasteurs d'hommes; et encore peut-on se tromper. Après avoir vu le roi Nasone vendre son poisson, détailler son gibier, écouter au coin d'un carrefour le sermon de padre Rocco, s'humaniser avec les vassales dans son sérail de San-Lecco, rire de son gros rire avec le premier lazzarone venu, peut-être ira-t-on croire qu'il état prêt à tendre la main à tout le monde: point; il y avait entre l'aristocratie et le peuple une classe de la société que le roi Nasone exécrait particulièrement, c'était la bourgeoisie.

      Racontons l'histoire d'un bourgeois sicilien qui voulut absolument devenir gentilhomme. Ceux qui voudront savoir le nom de cet autre monsieur Jourdain pourront recourir aux moeurs siciliennes de mon spirituel ami Palmieri de Micciché, qui voyage depuis une vingtaine d'années dans tous les pays, excepté dans le sien, pour expier l'habitude qu'il a prise d'appeler les choses et les hommes par leur nom. Ce qui fait qu'instruit par son exemple, je tâcherai d'éviter le même inconvénient.

       XIII

      La Bête noire du roi Nasone

      Il y avait à Fermini, vers l'an de grâce 1798, un jeune homme de seize à dix-sept ans, lequel, comme le cardinal Lecada, ne demandait qu'une chose au ciel: être secrétaire d'État et mourir.

      C'était le fils d'un honnête fermier nommé Neodad. Le nom est tant soit peu arabe peut-être, mais nos lecteurs voudront bien se souvenir que la Sicile a été autrefois conquise par les Sarrasins. Puis, comme je l'ai dit, ils peuvent recourir pour les racines à mon ami Palmieri de Micciche.

      Son père lui avait laissé quelque petite fortune; il résolut d'acheter un costume à la mode, de poudrer ses cheveux, de raser son menton, d'attacher un catogan au collet de son habit, et de venir chercher un titre à Palerme. En conséquence, en vertu de l'axiome: Aide-toi, et Dieu t'aidera, il commença par changer son nom de Neodad en celui de Soval, quoiqu'à mon avis le premier fût bien plus pittoresque que le second. Il est vrai qu'un peu plus tard il ajouta à ce nom la particule de, ce qui le rendit, sinon plus aristocratique, du moins plus original encore.

      Ainsi déguisé, et croyant avoir suffisamment caché sa crasse paternelle sous la poudre à la maréchale, le jeune Soval essaya tout doucettement de se glisser à la cour. Mais Sa Majesté

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