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le moulinet autour de la tête du beccaïo que j'ai un sabre au côté: c'est pour me battre, c'est pour défendre Naples, c'est pour tuer le plus de Français que je pourrai.

      Luisa ne put réprimer un mouvement.

      –Oh! sois tranquille, petite soeur, reprit Michele en riant, je ne les tuerai pas tous.

      –Eh bien, pour en finir, continua le chevalier, nous nous embarquons ce soir à la Vittoria, pour rejoindre la frégate de l'amiral Caracciolo, derrière le château de l'Oeuf. Je voulais te prier de ne pas quitter ta soeur et, au besoin, de faire pour elle, au moment de l'embarquement, ce que tu as fait, il y a deux heures, pour moi, c'est-à-dire de la protéger.

      –Oh! sous ce rapport-là, vous pouvez être tranquille, chevalier. Pour vous, je me ferais tuer; mais, pour elle, je me ferais hacher en morceaux. Mais, c'est égal, si le peuple savait cela, il y aurait une fière émeute.

      –Ainsi, dit le chevalier se levant de table, j'ai ta parole, Michele: tu ne quittes Luisa que quand elle sera dans la barque.

      –Soyez tranquille, je ne la quitte d'ici là pas plus que son ombre un jour de soleil, attendu qu'aujourd'hui je ne sais pas trop ce que chacun de nous a fait de la sienne.

      Le chevalier, qui avait tous ses papiers à mettre en ordre, tous ses livres à emballer, tous ses manuscrits commencés à emporter avec lui, rentra dans son cabinet.

      Quant à Michele, qui n'avait rien à faire qu'à regarder sa petite soeur, il fixa son regard bienveillant sur elle, et, voyant deux grosses larmes qui coulaient silencieusement de ses beaux yeux sur ses joues:

      –C'est égal, dit-il, il y a des hommes qui ont une fière chance, et le chevalier est de ces hommes-là. Mannaggia la Madonna! ce n'est pas Assunta qui ferait pour moi ce que tu fais pour lui.

      Luisa se leva, et, si vite qu'elle rentrât dans sa chambre, si rapidement qu'elle en refermât la porte, Michele put entendre le bruit des sanglots qui, malgré elle, maintenant qu'elle était seule, s'échappaient tumultueusement de sa poitrine.

      Nous avons déjà, dans une autre circonstance, et quand c'était Salvato et non Luisa qui quittait Naples, suivi de l'oeil le mouvement lent et inégal de l'aiguille sur la pendule. Ce mouvement, en même temps que nous, deux coeurs le suivaient; mais, appuyés l'un à l'autre, il leur paraissait à coup sur moins douloureux qu'à ce pauvre coeur isolé qui n'avait d'autre soutien que le sentiment du devoir accompli.

      Luisa n'avait, comme d'habitude, fait que passer par sa chambre et avait regagné sur la pointe du pied celle de Salvato. En traversant le corridor, elle avait, avec un certain étonnement, recueilli quelques notes de la voix de Giovannina chantant une gaie chanson napolitaine. Aux accents de cette gaieté un peu intempestive, Luisa avait soupiré et s'était contentée de se dire à elle-même:

      –Pauvre fille! elle est contente de ne pas quitter Naples, et, si j'étais libre et que je restasse comme elle à Naples, comme elle, moi aussi, je chanterais quelque gaie chanson napolitaine.

      Et elle était rentrée dans sa chambre, le coeur encore plus oppressé qu'auparavant de cette gaieté qui faisait contraste avec sa douleur.

      Il est inutile de dire quelles pensées occupaient le coeur de Luisa une fois qu'elle était rentrée dans le sanctuaire de son amour. Toute sa vie repassait devant ses yeux, et nous disons toute sa vie, car, dans ses souvenirs, elle n'avait vécu que pendant les six semaines que Salvato avait habité cette chambre.

      Alors, depuis le moment où le blessé avait été apporté sur son lit de douleur jusqu'à celui où, appuyé à son bras, le convalescent était sorti de la maison par cette fenêtre donnant sur la petite ruelle; où, avant de quitter cette fenêtre, il avait, dans un premier et dernier baiser, appuyé ses lèvres sur les siennes et versé son âme dans sa poitrine, – alors, non-seulement chaque jour, mais chaque heure du jour passait devant elle, triste ou joyeuse, sombre ou éclairée.

