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dans le port de Palerme, et le même soir on débarquait a Castello-à-Mare.

      Le lendemain, au point du jour, le roi chassait à son château de la Favorite, avec autant de plaisir et d'entrain que s'il n'eût pas perdu la moitié de son royaume.

      Pendant ce temps Championnet prenait Naples, et un beau matin le roi Nasone apprit que le monde libéral comptait une république de plus.

      C'était la république parthénopéenne.

      Sa colère fut grande; il ne comprenait pas que ses sujets, abandonnés par lui, ne lui eussent pas gardé plus exactement leur serment de fidélité; c'était fort triste: le patrimoine de Charles III était diminué de moitié; le roi des Deux-Siciles n'en avait plus qu'une. Noblesse et bourgeoisie avaient embrassé avec ardeur la cause de la révolution; il ne restait plus au roi Nasone que ses bons lazzaroni.

      Le roi Nasone s'en rapporta à Dieu et à saint Janvier de changer le coeur de ses sujets, fit voeu d'élever une église sur le modèle de Saint-Pierre s'il rentrait jamais dans sa bonne ville de Naples, et continua de chasser.

      Il est vrai que, comme nous l'avons dit, le roi Nasone était un merveilleux tireur. Quoiqu'il ne chassât jamais qu'à balles franches, il était sûr de ne toucher l'animal qu'au défaut de l'épaule; et, sur ce point, Bas-de-Cuir aurait pu prendre de ses leçons. Mais le curieux de la chose, c'est qu'il exigeait que les chasseurs de sa suite en fissent autant que lui, sinon il entrait dans des colères toujours fort préjudiciables au coupable.

      Un jour qu'on avait chassé toute la journée dans la forêt de Ficuzza, et que les chasseurs faisaient cercle autour d'un double rang de sangliers abattus, le roi avisa un des cadavres frappés au ventre. Aussitôt le rouge lui monta à la figure, et se retournant vers sa suite: —Che è il porco che a fatto un tal colpo? s'écria-t-il, ce qui voulait dire en toutes lettres: Quel est le porc qui a fait un pareil coup?

      – C'est moi, sire, répondit le prince de San-Cataldo. Faut-il me pendre pour cela?

      – Non, dit le roi, mais il faut rester chez vous.

      Et désormais le prince de San-Cataldo ne fut plus invité aux chasses royales.

      Un des crimes qui avaient le privilége d'exciter à un degré presque égal la colère de Sa Majesté, était de se présenter devant elle avec des favoris longs et des cheveux courts. Tout homme dont le menton n'était point rasé, dont le crâne n'était point poudré à blanc, et dont la nuque n'était point ornée d'une queue plus ou moins longue, était pour le roi Nasone un jacobin à pendre. Un jour, le jeune prince Peppino Ruffo, qui avait tout perdu au service du prince, qui avait abandonné famille et patrie pour le suivre, eut l'imprudence de se présenter devant lui sans poudre et avec une paire de ces beaux favoris napolitains que vous savez. Le roi ne fit qu'un bond de son fauteuil à lui, et le saisissant à pleines mains par la barbe: – Ah! brigand! ah! jacobin! ah! septembriseur! s'écria-t-il. Mais tu sors donc d'un club, que tu oses te présenter ainsi devant moi?

      – Non, sire, répondit le jeune homme, je sors d'une prison où j'ai été jeté il y a trois mois, comme trop fidèle sujet de Votre Majesté.

      Cette raison, si péremptoire qu'elle fût, ne calma pas entièrement le roi, qui garda rancune au pauvre Peppino Ruffo, même après qu'il eut rasé ses favoris, poudré ses cheveux, pris une queue postiche et substitué une culotte courte à ses pantalons.

      Il n'y avait par toute la Sicile qu'un homme qui fût aussi colère que le roi: c'était le président Cardillo, qui, n'ayant pas un seul cheveu sur la tête et pas un seul poil au menton, était entré tout d'abord dans les faveurs de son souverain, grâce à la majestueuse perruque dont son front était orné. Aussi, malgré son caractère emporté, le roi l'avait-il pris en amitié grande, malgré sa haine pour les gens de robe. Il le désignait quelquefois pour faire sa partie reversi. Alors c'était un spectacle donné à la galerie. Quand il jouait avec tout autre qu'avec le roi, le président lâchait la bride à sa colère, foudroyait son partner de gros mots, faisait voler les jetons, les fiches, les cartes, l'argent, les chandeliers. Mais, lorsqu'il avait l'honneur de jouer avec le roi, le pauvre président avait les menottes, et il lui fallait ronger son frein. Il prenait bien toujours, dans une intention parfaitement claire, chandeliers, argent, cartes, fiches et jetons; mais tout à coup le roi, qui ne le perdait pas de vue, le regardait ou lui adressait un question; alors le président souriait agréablement, reposait sur la table la chose quelconque qu'il tenait à la main et se contentait d'arracher les boutons de son habit, qu'on retrouvait le lendemain semés sur le parquet. Un jour cependant que le roi avait poussé le pauvre président plus loin qu'à l'ordinaire, et que cette plaisanterie lui avait fait négliger son jeu, le prince s'aperçut qu'un as dont il aurait pu se défaire lui était resté.

