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La San-Felice, Tome 05. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название La San-Felice, Tome 05
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
–Voyons, petite soeur, lui dit-il, du courage! C'est beau, ce que tu fais, et le bon Dieu t'en récompensera. Et qui sait, mon Dieu! vous êtes jeunes tous deux: peut-être, un jour, vous reverrez-vous.
Luisa secoua la tête.
–Non, non, dit-elle avec un mouvement qui fit pleuvoir les larmes de ses yeux fermés; non, nous ne nous reverrons jamais. Et il vaut mieux que je ne le revoie pas; je l'aime trop, Michele, et ce n'est que depuis que j'ai décidé de ne plus le revoir que je sais combien je l'aime.
–Enfin, tu sais, dit Michele, il y a dans ta douleur quelque chose de bon à ce que tu ne le revoies pas; il y avait, au bout de votre amour, une triste prédiction de Nanno.
–Oh! s'écria Luisa, que m'importeraient toutes les prédictions du monde si je pouvais l'aimer sans crime!
–Voyons, lis, lis; cela vaudra mieux, dit Michele.
–Non, dit Luisa mettant la lettre à moitié lue dans sa poitrine, non, s'il me parlait trop du bonheur qu'il aura de me revoir, peut-être ne partirais-je pas!
En ce moment, on entendit la voix de San-Felice qui appelait Luisa.
La jeune femme s'élança dans le corridor, dont Michele ferma la porte derrière elle et derrière lui.
La porte de la salle à manger donnant sur le salon était ouverte; dans le salon, était le docteur Cirillo.
Une vive rougeur monta aux joues de Luisa. Le docteur Cirillo, lui aussi, était dans son secret. D'ailleurs, elle n'ignorait point que c'était par les mains du comité libéral, dont Cirillo faisait partie, que lui parvenaient les lettres de Salvato.
–Chère amie, dit le chevalier à Luisa, voici notre bon docteur, que nous n'avions pas vu depuis longtemps, qui vient prendre des nouvelles de ta santé; j'espère qu'il en sera content.
Le docteur salua la jeune femme et s'aperçut, au premier coup d'oeil, du trouble moral qui l'agitait.
–Elle va mieux, dit-il, mais elle n'est point encore guérie, et je suis enchanté d'être venu aujourd'hui.
Le docteur appuya sur le mot aujourd'hui; Luisa baissa les yeux.
–Allons, dit San-Felice, il faut encore que je vous laisse seul avec elle. En vérité, vous autres médecins, vous avez des priviléges que les maris eux-mêmes n'ont pas. Heureusement pour vous, j'ai quelque chose à faire; sans quoi, bien certainement j'écouterais à la porte.
–Et vous auriez tort, mon cher chevalier, dit Cirillo; car nous avons à nous dire des choses de la plus haute importance politique; n'est-ce pas, ma chère enfant?
Luisa essaya de sourire; mais ses lèvres ne se crispèrent que pour laisser passer un soupir.
–Allons, allons, laissez-nous, chevalier, dit Cirillo; c'est plus grave que je ne croyais.
Et, en riant, il poussa San-Felice vers la porte, qu'il ferma derrière lui.
Puis, revenant à Luisa et lui prenant les deux mains.
–A nous deux, ma chère fille, lui dit-il. Vous avez pleuré?
–Oh! oui, et beaucoup! murmura-t-elle.
–Depuis que vous avez reçu une lettre de lui, ou auparavant?
–Auparavant et depuis.
–Lui est-il arrivé quelque accident?
–Aucun, Dieu merci!
–Tant mieux, car c'est une noble et vigoureuse nature; un de ces hommes comme nous n'en aurons jamais assez dans notre pauvre royaume de Naples. Vous avez donc un autre sujet de chagrin?
Luisa ne répondit point, mais ses yeux se mouillèrent.
–Vous n'avez point à vous plaindre de San-Felice, je présume? demanda Cirillo.
–Oh! s'écria Luisa en joignant les mains, c'est l'ange de la paternelle bonté.
–Je comprends, il part et vous restez.
–Il part, et je le suis.