      Et, comme toujours, elle suivait, les yeux du corps fermés, mais avec les yeux de l'âme, cette longue et blanche théorie, – lorsqu'elle entendit gratter doucement à sa porte, et que, de sa voix la plus douce, Michele lui souffla par le trou de la serrure:

      –C'est moi, petite soeur.

      –Entre, Michele, entre, dit-elle; tu sais bien que, toi, tu peux entrer.

      Michele entra; il tenait une lettre à la main.

      Luisa resta les yeux fixés sur cette lettre, les bras étendus, la respiration suspendue.

      Aurait-elle cette suprême consolation dans un pareil moment de recevoir une dernière lettre de Salvato?

      –C'est une lettre de Portici, dit Michele. Je l'ai prise des mains du facteur, et je te l'apporte.

      –Oh! donne, donne! s'écria Luisa, c'est de lui!

      Michele lui remit la lettre et alla fermer la porte. Mais, avant de la fermer:

      –Dois-je rester? dois-je sortir? demanda-t-il.

      –Reste, reste, cria Luisa. Tu sais bien que je n'ai pas de secrets pour toi.

      Michele resta, mais se tint près de la porte.

      Luisa décacheta vivement la lettre, et, comme toujours, essaya vainement de la lire. Les larmes et l'émotion étendaient devant ses yeux un brouillard qu'il fallait quelques secondes pour dissiper.

      Enfin, elle put lire:

      «San-Germano, 19 décembre, au matin.»

      –Il est à San-Germano, ou plutôt il y était lorsqu'il m'écrivait cette lettre, dit Luisa à Michele.

      –Lis, petite soeur, lui répondit celui-ci: cela te fera du bien.

      Elle reprit, – car elle s'était interrompue pour respirer en renversant sa tête en arrière et en appuyant la lettre contre son coeur, – elle reprit:

      «San-Germano, 19 décembre, au matin.

      »Chère Luisa,

      »Laissez-moi partager avec vous une grande joie: je viens de revoir la seule personne que j'aime d'un amour égal à celui que je vous ai voué, quoiqu'il soit bien différent: je viens de revoir mon père!

      »Ce qu'il est et où il est, c'est un secret que je dois garder, même vis-à-vis de vous, mais que néanmoins je vous dirais bien certainement si j'étais près de vous. Un secret pour vous! En vérité, j'en ris moi-même. Est-ce qu'on a des secrets pour sa seconde âme?

      »Je viens de passer une nuit, depuis neuf heures du soir jusqu'à six heures du matin avec mon père, que, depuis dix ans, je n'avais pas vu. Toute la nuit, il m'a parlé de la mort et de Dieu; toute la nuit, je lui ai parlé de mon amour et de vous.

      »C'est à la fois, chose rare, un esprit élevé et un coeur tendre que mon père. Il a beaucoup aimé, beaucoup souffert, et, plaignez-le, il ne croit pas.

      »Priez pour le père, cher ange du fils, et Dieu, qui ne doit avoir rien à vous refuser, lui accordera peut-être la foi.

      »Une autre femme que vous, Luisa, se serait déjà étonnée de ne pas avoir trouvé vingt fois dans ces lignes le mot: «Je vous aime!» Vous l'avez déjà lu cent fois, vous, n'est-ce pas? Vous parler de mon père, dont je ne puis parler à personne, vous dire ma joie de l'avoir revu, vous le comprenez bien, n'est-ce pas? c'est mettre mon coeur dans vos mains, et c'est vous dire à deux genoux: «Je vous aime, ma Luisa! je vous aime!»

      »Me voilà donc à vingt lieues de vous, ma belle fée du Palmier, et, quand vous recevrez cette lettre, j'en serai plus rapproché encore. Les brigands nous harcèlent, nous assassinent, nous mutilent, mais ne nous arrêtent point. C'est que nous ne sommes point une armée, c'est que nous ne sommes point des hommes en marche pour envahir un royaume et conquérir une capitale: nous sommes une idée faisant le tour du monde.

      »Bon! voilà que je parle politique!

      »Je parie que je devine où vous lisez ma lettre. Vous la lisez dans notre chambre, assise au chevet de mon lit, dans cette chambre où nous nous reverrons et ou j'oublierai, en vous revoyant, les longs jours passés loin de vous…»

      Luisa

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