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La San-Felice, Tome 01. Dumas Alexandre
Читать онлайн.Название La San-Felice, Tome 01
Год выпуска 0
isbn
Автор произведения Dumas Alexandre
Жанр Зарубежная классика
Издательство Public Domain
Cette femme, c'était la fille de Marie-Thérèse, la soeur de Marie-Antoinette; c'était Marie-Caroline d'Autriche, la reine des Deux-Siciles, l'épouse de Ferdinand IV, que, pour des raisons que nous verrons se développer plus tard, elle avait pris en indifférence d'abord, puis en dégoût, puis en mépris. Elle en était à cette troisième phase, qui ne devait pas être la dernière, et les nécessités politiques rapprochaient seules les illustres époux, qui, en dehors de cela, vivaient complétement séparés, le roi chassant dans ses forêts de Lincola, de Persano, d'Astroni, et se reposant dans son harem de San-Leucio la reine faisant de la politique, à Naples, à Caserte ou à Portici, avec son ministre Acton, ou se reposant sous les berceaux d'orangers avec sa favorite Emma Lyonna, en ce moment couchée à ses pieds, comme une esclave reine.
Il suffisait, au reste, de jeter un regard sur cette dernière pour comprendre non-seulement la faveur tant soit peu scandaleuse dont elle jouissait près de Caroline, mais encore les enthousiasmes frénétiques soulevés par cette enchanteresse chez les peintres anglais, qui la représentèrent sous toutes les formes, et les poëtes napolitains qui la chantèrent sur tous les tons; si la nature humaine peut arriver à la perfection de la beauté, certes Emma Lyonna avait atteint à cette perfection. Sans doute, dans ses intimités avec quelque moderne Sappho, elle avait hérité de cette essence précieuse donnée à Phaon par Vénus, pour se faire irrésistiblement aimer; l'oeil étonné semblait, en se fixant sur elle, ne distinguer d'abord les contours de ce corps admirable qu'à travers la vapeur de volupté qui émanait de lui; puis, peu à peu, le regard perçait le nuage et la déesse transparaissait.
Essayons de peindre cette femme, qui descendit dans les abîmes les plus profonds de la misère et atteignit les plus splendides sommets de la prospérité, et qui, à l'époque où elle nous apparaît, eût pu rivaliser d'esprit, de grâce et de beauté avec la Grecque Aspasie, l'Égyptienne Cléopâtre et la Romaine Olympia.
Elle était ou du moins paraissait arrivée à cet âge qui donne à la femme l'apogée des accomplissements physiques; sa personne, lorsque l'oeil essayait de la détailler, offrait au regard comme un éblouissement successif; ses cheveux châtains encadraient un visage rond comme celui de la jeune fille qui touche à peine à la puberté; ses yeux irisés, dont il eût été impossible de déterminer la couleur, étincelaient sous deux sourcils que l'on eût crus dessinés par le pinceau de Raphaël; son cou flexible et blanc comme celui du cygne; ses épaules et ses bras, dont la souplesse, la douce rondeur, la grâce charmante rappelaient, non pas les froides créations du ciseau antique, mais les marbres suaves et palpitants de Germain Pilon, le disputaient à ces marbres mêmes en fermeté et en veines d'azur; la bouche, semblable à celle de cette princesse, filleule d'une fée, qui à chaque parole laissait tomber une perle, et à chaque sourire un diamant, semblait un inépuisable écrin de baisers d'amour. Faisant contraste avec la parure toute royale de Marie-Caroline, elle était vêtue d'une longue et simple tunique de cachemire blanc à larges manches, échancrée à la grecque dans sa partie supérieure, serrée et plissée à la taille, libre de toute autre étreinte, par une ceinture de maroquin rouge, brodée d'or, incrustée de rubis, d'opales, de turquoises, et s'agrafant par un splendide camée représentant le portrait de sir William Hamilton; elle s'enveloppait comme d'un manteau d'un large châle indien, aux couleurs changeantes et à fleurs d'or, qui plus d'une fois, dans les soirées intimes de la reine, lui avait servi à danser ce pas du châle qu'elle avait inventé et dont jamais danseuse ni ballerine ne purent atteindre la voluptueuse et magique perfection.