      – Ah! mon Dieu! que je suis bête! s'écria le prince, j'aurais pu donner mon as, et je ne l'ai pas fait.

      – Eh bien! je suis plus bête encore que votre Majesté, s'écria le président, car j'aurais pu donner le quinola et il m'est resté dans les mains.

      Le prince, au lieu de se fâcher, éclata de rire; la réponse lui rappelant probablement l'urbanité de ses bons lazzaroni.

      Il faut tout dire aussi: le président Cardillo était, comme Nemrod, un grand chasseur devant Dieu, et avait de magnifiques chasses, des chasses royales auxquelles il invitait son roi et auxquelles son roi lui faisait l'honneur d'assister. C'était dans son magnifique fief d'Ilice que se passait la chose; et comme au milieu de la propriété s'élevait un château digne d'elle, Sa Majesté daignait, la veille des chasses, arriver, souper et coucher dans ce château, où elle demeurait quelquefois deux ou trois jours de suite. Un soir on y arriva comme d'habitude avec l'intention de chasser le lendemain. Quand il s'agissait de chasser, le roi ne dormait pas. Aussi, après s'être tourné et retourné toute la nuit dans son lit, se leva-t-il au point du jour, et, allumant son bougeoir, se dirigea-t-il en chemise vers la chambre du seigneur suzerain. La clé était à la porte; Ferdinand eut envie de voir quelle mine un président avait dans son lit. Il tourna la clé et entra dans sa chambre. Dieu servait le roi à sa guise.

      Le président, sans perruque et en chemise, était assis au milieu de la chambre. Le roi alla droit à lui. Tandis que, surpris à l'improviste, le pauvre président demeurait sans bouger, le roi lui mit le bougeoir sous le nez pour bien voir la figure qu'il faisait, puis il commença à faire le tour de la statue et du piédestal avec une gravité admirable, tandis que la tête seule du président, mobile comme celle d'un magot de la Chine, l'accompagnait par un mouvement de rotation centrale, égal au mouvement circulaire. Enfin les deux astres qui accomplissaient leur périple, se retrouvèrent en face l'un de l'autre. Et, comme le roi continuait de garder le silence:

      – Sire, dit le président avec le plus grand sang-froid, le fait n'étant pas prévu par les lois de l'étiquette, faut-il que je me lève ou faut-il que je reste?

      – Reste, reste, dit le roi, mais ne nous fais pas attendre; voilà quatre heures qui sonnent.

      Et il sortit de la chambre aussi gravement qu'il y était entré.

      Bientôt l'honneur que le roi faisait au président Cardillo en allant ainsi chasser chez lui éveilla l'ambition des courtisans; il n'y eut pas jusqu'aux abbesses des premiers couvens de Palerme qui, peuplant leurs parcs de chevreuils, de daims et de sangliers, ne fissent inviter le roi à venir donner aux pauvres recluses dont elles dirigeaient les âmes la distraction d'une chasse. On comprend que Sa Majesté se garda bien de refuser de pareilles invitations. Le roi était quelque peu galant; il oublia presque sa colonie de San-Lucio. Cette colonie de San-Lucio était cependant quelque chose de fort agréable. C'était un charmant village, situé à trois ou quatre lieues de Naples, appartenant corps et biens au roi; les âmes seules appartenaient à Dieu, ce qui n'empêchait pas le diable d'en avoir sa part. San-Lucio était, moins le turban et le lacet, devenu le sérail du sultan Nasone. Comme le shah de Perse, il aurait pu une fois faire part à ses amis et connaissances de quatre-vingts naissances dans le même mois.

      Aussi la population de San-Lucio a-t-elle encore aujourd'hui des priviléges que n'a aucun autre village du royaume des Deux-Siciles: ses habitans ne paient pas de contributions et échappent à la loi du recrutement. En outre,

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