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que celui d'Avignon.

      Ce n'était plus une affaire d'opinion, c'était un vol et un vol infâme. Blancs et rouges coururent à l'église des Cordeliers, criant qu'il fallait que la municipalité leur rendît compte.

      Lescuyer était le secrétaire de la municipalité.

      Son nom fut jeté à la foule, non pas comme ayant arraché les deux décrets pontificaux – dès lors il y eût eu des défenseurs – mais comme ayant signé l'ordre au gardien du mont-de-piété de laisser enlever les effets.

      On envoya quatre hommes pour prendre Lescuyer et lamener à l'église. On le trouva dans la rue, se rendant à la municipalité. Les quatre hommes se ruèrent sur lui et le traînèrent dans l'église avec des cris féroces.

      Arrivé là, au lieu d'être dans la maison du Seigneur, Lescuyer comprit, aux yeux flamboyants qui se fixaient sur lui, aux poings étendus qui le menaçaient, aux cris qui demandaient sa mort, Lescuyer comprit qu'il était dans un de ces cercles de lenfer oubliés par Dante.

      La seule idée qui lui vint fut que cette haine soulevée contre lui avait pour cause la mutilation des affiches pontificales; il monta dans la chaire, comptant s'en faire une tribune, et, de la voix d'un homme qui, non seulement ne se reproche rien, mais qui encore est prêt à recommencer:

      – Mes frères, dit-il, j'ai cru la révolution nécessaire; j'ai, en conséquence, agi de tout mon pouvoir…

      Les fanatiques comprirent que si Lescuyer s'expliquait, Lescuyer était sauvé.

      Ce n'était point cela qu'il leur fallait. Ils se jetèrent sur lui, l'arrachèrent de la tribune, le poussèrent au milieu de la meute aboyante, qui lentraîna vers lautel en poussant cette espèce de cri terrible qui tient du sifflement du serpent et du rugissement du tigre, ce meurtrier zou zou! particulier à la population avignonnaise.

      Lescuyer connaissait ce cri fatal; il essaya de se réfugier au pied de l'autel.

      Il ne s'y réfugia pas, il y tomba.

      Un ouvrier matelassier, armé d'un bâton, venait de lui en asséner un si rude coup sur la tête, que le bâton s'était brisé en deux morceaux.

      Alors on se précipita sur ce pauvre, corps, et, avec ce mélange de férocité et de gaieté particulier aux peuples du Midi, les hommes, en chantant, se mirent à lui danser sur le ventre, tandis que les femmes, afin qu'il expiât les blasphèmes qu'il avait prononcés contre le pape, lui découpaient, disons mieux, lui festonnaient les lèvres avec leurs ciseaux.

      Et de tout ce groupe effroyable sortait un cri ou plutôt un râle; ce râle disait:

      – Au nom du ciel! au nom de la Vierge! au nom de l'humanité! tuez-moi tout de suite.

      Ce râle fut entendu: d'un commun accord, les assassins s'éloignèrent. On laissa le malheureux, sanglant, défiguré, broyé, savourer son agonie.

      Elle dura cinq heures pendant lesquelles, au milieu des éclats de rire, des insultes et des railleries de la foule, ce pauvre corps palpita sur les marches de lautel.

      Voilà comment on tue à Avignon.

      Attendez; il y a une autre façon encore.

      Un homme du parti français eut l'idée d'aller au mont-de-piété et de s'informer.

      Tout y était en bon état, il n'en était pas sorti un couvert d'argent.

      Ce n'était donc pas comme complice d'un vol que Lescuyer venait d'être si cruellement assassiné: c'était comme patriote.

      Il y avait en ce moment à Avignon un homme qui disposait de la populace.

      Tous ces terribles meneurs du Midi ont conquis une si fatale célébrité, qu'il suffit de les nommer pour que chacun, même les moins lettrés, les connaisse.

      Cet homme, c'était Jourdan.

      Vantard et menteur, il avait fait croire aux gens du peuple que c'était lui qui avait coupé le cou au gouverneur de la Bastille.