Cirillo regarda la jeune femme d'un oeil étonné qui, peu à peu, se mouilla de larmes.
–Et vous, lui dit-il, quel ange êtes-vous? Je n'en connais pas au ciel un seul dont vous ne soyez digne de porter le nom, et qui soit digne de porter le vôtre.
–Vous voyez bien que je ne suis pas un ange, puisque je pleure; les anges ne pleurent pas pour faire leur devoir.
–Faites-le, et pleurez en le faisant, vous n'en aurez que plus de mérite; faites-le, et, moi, je ferai le mien en lui disant combien vous l'aimez, combien vous avez souffert. Allez! et, de temps en temps, dans vos prières, dites un mot de moi: ce sont les voix comme la vôtre qui ont l'oreille du Seigneur.
Cirillo voulut lui baiser les mains; mais Luisa lui jeta ses bras au cou.
–Oh! embrassez-moi comme un père embrasse sa fille, lui dit-elle.
Et, comme l'illustre docteur l'embrassait avec un respect mêlé d'admiration:
–Oh! vous le lui direz! vous le lui direz! n'est-ce pas? murmura-t-elle tout bas à son oreille.
Cirillo lui serra la main en signe de promesse.
San-Felice entra et trouva Luisa dans les bras de son ami.
–Eh bien, lui dit-il en riant, c'est donc en les embrassant que vous donnez des consultations à vos malades, docteur?
–Non; mais c'est en les embrassant que je prends congé de ceux que j'aime, de ceux que j'estime, de ceux que je vénère. Ah! chevalier, chevalier, vous êtes un homme heureux!
–Il est si digne de l'être, dit Luisa tendant la main à son mari.
–Ce n'est pas toujours une raison, dit Cirillo. Et maintenant, au revoir, chevalier, car j'espère que nous nous reverrons. Allez! et servez votre prince. Moi, je reste et vais tâcher de servir mon pays.
Puis, réunissant la main du mari et celle de la femme dans la sienne:
–Je voudrais être saint Janvier, leur dit-il, non pas pour faire un miracle deux fois par an, ce qui est bien joli cependant dans notre époque où les miracles sont rares, mais pour vous bénir comme vous méritez de l'être. Adieu!
Et il s'élança hors de la maison.
San-Felice le suivit jusqu'au perron, lui fit encore un signe d'adieu de la main; puis, revenant à sa femme:
–A dix heures, lui dit-il, la voiture du prince vient nous prendre ici.
–A dix heures, je serai prête, répondit Luisa.
Elle l'était, en effet. Après avoir dit adieu à la chambre bien-aimée, après avoir pris congé de tous les objets qu'elle renfermait, après avoir coupé une boucle de ses beaux cheveux blonds, après avoir noué avec eux, aux pieds du crucifix, un billet sur lequel elle avait écrit ces quatre mots: «Mon frère, je t'aime!» elle prit le bras de son mari, et, éplorée comme la Madeleine, mais pure comme la Vierge, elle monta avec lui dans la voiture du prince.
Michele monta sur le siége.
Nina, les lèvres frémissantes de joie, baisa la main de sa maîtresse.
Puis la portière se referma et la voiture partit.
Nous avons dit le temps qu'il faisait. Le vent, la grêle et la pluie battaient les vitres de la voiture, et le golfe que, malgré l'obscurité, l'on apercevait dans toute son étendue, n'était qu'une nappe d'écume boursouflée par les vagues. San-Felice jeta un regard d'effroi sur cette mer furieuse, que Luisa, battue d'une tempête bien autrement violente, ne voyait même pas. L'idée du danger auquel il allait exposer la seule créature qu'il aimât au monde, l'épouvanta. Il tourna les yeux vers Luisa. Elle était pâle et immobile dans l'angle de la voiture. Ses yeux étaient fermés, et, ne croyant pas être vue dans l'obscurité, elle laissait couler des larmes sur ses joues. Alors, pour la première fois, l'idée vint au chevalier que sa femme lui faisait quelque grand sacrifice qu'il ignorait. Il prit sa main et la porta à ses lèvres.