Plus tard, nous trouverons moyen de mettre sous les yeux de nos lecteurs l'étrange passé de cette femme, à laquelle, dans ce chapitre tout d'introduction descriptive, nous ne pouvons donner, quelque place qu'elle tienne dans l'histoire que nous allons raconter, qu'un coup d'oeil rapide et qu'une fugitive attention.
Le troisième groupe, qui faisait pendant à celui-ci et qui se trouvait à la droite de celui du roi, se composait de quatre personnes, c'est-à-dire de deux hommes d'âge différent qui causaient science et économie politique, et d'une jeune femme, pâle, triste et rêveuse, berçant dans ses bras et serrant contre son coeur un enfant de quelques mois.
Une cinquième personne, qui n'était autre que la nourrice de l'enfant, grosse et fraîche paysanne portant le costume des femmes d'Aversa, se dissimulait dans la pénombre, où étincelaient, malgré elle, les broderies de son corsage passementé d'or.
Le plus jeune des deux hommes, à peine âgé de vingt-deux ans, aux cheveux blonds, au menton encore imberbe, à la taille épaissie par une obésité précoce, que le poison devait changer plus tard en maigreur cadavérique, vêtu d'un habit bleu de ciel, brodé d'or et surchargé de cordons et de plaques, était le fils aîné du roi et de la reine Marie-Caroline, l'héritier présomptif de la couronne, François, duc de Calabre. Né avec un caractère timide et doux, il avait été effrayé des violences réactionnaires de la reine, s'était jeté dans la littérature et les sciences, et ne demandait rien autre chose que de rester en dehors de la machine politique, par les rouages de laquelle il craignait d'être brisé.
Celui avec lequel il s'entretenait était un homme grave et froid, âgé de cinquante à cinquante-deux ans, qui était, non pas précisément un savant, comme on l'entend en Italie, mais, ce qui vaut parfois beaucoup mieux, un sachant. Il portait pour toute décoration, sur un habit très-simplement orné, la croix de Malte, qui exigeait deux cents ans de noblesse non interrompue: c'était, en effet, un noble Napolitain, nommé le chevalier de San-Felice, qui était bibliothécaire du prince et chevalier d'honneur de la princesse.
La princesse, par laquelle nous eussions dû commencer peut-être, était cette jeune mère, que nous avons indiquée d'un trait, qui, comme si elle eût deviné qu'elle devait bientôt quitter la terre pour le ciel, pressait son enfant contre son coeur. Elle aussi, comme sa belle-mère, était archiduchesse de la hautaine maison de Habsbourg; elle se nommait Clémentine d'Autriche; elle avait, à quinze ans, quitté Vienne pour épouser François de Bourbon, et, soit amour laissé là-bas, soit désillusion trouvée ici, nul, même sa fille, si elle eût été en âge de comprendre et de parler, n'eût pu raconter l'avoir vue sourire une seule fois. Fleur du Nord, elle se fanait, à peine ouverte, à l'ardent soleil du Midi; sa tristesse était un secret dont elle mourait lentement sans se plaindre ni aux hommes ni à Dieu; elle semblait savoir qu'elle était condamnée, et, pieuse et pure victime expiatoire, s'était résignée à la condamnation qu'elle subissait, non point pour ses fautes, mais pour celles d'autrui; Dieu, qui a l'éternité pour être juste, a de ces mystérieuses contradictions que ne comprend pas notre justice mortelle et éphémère.
La fille qu'elle pressait contre son coeur, et qui, depuis quelques mois à peine, venait d'ouvrir ses yeux à la lumière, était cette seconde Marie-Caroline, qui peut-être eut les faiblesses, mais non les vices de la première; ce fut la jeune princesse qui épousa le duc de Berry, que le poignard de Louvel fit veuve, et qui, seule de la branche aînée des Bourbons, a laissé en France une mémoire sympathique et un souvenir chevaleresque.
Et tout ce monde de rois, de princes, de courtisans glissant sur cette mer d'azur, sous cette tente de pourpre, au son d'une musique mélodieuse dirigée par le bon Dominique Cimarosa, maître de chapelle et compositeur de la cour, dépassait tour à tour Resina, Portici, Torre-del-Greco, et s'avançait dans la nef magnifique, poussée vers le large par cette molle brise de Baïa si fatale