      Aussi l'appelait-on Jourdan Coupe-Tête. Ce n'était pas son nom: il s'appelait Mathieu Jouve. Il n'était pas Provençal, il était du Puy-en-Velay. Il avait d'abord été muletier sur ces âpres hauteurs qui entourent sa ville natale, puis soldat sans guerre, la guerre l'eût peut-être rendu plus humain; puis cabaretier à Paris.

      À Avignon, il était marchand de garance.

      Il réunit trois cents hommes, s'empara des portes de la ville, y laissa la moitié de sa troupe, et, avec le reste, marcha sur l'église des Cordeliers, précédé de deux pièces de canon. Il les mit en batterie devant l'église et tira tout au hasard.

      Les assassins se dispersèrent comme une nuée d'oiseaux effarouchés, laissant quelques morts sur les degrés de l'église.

      Jourdan et ses hommes enjambèrent par-dessus les cadavres et entrèrent dans le saint lieu.

      Il n'y restait plus que la Vierge et le malheureux Lescuyer respirant encore.

      Jourdan et ses camarades se gardèrent bien d'achever Lescuyer: son agonie était un suprême moyen d'excitation. Ils prirent ce reste de vivant, ces trois quarts de cadavre, et l'emportèrent saignant, pantelant, râlant.

      Chacun fuyait à cette vue, fermant portes et fenêtres.

      Au bout d'une heure, Jourdan et ses trois cents hommes étaient maîtres de la ville.

      Lescuyer était mort, mais peu importait; on n'avait plus besoin de son agonie.

      Jourdan profita de la terreur qu'il inspirait, et arrêta ou fit arrêter quatre-vingts personnes à peu près, assassins ou prétendus assassins de Lescuyer.

      Trente peut-être n'avaient pas même mis le pied dans l'église; mais, quand on trouve une bonne occasion de se défaire de ses ennemis, il faut en profiter; les bonnes occasions sont rares.

      Ces quatre-vingts personnes furent entassées dans la tour

      Trouillas.

      On l'a appelée historiquement la tour de la Glacière.

      Pourquoi donc changer ce nom de la tour Trouillas? Le nom est immonde et va bien à l'immonde action qui devait s'y passer.

      C'était le théâtre de la torture inquisitionnelle.

      Aujourd'hui encore on y voit, le long des murailles, la grasse suie qui montait avec la fumée du bûcher où se consumaient les chairs humaines; aujourd'hui encore, on vous montre le mobilier de la torture précieusement conservé: la chaudière, le four, les chevalets, les chaînes, les oubliettes et jusqu'à des vieux ossements, rien n'y manque.

      Ce fut dans cette tour, bâtie par Clément V, que l'on enferma les quatre-vingts prisonniers.

      Ces quatre-vingts prisonniers faits et enfermés dans la tour

      Trouillas, on en fut bien embarrassé.

      Par qui les faire juger?

      Il n'y avait de tribunaux légalement constitués que les tribunaux du pape.

      Faire tuer ces malheureux comme ils avaient tué Lescuyer?

      Nous avons dit qu'il y en avait un tiers, une moitié peut-être, qui non seulement n'avaient point pris part à l'assassinat, mais qui même n'avaient pas mis le pied dans l'église.

      Les faire tuer! La tuerie passerait sur le compte des représailles.

      Mais pour tuer ces quatre-vingts personnes, il fallait un certain nombre de bourreaux.

      Une espèce de tribunal, improvisé par Jourdan, siégeait dans une des salles du palais: il avait un greffier nommé Raphel, un président moitié Italien, moitié Français, orateur en patois populaire, nommé Barbe Savournin de la Roua; puis trois ou quatre pauvres diables; un boulanger, un charcutier; les noms se perdent dans l'infimité des conditions.

      C'étaient ces gens-là qui criaient:

      – Il faut les tuer tous; s'il s'en sauvait un seul, il servirait de témoin.

      Mais, nous l'avons dit, les tueurs manquaient.

      À

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